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un homme tombé dans l'infortune, et par conséquent le favori de Jupiter.

Sous la tente d'Abraham, la réception se passe autrement. Le patriarche sort pour aller au-devant de son hôte, il le salue, et puis adore Dieu. Les fils du lieu emmènent les chameaux, et les filles leur donnent à boire. On lave les pieds du voyageur: il s'assied à terre, et prend en silence le repas de l'hospitalité. On ne lui demande point son histoire, on ne le questionne point; il demeure ou continue sa route à volonté. A son départ, on fait alliance avec lui, et l'on élève la pierre du témoignage. Cet autel doit dire aux siècles futurs que deux hommes des anciens jours se rencontrèrent dans le chemin de la vie; qu'après s'être traités comme deux frères, ils se quittèrent pour ne se revoir jamais, et pour mettre de grandes régions entre leurs tombeaux.

Remarquez que l'hôte inconnu est un étranger chez Homère, et un voyayeur dans la Bible. Quelles différentes vues de l'humanité! Le grec ne porte qu'une idée politique et locale, où l'hébreu attache un sentiment moral et universel.

Chez Homère, les œuvres civiles se font avec fracas et parade: un juge, assis au milieu de la place publique, prononce à haute voix ses sentences; Nestor, au bord de la mer, fait des sacrifices ou harangue les peuples. Une noce a des flambeaux, des épithalames, des couronnes suspendues aux portes; une armée, un peuple entier, assistent aux funérailles d'un roi; un serment se fait au nom des Furies, avec des imprécations terribles, etc.

Jacob, sous un palmier, à l'entrée de sa tente, distribue la justice à ses pasteurs. Mettez la main sur ma cuisse', dit Abraham à son serviteur, et jurez d'aller en Mésopotamie. » Deux mots suffisent pour conclure un mariage au bord de la fontaine. Le domestique amène l'accordée au fils de son maître, ou

4. Femur meum. Cette coutume de jurer par la génération des hommes est une naïve image des mœurs des premiers jours du monde, alors que la terre avait encore d'immenses déserts, et que l'homme était pour l'homme ce qu'il y avait de plus cher et de plus grand. Les Grecs connurent aussi cet usage, comme on le voit dans la Vie de Cratès (DIOG, LAERT., lib. IV.)

le fils du maître s'engage à garder pendant sept ans les troupeaux de son beau-père, pour obtenir sa fille. Un patriarche est porté par ses fils, après sa mort, à la cave de ses pères, dans le champ d'Éphron. Ces mœurs-là sont plus vieilles encore que les mœurs homériques, parce qu'elles sont plus simples; elles ont aussi un calme et une gravité qui manquent aux premières. 3o La narration.

La narration d'Homère est coupée par des digressions, des discours, des descriptions de vases, de vêtements, d'armes et de sceptres; par des généalogies d'hommes ou de choses. Les noms propres y sont hérissés d'épithètes; un héros manque rarement d'être divin, semblable aux immortels, ou honoré des peuples comme un dieu. Une princesse a toujours de beaux bras; elle est toujours comme la tige du palmier de Délos, et elle doit sa chevelure à la plus jeune des Gráces.

La narration de la Bible est rapide, sans digression, sans discours : elle est semée de sentences, et les personnages y sont nommés sans flatterie. Les noms reviennent sans fin, et rarement le pronom les remplace, circonstance qui, jointe au retour fréquent de la conjonction et, annonce, par cette simplicité, une société bien plus près de l'état de nature que la société peinte par Homère. Les amours-propres sont déjà éveillés dans les hommes de l'Odyssée; ils dorment encore chez les hommes de là Genèse.

4 Description.

Les descriptions d'Homère sont longues, soit qu'elles tiennent du caractère tendre ou terrible, ou triste, ou gracieux, ou fort, ou sublime.

La Bible, dans tous ces genres, n'a ordinairement qu'un seul trait; mais ce trait est frappant, et met l'objet sous les yeux.

5° Les comparaisons.

Les comparaisons homériques sont prolongées par des circonstances incidentes : ce sont de petits tableaux suspendus au pourtour d'un édifice, pour délasser la vue de l'élévation des

dômes, en l'appelant sur des scènes de paysages et de mœurs champêtres.

Les comparaisons de la Bible sont généralement exprimées en quelques mots : c'est un lion, un torrent, un orage, un incendie, qui rugit, tombe, ravage, dévore. Toutefois elle connaît aussi les comparaisons détaillées; mais alors elle prend un tour oriental, et personnifie l'objet, comme l'orgueil dans le cèdre, etc. 6o Le sublime.

Enfin, le sublime dans Homère naît ordinairement de l'ensemble des parties, et arrive graduellement à son terme.

Dans la Bible il est presque toujours inattendu; il fond sur vous comme l'éclair; vous restez fumant et sillonné par la foudre, avant de savoir comment elle vous a frappé.

Dans Homère, le sublime se compose encore de la magnificence des mots en harmonie avec la majesté de la pensée.

