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<< 3. J'ai cru que je devais aussi, très-excellent Théophile, après avoir été exactement informé de toutes ces choses, depuis leur commencement, vous en écrire par ordre toute

l'histoire. >>

Notre ignorance est telle aujourd'hui, qu'il y a peut-être des - gens de lettres qui seront étonnés d'apprendre que saint Luc est un très-grand écrivain, dont l'évangile respire le génie de l'antiquité grecque et hébraïque. Qu'y a-t-il de plus beau que tout le morceau qui précède la naissance de Jésus-Christ?

<< Au temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, du sang d'Abia : sa femme était aussi de la race d'Aaron; elle s'appelait Élisabeth.

<< Ils étaient tous deux justes devant Dieu.... Ils n'avaient point d'enfants, parce qu'Élisabeth était stérile et qu'ils étaient tous deux avancés en âge. »

Zacharie offre un sacrifice, un ange lui apparaît debout à côté de l'autel des parfums. Il lui prédit qu'il aura un fils, que ce fils s'appellera Jean, qu'il sera le précurseur du Messie, et qu'il réunira le cœur des pères et des enfants. Le même ange va trouver ensuite une vierge qui demeurait en Israël, et lui dit : « Je vous salue, ô pleine de grâce! le Seigneur est avec vous. >> Marie s'en va dans les montagnes de Judée; elle rencontre Élisabeth, et l'enfant que celle-ci portait dans son sein tressaille à la voix de la vierge qui devait mettre au jour le Sauveur du monde. Élisabeth, remplie tout à coup de l'Esprit saint, élève la voix et s'écrie: « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de votre sein sera béni. »

« D'où me vient le bonheur que la mère de mon Sauveur vienne vers moi?

« Car, lorsque vous m'avez saluée, votre voix n'a pas plutôt frappé mon oreille, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. >

Marie entonne alors le magnifique cantique : « 0 mon âme, glorifie le Seigneur! »

L'histoire de la crèche et des bergers vient ensuite. Une

troupe nombreuse de l'armée céleste chante pendant la nuit : Gloire à Dieu dans le ciel, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonte! mot digne des anges, et qui est comme l'abrégé de la religion chrétienne.

Nous croyons connaître un peu l'antiquité, et nous osons assurer qu'on chercherait longtemps chez les plus beaux génies de Rome et de la Grèce avant d'y trouver rien qui soit à la fois aussi simple et aussi merveilleux.

Quiconque lira l'Évangile avec un peu d'attention y découvrira à tous moments des choses admirables, et qui échappent d'abord à cause de leur extrême simplicité. Saint Luc, par exemple, en donnant la généalogie du Christ, remonte jusqu'à la naissance du monde. Arrivé aux premières générations, et continuant à nommer les races, il dit: Cainan qui fuit Henos, qui fuit Seth, qui fuit Adam, qui fuit DEI. Le simple mot qui fuit DEI, jeté là sans commentaire et sans réflexion, pour raconter la création, l'origine, la nature, les fins et le mystère de l'homme, nous semble de la plus grande sublimité.

La religion du fils de Marie est comme l'essence des diverses religions ou ce qu'il y a de plus céleste en elles. On peut peindre en quelques mots le caractère du style évangélique : c'est un ton d'autorité paternelle mêlé à je ne sais quelle indulgence de frère, à je ne sais quelle considération d'un Dieu qui, pour nous racheter, a daigné devenir fils et frère des hommes.

Au reste, plus on lit les épîtres des apôtres, surtout celles de saint Paul, et plus on est étonné: on ne sait quel est cet homme qui, dans une espèce de prône commun, dit familièrement des mots sublimes, jette les regards les plus profonds sur le cœur humain, explique la nature du souverain Être, et prédit l'a

venir.

CHAP. III. PARALLELE DE LA BIBLE ET D'HOMÈRE : TERMES DE COMPARAISON.

On a tant écrit sur la Bible, on l'a tant de fois commentée, que le seul moyen qui reste peut-être auiourd'hui d'en faire

sentir les beautés, c'est de la rapprocher des poèmes d'Homère. Consacrés par les siècles, ces poëmes ont reçu du temps une espèce de sainteté qui justifie le parallèle et écarte toute idée de profanation. Si Jacob et Nestor ne sont pas de la même famille, ils sont du moins l'un et l'autre des premiers jours du monde, et l'on sent qu'il n'y a qu'un pas des palais de Pylos aux tentes d'Ismaël.

Comment la Bible est plus belle qu'Homère; quelles sont les ressemblances et les différences qui existent entre elle et les ouvrages de ce poëte: voilà ce que nous nous proposons de rechercher dans ces chapitres. Considérons ces deux monuments qui, comme deux colonnes solitaires, sont placés à la porte du temple du Génie, et en forment le simple péristyle.

Et d'abord, c'est une chose assez curieuse de voir lutter de front les deux langues les plus anciennes du monde; langues dans lesquelles Moïse et Lycurgue ont publié leurs lois, et Pindare et David chanté leurs hymnes.

