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Augustin pense qu'elle va dans un séjour de paix, en attendant qu'elle se réunisse à sa chair incorruptible. Saint Bernard croit qu'elle est reçue dans le ciel, où elle contemple l'humanité de Jésus-Christ, mais non sa divinité, dont elle ne jouira qu'après sa résurrection; dans quelques autres endroits de ses sermons, il assure qu'elle entre immédiatement dans la plénitude du bonheur céleste : c'est le sentiment que l'Église paraît avoir adopté.

Mais comme il est juste que le corps et l'âme, qui ont commis ou pratiqué ensemble ou la faute ou la vertu, souffrent ou soient récompensés ensemble, la religion nous enseigne que celui qui nous tira de la poussière nous en rappellera une seconde fois pour comparaître à son tribunal. L'école stoïque croyait,> ainsi que les chrétiens, à l'enfer, au paradis, au purgatoire et à la résurrection des corps, et l'idée confuse de ce dernier dogme était répandue chez les mages. Les Égyptiens espéraient revivre après avoir passé mille ans dans la tombe; les vers sibyllins parlent de la résurrection, du jugement dernier, etc. ?

Pline, en se moquant de Démocrite, nous apprend quelle était l'opinion de ce philosophe touchant une résurrection: Similis et de asservandis corporibus hominum, ac reviviscendi promissa a Democrito vanitas, qui non vixit ipse.

La résurrection est clairement exprimée dans ces vers de Phocylide, sur la cendre des morts:

Οὐ καλὸν ἁρμονίην ἀναλυέμεν ἀνθρώποιο;

καὶ τάχα δ' ἐκ γαίης ἐλπίζομεν ἐς φάος ἐλθεῖν
λείψαν ̓ ἀποιχομένων, ὀπίσω τε θεοὶ τελέθονται.

Il est impie de disperser les restes de l'homme, car la cendre et les ossements des morts retourneront à la lumière et deviendront semblables aux dieux. »

Virgile parle obscurément du dogme de la résurrection dans le sixième livre de l'Énéide.

Mais comment des atomes dispersés dans les éléments pourront-ils se réunir pour former les mêmes corps? Il y a longtemps

que cette objection a été faite, et la plupart des Pères y ont répondu : « Explique-moi comment tu es, dit Tertullien, et je te dirai comment tu seras. >>

Rien n'est plus frappant et plus formidable que ce moment de la fin des siècles annoncé par le christianisme.

En ce temps-là des signes se manifesteront dans les cieux; le puits de l'abîme s'ouvrira; les sept anges verseront les sept coupes pleines de la colère; les peuples s'entre-tueront; les mères entendront leurs fruits se plaindre dans leur sein, et la Mort parcourra les royaumes sur son cheval pâle'.

Cependant la terre chancelle sur ses bases, la lune se couvre d'un voile sanglant, les astres pendent à demi détachés de leur voûte : l'agonie du monde commence. Tout à coup l'heure fatale vient à frapper; Dieu suspend les flots de la création, et le monde a passé comme un fleuve tari.

Alors se fait entendre la trompette de l'ange du jugement; il crie: Morts, levez-vous! Surgite, mortui! Les sépulcres se fendent, le genre humain sort du tombeau, et les races s'assemblent dans Josaphat.

Le Fils de l'Homme apparaît sur les nuées; les puissances de l'enfer remontent du fond de l'abîme pour assister au dernier arrêt prononcé sur les siècles; les boucs et les brebis sont séparés; les méchants s'enfoncent dans le gouffre, les justes montent dans les cieux; Dieu rentre dans son repos, et partout règne l'éternité.

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On demande quelle est cette plénitude de bonheur céleste promise à la vertu par le christianisme; on se plaint de sa trop grande mysticité : « Du moins, dans le système mythologique, dit-on, on pouvait se former une image des plaisirs des ombres heureuses; mais comment comprendre la félicité des élus? > Fénelon l'a cependant devinée, cette félicité, lorsqu'il fait 4. Apoc., cap. vi, 8.

descendre Télémaque au séjour des Mânes: son Élysée est visiblement un paradis chrétien. Comparez sa description à l'Elysée de l'Enéide, et vous verrez quels progrès le christianisme a fait faire à la raison et au cœur de l'homme.