Dans la Bible, au contraire, le plus haut sublime provient souvent d'un contraste entre la grandeur de l'idée et la petitesse, quelquefois même la trivialité, du mot qui sert à la rendre. Il en résulte un ébranlement, un froissement incroyable pour l'âme car lorsque, exalté par la pensée, l'esprit s'élance dans les plus hautes régions, soudain l'expression, au lieu de le soutenir, le laisse tomber du ciel en terre, et le précipite du sein de Dieu dans le limon de cet univers. Cette sorte de sublime, le plus impétueux de tous, convient singulièrement à un Être immense et formidable, qui touche à la fois aux plus grandes et aux plus petites choses.

CHAP. IV. SUITE DU PARALLÈLE DE LA BIBLE

ET D'HOMERE EXEMPLES.

Quelques exemples achèveront maintenant le développement de ce parallèle. Nous prendrons l'ordre inverse de nos premières bases, c'est-à-dire que nous commencerons par les lieux d'oraison, dont on peut citer des traits courts et détachés (tels que le sublime et les comparaisons), pour finir par la simplicité et l'antiquité des mœurs.

Il y a un endroit remarquable par le sublime dans l'Iliade: c'est celui où Achille, après la mort de Patrocle, paraît désarmé sur le retranchement des Grecs, et épouvante les bataillons troyens par ses cris1. Le nuage d'or qui ceint le front du fils de Pélée, la flamme qui s'élève sur sa tête, la comparaison de cette flamme à un feu placé la nuit au haut d'une tour assiégée, les trois cris d'Achille, qui trois fois jettent la confusion dans l'armée troyenne tout cela forme ce sublime homérique, qui, comme nous l'avons dit, se compose de la réunion de plusieurs beaux accidents et de la magnificence des mots.

Voici un sublime bien différent, c'est le mouvement de l'ode dans son plus haut délire.

Prophétie contre la vallée de Vision.

D'où vient que tu montes ainsi en foule sur les toits,

Ville pleine de tumulte, ville pleine de peuple, ville triomphante? Les enfants sont tués, et ils ne sont point morts par l'épée, ils ne sont point tombés par la guerre....

Le Seigneur vous couronnera d'une couronne de maux. Il vous jettera comme une balle dans un champ large et spacieux. Vous mourrez là; et c'est à quoi se réduira le char de votre gloire.

Dans quel monde inconnu le prophète vous jette tout à coup! Où vous transporte-t-il? Quel est celui qui parle, et à qui la parole est-elle adressée? Le mouvement suit le mouvement et chaque verset s'étonne du verset qui l'a précédé. La ville n'est plus un assemblage d'édifices, c'est une femme, ou plutôt un personnage mystérieux, car son sexe n'est pas désigné. Il monte sur les toits pour gémir; le prophète, partageant son désordre, lui dit au singulier, pourquoi montes-tu, et il ajoute, en foule, collectif. Il vous jettera comme une balle dans un champ spacieux, et c'est à quoi se réduira le chur de votre gloire: » voilà des alliances de mots et une poésie bien extraordinaires.

Homère a mille façons sublimes de peindre une mort violente; mais l'Écriture les a toutes surpassées par ce seul mot : « Le premier-né de la mort dévorera sa beauté. »>

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Le premier-né de la mort, pour dire la mort la plus affreuse, est une de ces figures qu'on ne trouve que dans la Bible. On ne sait pas où l'esprit humain a été chercher cela; les routes pour arriver à ce sublime sont inconnues'.

C'est ainsi que l'Écriture appelle encore la mort, le roi des épouvantements; c'est ainsi qu'elle dit, en parlant du méchant : Il a conçu la douleur et enfanté l'iniquité".

Quand le même Job veut relever la grandeur de Dieu, il s'écrie : L'enfer est nu devant ses yeux : — c'est lui qui lie les eaux dans les nuées1 : — il ôte le baudrier aux rois et ceint leurs reins d'une corde.

Le devin Théoclymène, au festin de Pénélope, est frappé des présages sinistres qui les menacent.

Α δειλοί, etc. 6.

Ah! malheureux, que vous est-il arrivé de funeste? quelles ténèbres sont répandues sur vos têtes, sur votre visage et autour de vos genoux débiles? Un hurlement se fait entendre, vos joues sont couvertes de pleurs. Les murs, les lambris sont teints de sang; cette salle, ce vestibule sont pleins de larves qui descendent dans l'Erèbe à travers l'ombre. Le soleil s'évanouit dans le ciel, et la nuit des enfers se lève.

Tout formidable que soit ce sublime, il le cède encore à la vision du livre de Job:

Dans l'horreur d'une vision de nuit, lorsque le sommeil endort le plus profondément les hommes,

Je fus saisi de crainte et de tremblement, et la frayeur pénétra jusqu'à mes os.

Un esprit passa devant ma face, et le poil de ma chair se hérissa d'horreur.

Je vis celui dont je ne connaissais point le visage. Un spectre parut devant mes yeux, et j'entendis une voix comme un petit souffle".

1. JOB, chap. xví, v. 13. Nous avons suivi le sens de l'hébreu avec la Polyglotte de Ximenès, les versions de Sanctes Pagnin, d'Arius Montanus, etc. La Vulgate porte la mort aînée, primogenita mors. 2. Id., chap. xv, v. 35.-3. Id., chap. xxvi, v. 6. -4. Id. chap. xvi, v. 12. 5. Id., chap. XII, v. 18. — 6. Odyss., lib. XX, v. 351-57. 7. JOB chap. iv, v. 13, 14, 45, 46. Les mots en italique indiquent les endroits

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