L'hébreu, concis, énergique, presque sans inflexion dans ses verbes, exprimant vingt nuances de la pensée par la seule apposition d'une lettre, annonce l'idiome d'un peuple qui, par une alliance remarquable, unit à la simplicité primitive une connaissance approfondie des hommes.

Le grec montre, dans ses conjugaisons perplexes, dans ses inflexions, dans sa diffuse éloquence, une nation d'un génie imitatif et sociable, une nation gracieuse et vaine, mélodieuse et prodigue de paroles.

L'hébreu veut-il composer un verbe, il n'a besoin que de connaître les trois lettres radicales qui forment au singulier la troisième personne du prétérit. Il a à l'instant même tous les temps et tous les modes, en ajoutant quelques lettres serviles avant, après, ou entre les trois lettres radicales.

Bien plus embarrassée est la marche du grec. Il faut considérer la caractéristique, la terminaison, l'augment et la pénultième de certaines personnes des temps des verbes; choses d'autant plus difficiles à connaître, que la caractéristique se perd,

se transpose ou se charge d'une lettre inconnue, selon la lettre même devant laquelle elle se trouve placée.

Ces deux conjugaisons hébraïque et grecque, l'une si simple et si courte, l'autre si composée et si longue, semblent porter l'empreinte de l'esprit et des mœurs des peuples qui les ont formées la première retrace le langage concis du patriarche qui va seul visiter son voisin au puits du palmier; la seconde rappelle la prolixe éloquence du Pélasge qui se présente à la porte de son hôte.

Si vous prenez au hasard quelque substantif grec ou hébreu, vous découvrirez encore mieux le génie des deux langues. Nesher, en hébreu, signifie un aigle : il vient du verbe shur, contempler, parce que l'aigle fixe le soleil. Aigle, en grec, se rend par aletós, vol rapide. Israël a été frappé de ce que l'aigle a de plus sublime : il l'a vu immobile sur le rocher de la montagne, regardant l'astre du jour à son réveil.

Athènes n'a aperçu que le vol de l'aigle, sa fuite impétueuse, et ce mouvement qui convenait au propre mouvement du génie des Grecs. Telles sont précisément ces images de soleil, de feux, de montagnes, si souvent employées dans la Bible, et ces peintures de bruits, de courses, de passages, si multipliées dans Homère 1.

Nos termes de comparaison seront:
La simplicité;

L'antiquité des mœurs;

La narration;

La description;

Les comparaisons ou les images;
Le sublime.

4. Aletó paraît tenir à l'hébreu HAIT, s'élancer avec fureur, à moins qu'on ne le dérive d'ATE, devin; ATH, prodige on retrouverait ainsi l'art de la divination dans une étymologie. L'aquila des Latins vient manifestement de l'hébreu aouike, animal à serres. L'a n'est qu'une terminaison latine; u doit se prononcer ou. Quant à la transposition du k et son changement en q, c'est peu de chose.

Examinons le premier terme.

1° Simplicité.

La simplicité de la Bible est plus courte et plus grave; la simplicité d'Homère plus longue et plus riante.

La première est sentencieuse, et revient aux mêmes locutions pour exprimer des choses nouvelles.

La seconde aime à s'étendre en paroles, et répète souvent dans les mêmes phrases ce qu'elle vient déjà de dire.

La simplicité de l'Écriture est celle d'un antique prêtre qui, plein des sciences divines et humaines, dicte du fond du sanctuaire les oracles précis de la sagesse.

La simplicité du poëte de Chio est celle d'un vieux voyageur qui raconte au foyer de son hôte ce qu'il a appris dans le cours d'une vie longue et traversée.

2° Antiquité des mœurs.

Les fils des pasteurs d'Orient gardent les troupeaux comme le fils des rois d'Ilion; mais, lorsque Pâris retourne à Troie, il habite un palais parmi des esclaves et des voluptés.

Une tente, une table frugale, des serviteurs rustiques, voilà tout ce qui attend les enfants de Jacob chez leur père.

Un hôte se présente-t-il chez un prince dans Homère, des femmes, et quelquefois la fille même du roi, conduisent l'étranger au bain. On le parfume, on lui donne à laver dans des aiguières d'or et d'argent, on le revêt d'un manteau de pourpre, on le conduit dans la salle du festin, on le fait s'asseoir dans une belle chaise d'ivoire, ornée d'un beau marchepied. Des esclaves mêlent le vin et l'eau dans les coupes, et lui présentent les dons de Cérès dans une corbeille : le maître du lieu lui sert le dos succulent de la victime, dont il lui fait une part cinq fois plus grande que celle des autres. Cependant on mange avec une grande joie, et l'abondance a bientôt chassé la faim. Le repas fini, on prie l'étranger de raconter son histoire. Enfin, à son départ, on lui fait de riches présents, si mince qu'ait paru d'abord son équipage; car on suppose que c'est un dieu qui vient, ainsi déguisé, surprendre le cœur des rois, ou

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