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être sage, il faudra peut-être que la Divinité soit médiocre; l'infini sera un attribut que nous lui retrancherons : tout ce qui sera immense sera rejeté. Nous dirons : « Cela est de trop dans la nature,» parce que notre esprit ne pourra le comprendre. Et que si Dieu s'avise de placer plus d'un certain nombre de soleils dans la voûte céleste, nous tiendrons l'excédant comme non avenu; et, en conséquence de cette prodigalité d'univers, nous déclarerons le Créateur convaincu de folie et d'impuissance.

Considérés en eux-mêmes, quelle que soit la difformité de ces êtres que nous appelons des monstres, on peut encore reconnaître, sous leurs horribles traits, quelques marques de la bonté divine. Un crocodile, un serpent, ne sont pas moins tendres pour leurs petits qu'un rossignol, une colombe. C'est d'abord un contraste miraculeux et touchant de voir un crocodile bâtir un nid et pondre un œuf comme une poule, et un petit monstre sortir d'un coquille comme un poussin. La femelle du crocodile montre ensuite pour sa famille la plus tendre sollicitude. Elle se promène entre les nids de ses sœurs, qui forment des cônes d'œufs et d'argile, et qui sont rangés comme les tentes d'un camp au bord d'un fleuve. L'amazone fait une garde vigilante, et laisse agir les feux du jour; car, si la délicate affection de la mère est comme représentée par l'œuf du crocodile, la force et les mœurs de ce puissant animal se peignent, pour ainsi dire, dans le soleil qui couve cet œuf et dans le limon qui lui sert de levain. Aussitôt qu'une des meules a germé, la femelle prend sous sa protection les monstres naissants: ce ne sont pas toujours ses propres fils; mais elle fait, par ce moyen, l'apprentissage de la maternité, et rend son habileté égale à ce que sera sa tendresse. Quand enfin sa famille vient à éclore, elle la conduit au fleuve, la lave dans une eau pure, lui apprend à nager, pêche pour elle de petits poissons, et la protége contre les måles, qui veulent souvent la dévorer.

Un Espagnol des Florides nous a conté qu'ayant enlevé la couvée d'un crocodile, et la faisant emporter dans un panier par des nègres, la femelle le suivit avec des cris pitoyables. On

posa deux des petits à terre; la mère aussitôt se mit à les pousser avec ses mains et son museau, tantôt se tenant derrière eux pour les défendre, tantôt marchant à leur tête pour leur montrer le chemin. Les petits se traînaient, en gémissant, sur les traces de leur mère, et ce reptile énorme, qui naguère ébranlait le rivage de ses rugissements, faisait alors entendre une sorte de bêlement aussi doux que celui d'une chèvre qui allaite ses chevreaux. Le serpent à sonnettes le dispute au crocodile en affection maternelle : ce reptile, qui donne aux hommes des leçons de générosité', leur en donne encore de tendresse. Quand sa famille est poursuivie, il la reçoit dans sa gueule; peu content des lieux où il la pourrait cacher, il la fait rentrer en lui, ne trouvant point pour des enfants d'asile plus sûr que le sein d'une mère. Exemple d'un dévouement sublime, il ne survit point à la perte de ses petits; car, pour les lui ravir, il faut les arracher de ses entrailles.

Parlerons-nous du poison de ce serpent, toujours plus violent au temps où il a une famille? Raconterons-nous la tendresse de l'ourse, qui, semblable à la femme sauvage, pousse l'amour maternel jusqu'à allaiter ses enfants après leur mort?

Qu'on suive ces prétendus monstres dans leurs instincts; qu'on étudie leurs formes, leurs armures; qu'on fasse attention à l'anneau qu'ils occupent dans la chaîne de la création; qu'on les examine dans leurs propres rapports et dans ceux qu'ils ont avec l'homme, nous osons assurer que les causes finales sont peut-être pius visibles dans cette classe d'êtres qu'elles ne le sont dans les espèces plus favorisées de la nature : de même que dans un ouvrage barbare les traits de génie brillent davantage au milieu des ombres qui les environnent.

L'objection que l'on fait contre les lieux que ces monstres habitent ne nous paraît pas mieux fondée. Les marais, tout nuisibles qu'ils semblent, ont cependant de grandes utilités. Ce sont les urnes des fleuves dans les pays de plaines, et les réservoirs

4. Il n'attaque jamais le premier,

des pluies dans les contrées éloignées de la mer. Leur limon et les cendres de leurs herbes fournissent des engrais aux laboureurs ; leurs roseaux donnent le feu et le toit à de pauvres familles; frêle couverture, en harmonie avec la vie de l'homme, et qui ne dure pas plus que nos jours.

Ces lieux ont même une certaine beauté qui leur est propre : frontière de la terre et de l'eau, ils ont des végétaux, des sites et des habitants particuliers; tout y participe du mélange des deux éléments. Les glaïeuls tiennent le milieu entre l'herbe et l'arbuste, entre le poireau des mers et la plante terrestre ; quelques-uns des insectes fluviatiles ressemblent à de petits oiseaux: quand la demoiselle, avec son corsage bleu et ses ailes transparentes, se repose sur la fleur du nénufar blanc, on croirait voir l'oiseau-mouche des Florides sur une rose de magnolia. En automne, ces marais sont plantés de joncs desséchés, qui donnent à la stérilité même l'air des plus opulentes moissons; au printemps, ils présentent des bataillons de lances verdoyantes. Un bouleau, un saule isolé où la brise a suspendu quelques flocons de plumes, domine ces mouvantes campagnes; le vent glissant sur ces roseaux incline tour à tour leurs cimes: l'une s'abaisse, tandis que l'autre se relève, puis soudain, toute la forêt venant à se courber à la fois, on découvre ou le butor doré, ou le héron blanc, qui se tient immobile sur une longue patte comme sur un épieu.