Une lumière pure et douce se répand autour du corps de ces hommes justes, et les environne de ses rayons comme d'un vêtement: cette lumière n'est point semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n'est que ténèbres; c'est plutôt une gloire céleste qu'une lumière: elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais que les rayons du soleil ne pénètre le plus pur cristal: elle n'éblouit jamais; au contraire, elle fortifie les yeux et porte dans le fond de l'âme je ne sais quelle sérénité : c'est d'elle seule que les hommes bienheureux sont nourris; elle sort d'eux et elle y entre elle les pénètre et s'incorpore à eux comme les aliments s'incorporent à nous. Ils la voient, ils la sentent, ils la respirent; elle fait naître en eux une source intarissable de paix et de joie : ils sont plongés dans cet abîme de délices comme les poissons dans la mer; ils ne veulent plus rien; ils ont tout sans rien avoir; car le goût de lumière pure apaise la faim de leur cœur..

Une jeunesse éternelle, une félicité sans fin, une gloire toute divine est peinte sur leur visage; mais leur joie n'a rien de folâtre ni d'indécent : c'est une joie douce, noble, pleine de majesté c'est un goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte ils sont sans interruption, à chaque moment dans le même saisissement de cœur où est une mère qui revoit son cher fils qu'elle avait cru mort; et cette joie, qui échappe bientôt à la mère, ne s'enfuit jamais du cœur de ces hommes'. >

Les plus belles pages du Phédon sont moins divines que cette peinture; et cependant Fénelon, resserré dans les bornes de sa fiction, n'a pu attribuer aux ombres tout le bonheur qu'il eût retracé dans les véritables élus2.

4. Liv. xxx. — 2. Voy. aussi le Sermon sur le ciel, par l'abbé POULLB

Le plus pur de nos sentiments dans ce monde, c'est l'admiration; mais cette admiration terrestre est toujours mêlée de faiblesse, soit dans l'objet qui admire, soit dans l'objet admiré. Qu'on imagine donc un être parfait, source de tous les êtres, en qui se voit clairement et saintement tout ce qui fut, est et sera; que l'on suppose en même temps une âme exempte d'envie et de besoins, incorruptible, inaltérable, infatigable, capable d'une attention sans fin; qu'on se la figure contemplant le ToutPuissant, découvrant sans cesse en lui de nouvelles connaissances et de nouvelles perfections, passant d'admiration en admiration, et ne s'apercevant de son existence que par le sentiment prolongé de cette admiration même; concevez de plus Dieu comme souveraine beauté, comme principe universel d'amour; représentez-vous toutes les amitiés de la terre venant se perdre ou se réunir dans cet abîme de sentiments, ainsi que des gouttes d'eau dans la mer, de sorte que l'âme fortunée aime Dieu uniquement, sans pourtant cesser d'aimer les amis qu'elle eut ici-bas; persuadez-vous enfin que le prédestiné a la conviction intime que son bonheur ne finira point: alors vous aurez une idée, à la vérité très-imparfaite, de la félicité des justes; alors vous comprendrez que tout ce que le cœur des bienheureux peut faire entendre, c'est ce cri: Saint! Saint! Saint! qui meurt et renaît éternellement dans l'extase éternelle des cieux.

SECONDE PARTIE.

POÉTIQUE DU CHRISTIANISME.

LIVRE PREMIER.

VUE GÉNÉRALE DES ÉPOPÉES CHRÉTIENNES.

CHAPITRE PREMIER.—QUE LA POÉTIQUE DU CHRISTIANISME SE DIVISE EN TROIS BRANCHES : POÉSIE, BEAUX-ARTS, LITTERATURE.

Que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement

de la poésie.

Le bonheur des élus, chanté par l'Homère chrétien, nous mène naturellement à parler des effets du christianisme dans la poésie. En traitant du génie de cette religion, comment pourrions-nous oublier son influence sur les lettres et sur les arts? influence qui a, pour ainsi dire, changé l'esprit bumain, et créé dans l'Europe moderne des peuples tout différents des peuples antiques.

Les lecteurs aimeront peut-être à s'égarer sur Oreb et Sinaï, sur les sommets de l'Ida et du Taygète, parmi les fils de Jacob et de Priam, au milieu des dieux et des bergers. Une voix poétique s'élève des ruines qui couvrent la Grèce et l'Idumée, et crie de loin au voyageur: « Il n'est que deux belles sortes de noms et de souvenirs dans l'histoire, ceux des Israélites et des Pélasges. »

Les douze livres que nous avons consacrés à ces recherches littéraires composent, comme nous l'avons dit, la seconde et la troisième partie de notre ouvrage, et séparent les six livres du dogme des six livres du culte.

Nous jetterons d'abord un coup d'œil sur les poëmes où la

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