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mer, celui qui la lira n'y puisse rien comprendre. Toutes choses sont autour de leur roi; elles sont à cause de lui, et il est seul la cause des bonnes choses, second pour les secondes, et troisième pour les troisièmes.

<< Dans l'Épinomis et ailleurs, il établit pour principe le premier bien, le Verbe ou l'entendement, et l'âme. Le premier bien, c'est Dieu;... le Verbe, ou l'entendement, c'est le fils de ce premier bien qui l'a engendré semblable à lui; et l'âme, qui est le terme entre le Père et le Fils, c'est le Saint-Esprit 1. >

Platon avait emprunté cette doctrine de la Trinité de Timée de Locres, qui la tenait lui-même de l'école Italique. Marsile Ficin dans une de ses remarques sur Platon, montre, d'après Jamblique, Porphyre, Platon et Maxime de Tyr, que les pythagoriciens connaissaient aussi l'excellence du Ternaire; Pythagore l'a même indiqué dans ce symbole :

Πρότιμα τὸ σχῆμα, καὶ βῆμα, καὶ Τριώβολον.

Honorato in primis habitum, tribunal, et Triobolum.

Aux Indes, la Trinité est connue.

Ce que j'ai vu de plus marqué et de plus etonnant dans ce genre, dit le P. Calmette, c'est un texte tiré de Lamaastambam, l'un de leurs livres.... Il commence ainsi : Le Seigneur, le bien, le grand Dieu, dans sa bouche est la parole. (Le terme dont ils se servent la personnifie.) Il parle ensuite du SaintEsprit en ces termes : Ventus seu Spiritus perfeclus, et finit par la création, en l'attribuant à un seul Dieu 2. »

Au Thibet.

<< Voici ce que j'appris de la religion du Thibet : ils appellent Dieu Konciosa, et ils semblent avoir quelque idée de l'adorable Trinité, car tantôt ils le nomment Koncikocick, Dieu-un ; et tantôt Koncioksum, Dieu-trin. Ils se servent d'une espèce de chapelet, sur lequel ils prononcent ces paroles: om, ha, hum. Lorsqu'on leur en demande l'explication, ils répondent que om signifie

1. OEuvres de Platon, traduites par DACIER, tome I, page 194. 2. Lettres édifiantes, tome xiv, page 9.

intelligence, ou bras, c'est-à-dire puissance; que ha est la parole; que hum est le cœur ou l'amour; et que ces trois mots signifient Dieu 1. »

Les missionnaires anglais à O-Taïti ont trouvé quelques traces de la Trinité parmi les dogmes religieux des habitants de cette île.

Nous croyons d'ailleurs entrevoir dans la nature même une sorte de preuve physique de la Trinité. Elle est l'archétype de l'univers, ou, si l'on veut, sa divine charpente. Ne serait-il pas possible que la forme extérieure et matérielle participât de l'arche intérieure et spirituelle qui la soutient, de même que Platon représentait les choses corporelles comme l'ombre des pensées de Dieu? Le nombre de TROIS semble être dans la nature le nombre par excellence. Le TROIS n'est point engendré, et engendre toutes les autres fractions, ce qui le faisait appeler le nombre sans mère par Pythagore 2.

On peut découvrir quelque tradition obscure de la Trinité jusque dans les fables du polythéisme.

Les Grâces l'avaient prise pour leur terme; elle existait au Tartare, pour la vie et la mort de l'homme, et pour la vengeance céleste; enfin trois dieux frères composaient, en se réunissant, la puissance entière de l'univers.

Les philosophes divisaient l'homme moral en trois parts; et les Pères de l'Église ont cru retrouver l'image de la Trinité spirituelle dans l'âme de l'homme.

<< Si nous imposons silence à nos sens, dit Bossuet, et que

1. Lettres édifiantes, tome xii, page 437.

2. HIER., Comm. in Pyth. Le 3, simple par lui-même, est le scul nombre qui se compose de simples, et qui fournit un nombre simple en se décomposant: vous ne pouvez composer un autre nombre complexe sans le 3, excepté le 2. Les générations du 3 sont magnifiques et tiennent à cette puissante unité qui est le premier anneau de la chaîne des nombres et qui remplit l'univers. Les anciens faisaient un fort grand usage des nombres pris métaphysiquement; et il ne faut pas se hâter de prononcer que Pythagore, Platon, et les prêtres égyptiens dont ils tiraient cette science, fussent des fous ou des imbéciles.

nous nous renfermions pour un peu de temps au fond de notre âme, c'est-à-dire dans cette partie où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée du Fils de Dieu, conçu éternellement dans l'intelligence du Père céleste. C'est pourquoi ce Fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu'il naît dans le sein du Père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons, quand nous contemplons la vérité.

<< Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure, et l'esprit où elle naît; et, en l'aimant, nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l'un et de l'autre, qui les unit, qui s'unit à eux et ne fait avec eux qu'une même vie.