CHAP. XI. - DES PLANTES ET DE LEURS MIGRATIONS.

Nous entrons à présent dans ce règne où les merveilles de la nature prennent un caractère plus riant et plus doux. En s'élevant dans les airs et sur le sommet des monts, on dirait que les plantes empruntent quelque chose du ciel, dont elles se rapprochent. On voit souvent par un profond calme, au lever de l'aurore, les fleurs d'une vallée immobiles sur leurs tiges; elles se penchent de diverses manières, et regardent tous les points de 'horizon. Dans ce moment même où il semble que tout est tranquille, un mystère s'accomplit: la nature conçoit, et ces

plantes sont autant de jeunes mères tournées vers la région mystérieuse d'où leur doit venir la fécondité. Les sylphes ont des sympathies moins aériennes, des communications moins invisibles le narcisse livre aux ruisseaux sa race virginale, la violette confie aux zéphyrs sa modeste postérité, une abeille cueille du miel de fleurs en fleurs, et, sans le savoir, féconde toute une prairie: un papillon porte un peuple entier sur son aile. Cependant les amours des plantes ne sont pas également tranquilles; il en est d'orageuses comme celles des hommes: il faut des tempêtes pour marier sur des hauteurs inaccessibles le cèdre du Liban au cèdre du Sinaï, tandis qu'au bas de la montagne, le plus doux vent suffit pour établir entre les fleurs un commerce de volupté. N'est-ce pas ainsi que le souffle des passions agite les rois de la terre sur leurs trônes, tandis que les bergers vivent heureux à leurs pieds?

La fleur donne le miel: elle est la fille du matin, le charme du printemps, la source des parfums, la grâce des vierges, l'amour des poëtes; elle passe vite comme l'homme, mais elle rend doucement ses feuilles à la terre. Chez les anciens, elle couronnait la coupe du banquet et les cheveux blancs du sage; les premiers chrétiens en couvraient les martyrs et l'autel des catacombes; aujourd'hui, et en mémoire de ces antiques jours, nous la mettons dans nos temples. Dans le monde, nous attribuons nos affections à ses couleurs : l'espérance à sa verdure, l'innocence à sa blancheur, la pudeur à ses teintes de rose : il y a des nations entières où elle est l'interprète des sentiments; livre charmant qui ne renferme aucune erreur dangereuse, et ne garde que l'histoire fugitive des révolutions du cœur!

En mettant les sexes sur des individus différents dans plusieurs familles de plantes, la Providence a multiplié les mystères et les beautés de la nature. Par là la loi des migrations se reproduit dans un règne qui semblait dépourvu de toute faculté de se mouvoir. Tantôt c'est la graine ou le fruit, tantôt c'est une portion de la plante ou même la plante entière qui voyage. Les cocotiers croissent souvent sur des rochers au milieu de la

mer: quand la tempête survient, leurs fruits tombent, et les flots les roulent à des côtes inhabitées, où ils se transforment en beaux arbres, symbole de la vertu qui s'élève sur des écueils exposés aux orages: plus elle est battue des vents, plus elle prodigue de trésors aux hommes.

On nous a montré au bord de l'Yar, petite rivière du comté de Suffolk en Angleterre, une espèce de cresson fort curieux : il change de place, et s'avance comme par bonds et par sauts. Il porte plusieurs chevelus dans ses cimes; lorsque ceux qui se trouvent à l'une des extrémités de la masse sont assez longs pour atteindre au fond de l'eau, ils y prennent racine. Tirées par l'action de la plante qui s'abaisse sur son nouveau pied, les griffes du côté opposé lâchent prise, et la cressonnière, tournant sur son pivot, se déplace de toute la longueur de son banc. Le lendemain on cherche la plante dans l'endroit où on l'a laissée la veille, et on l'aperçoit plus haut ou plus bas sur le cours de l'onde, formant, avec le reste des familles fluviatiles, de nouveaux effets et de nouvelles harmonies. Nous n'avons vu ni la floraison ni la fructification de ce cresson singulier, que nous avons nommé MIGRATOR, voyageur, à cause de nos propres destinées. Les plantes marines sont sujettes à changer de climat; elles semblent partager l'esprit d'aventure de ces peuples insulaires, que leur position géographique a rendus commerçants. Le fucus giganteus sort des antres du Nord, avec les tempêtes; il s'avance sur la mer, en enfermant dans ses bras des espaces immenses. Comme un filet tendu de l'un à l'autre rivage de l'Océan, il entraîne avec lui les moules, les phoques, les raies, les tortues qu'il prend sur sa route. Quelquefois, fatigué de nager sur les va gues, il allonge un pied au fond de l'abîme, et s'arrête debout; puis, recommençant sa navigation avec un vent favorable, après avoir flotté sous mille latitudes diverses, il vient tapisser les côtes du Canada des guirlandes enlevées aux rochers de la Norvége.

Les migrations des plantes marines, qui, au premier coup d'œil, ne paraissaient que de simples jeux du hasard, ont cependant des relations touchantes avec l'homme.

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