« Ainsi, autant qu'il se peut trouver de rapport entre Dieu et l'homme, ainsi, dis-je, se produit en Dieu l'amour éternel, qui sort du Père qui pense et du Fils qui est sa pensée, pour faire, avec lui et sa pensée, une même nature également heureuse et parfaite1.>

Voilà un assez beau commentaire, à propos d'un seul mot de la Genèse Faisons l'homme.

:

Tertullien, dans son Apologétique, s'exprime ainsi sur le grand mystère de notre religion :

« Dieu a créé le monde par sa parole, sa raison et sa puissance. Vos philosophes même conviennent que logos, le verbe et la raison, est le créateur de l'univers. Les chrétiens ajoutent seulement que la propre substance du verbe et de la raison, cette substance par laquelle Dieu a tout produit, est esprit; que

4. Boss., Hist. univ., sec. part., page 167 et 168, tome 1, édit. stér.

cette parole, ou le verbe, a dû être prononcé par Dieu; que Dieu, l'ayant prononcé, l'a engendré ; que conséquemment il est Fils de Dieu, et Dieu, à cause de l'unité de substance. Si le soleil prolonge un rayon, sa substance n'est pas séparée, mais étendue. Ainsi, le verbe est esprit d'un esprit, et Dieu de Dieu, comme une lumière allumée d'une autre lumière. Ainsi, ce qui procède de Dieu est Dieu, et les deux, avec leur esprit, ne font qu'un; différant en propriété, non en nombre; en ordre, non en nature: le Fils est sorti de son principe sans le quitter. Or, ce rayon de Dieu est descendu dans le sein d'une vierge; il s'est revêtu de chair; il s'est fait homme uni à Dieu. Cette chair, soutenue de l'esprit, se nourrit, croît. Darle, enseigne, opère: c'est le Christ. »

Cette démonstration de la Trinité peut etre comprise par les esprits les plus simples. Il se faut souvenir que Tertullien parlait à des hommes qui persécutaient Jésus-Christ, et qui n'auraient pas mieux aimé que de trouver moyen d'attaquer la doctrine, et même la personne de ses défenseurs. Nous ne pousserons pas plus loin ces preuves, et nous les abandonnons à ceux qui ont étudié la secte Italique et la haute théologie chrétienne.

Quant aux images qui soumettent à la faiblesse de nos sens le plus grand des mystères, nous avons peine à concevoir ce que le redoutable triangle de feu imprimé dans la nue peut avoir de ridicule en poésie. Le Père, sous la figure d'un vieillard, ancêtre majestueux des temps, ou représenté comme une effusion de lumière serait-il donc une peinture si inférieure à celles de la mythologie? N'est-ce pas une chose merveilleuse de voir l'Esprit saint, l'esprit sublime de Jéhovah, porté par l'emblème de la douceur, de l'amour et de l'innocence? Dieu se sent-il travaillé du besoin de semer sa parole? L'Esprit n'est plus cette colombe qui couvrait les hommes de ses ailes de paix : c'est un Verbe visible, c'est une langue de feu qui parle tous les dialectes de la terre, et dont l'éloquence élève ou renverse des empires.

Pour peindre le Fils divin, il nous suffira d'emprunter les

paroles de celui qui le contempla dans sa gloire. « Il était assis sur un trône, dit l'Apôtre; son visage brillait comme le soleil dans sa force, et ses pieds comme de l'airain fondu dans la fournaise; ses yeux étaient deux flammes. Un glaive à deux tranchants sortait de sa bouche; dans la main droite il tenait sept. étoiles; dans la gauche, un livre scellé de sept sceaux. Un fleuve de lumière était devant ses lèvres. Les sept esprits de Dieu brillaient devant lui comme sept lampes, et de son marchepied sortaient des voix, des foudres et des éclairs1. »

CHAP. IV. SUITE DES MYSTÈRES DE LA RÉDEMPTION.

De même que la Trinité renferme les secrets de l'ordre métaphysique, la Rédemption contient les merveilles de l'homme et l'histoire de ses fins et de son cœur. Avec quel étonnement, si l'on s'arrêtait un peu dans de si hautes méditations, ne verrait-on pas s'avancer ces deux mystères, qui cachent dans leurs ombres les premières intentions de Dieu et le système de l'univers! La Trinité confond notre petitesse, accable nos sens de sa gloire, et nous nous retirons anéantis devant elle. Mais la touchante Rédemption, en remplissant nos yeux de larmes, les empêche d'être trop éblouis, et nous permet du moins de les fixer un moment sur la croix.

On voit d'abord sortir de ce mystère la doctrine du péché originel, qui explique l'homme. Sans l'admission de cette vérité, connue par tradition de tous les peuples, une nuit impénétrable nous couvre. Comment, sans la tache primitive, rendre compte du penchant vicieux de notre nature, combattu par une voix qui nous annonce que nous fùmes formés pour la vertu? Comment l'aptitude de l'homme à la douleur, comment ses sueurs qui fécondent un sillon terrible, comment les larmes, les chagrins, les malheurs du juste, comment les triomphes et les succès impunis du méchant, comment, dis-je, sans une chute première, tout cela pourrait-il s'expliquer? C'est pour avoir mé

4. Apoc., cap. I et IV.

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