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sons et des oiseaux que dans celle des quadrupèdes, à cause de la multiplicité des premiers et de la facilité de leurs voyages à travers deux éléments qui enveloppent la terre; il n'y a d'étonnant que la manière dont ils abordent, sans s'égarer, aux rivages qu'ils cherchent. On conçoit qu'un animal, chassé par la faim, abandonne le pays qu'il habite, en quête de nourriture et d'abri; mais conçoit-on que la matière le fasse aller ici plutôt que là, et le conduise, avec une exactitude miraculeuse, précisément au lieu où se trouvent cette nourriture et cet abri? Pourquoi connaît-il les vents et les marées, les équinoxes et les solstices? Nous ne doutons point que, si les races voyageuses étaient un seul moment abandonnées à leur propre instinct, elles ne périssent presque toutes. Celles-ci, en voulant passer dans les latitudes froides, arriveraient sous les tropiques; celleslà, en comptant se rendre à la ligne, se trouveraient sous le pôle. Nos rouges-gorges, au lieu de traverser l'Alsace et la Germanie en cherchant de petits insectes, deviendraient euxmêmes en Afrique la proie de quelque énorme scarabée; le Groenlandais entendrait une plainte sortir des rochers, et verrait un oiseau grisâtre chanter et mourir : ce serait la pauvre Philomèle.

Dieu ne permet pas de pareilles méprises. Tout a ses convenances et ses rapports dans la nature aux fleurs les zéphyrs, aux hivers les tempêtes, au cœur de l'homme la douleur. Les plus habiles pilotes manqueront longtemps le port désiré, avant que le poisson se trompe sur la longitude du moindre des écueils de l'abîme la Providence est son étoile polaire; et, quelque part qu'il se dirige, il aperçoit toujours cet astre qui ne se couche jamais.

L'univers est comme une immense hôtellerie, où tout est sans cesse en mouvement. On en voit sortir, on y voit entrer une multitude de voyageurs. Il n'y a peut-être rien de plus beau, dans les migrations des quadrupèdes, que les voyages des bisons à travers les savanes de la Louisiane et du NouveauMexique. Quand le temps de changer de climat est venu, pour

aller porter l'abondance à des peuples sauvages, quelque buffle, conducteur des troupeaux du désert, appelle autour de lui ses fils et ses filles. Le rendez-vous est au bord du Meschacebé; l'instant de la marche est fixé vers la fin du jour. La troupe s'assemble, le moment arrive. Le chef, secouant sa crinière, qui pend de toutes parts sur ses yeux et ses cornes recourbées, salue le soleil couchant en baissant la tête et en élevant son dos comme une montagne; un bruit sourd, signal du départ, sort en même temps de sa profonde poitrine, et tout à coup il plonge dans les vagues écumantes, suivi de la multitude des génisses et des taureaux qui mugissent d'amour après lui.

Tandis que cette puissante famille de quadrupèdes traverse à grand bruit les fleuves et les forêts, une flotte paisible, sur un lac solitaire, vogue en silence à la faveur des zéphyrs et à la clarté des étoiles. De petits écureuils noirs, après avoir dépouillé les noyers du voisinage, se sont résolus à chercher fortune et à s'embarquer pour une autre forêt. Aussitôt, élevant leurs queues et déployant au vent cette voile de soie, la race hardie tente fièrement l'inconstance des ondes, pirates imprudents que l'amour des richesses transporte. La tempête se lève, la flotte va périr. Elle essaye de gagner le havre prochain; mais quelquefois une armée de castors s'oppose à la descente, dans la crainte que ces étrangers ne viennent piller les moissons. En vain les légers escadrons débarqués se sauvent en montant sur les arbres et insultent du haut de ses remparts à la marche pesante des ennemis. Le génie l'emporte sur la ruse: des sapeurs s'avancent, minent le chêne et le font tomber avec tous ses écureuils, comme une tour chargée de soldats, abattue par le bélier autique.

Il arrive bien d'autres malheurs à nos aventuriers, qui s'en consolent avec quelques fruits et quelques jeux : Athènes, prise par les Lacédémoniens, n'en fut ni moins aimable ni moins frivole. En remontant la rivière du Nord, sur le paquebot de New-York à Albany, nous vimes un de ces infortunés qui essayait inutilement de traverser le fleuve. On le retira de l'eau

demi-noyé; il était charmant, d'un noir d'ébène, et sa queue avait deux fois la longueur de son corps; il fut rendu à la vie, mais il perdit la liberté une jeune passagère en fit son esclave. Les rennes du nord de l'Europe, les caribous et les orignaux de l'Amérique septentrionale ont leur temps de migrations, toujours correspondant aux besoins de l'homme. Il n'y a pas jusqu'aux ours blancs de Terre-Neuve, dont la fourrure est si nécessaire aux Esquimaux, qui ne soient envoyés à ces sauvages par une Providence miraculeuse. Ces monstres marins abordent aux côtes du Labrador, sur des glaces flottantes ou sur des débris de navires, où ils se tiennent comme de forts matelots sauvés du naufrage.

Les éléphants voyagent aussi en Asie; la terre tremble sous leurs pas; et cependant il n'y a rien à craindre: chaste, intelligent, sensible, Behmot est doux, parce qu'il est fort; paisible, parce qu'il est puissant'. Premier serviteur de l'homme, et non son esclave, il tient le second rang dans l'ordre de la création après la chute originelle, les animaux s'éloignèrent du toit de l'homme; mais on pourrait croire que les éléphants, naturellement généreux, se retirèrent avec le plus de regret, car ils sont toujours restés aux environs du berceau du monde. Ils sortent de temps en temps de leur désert, et s'avancent

1. Les plumes éloquentes qui ont décrit les mœurs de ces animaux nous dispensent de nous étendre sur ce sujet. Nous dirons seulement que les éléphants ne nous paraissent d'une structure si étrange que parce que nous les voyons séparés des végétaux, des sites, des eaux, des montagnes, des couleurs, de la lumière, des ombres et des cieux qui leur sont propres. Les productions de nos latitudes, mesurées sur une petite échelle, les formes généralement rondes des objets, la finesse de nos herbes, la dentelure légère de nos feuillages, l'élégance du port de nos arbres, nos jours trop pâles, nos nuits trop fraîches, les teintes trop fuyardes de nos verdures; enfin la couleur même, le vêtement, l'architecture de l'Européen, n'ont aucune concordance avec l'éléphant. Si les voyageurs observaient plus exactement, nous saurions comment ce quadrupède se marie à la nature qui le produit. Pour nous, nous croyons entrevoir quelquesunes de ces relations. La trompe de l'éléphant, par exemple, a des rapports marqués avec les cierges, les aloès, les lianes, les rotins, et, dans

vers un pays habité, afin de remplacer leurs compagnons morts, sans se reproduire, au service des fils d'Adam.

CHAP. X. — AMPHIBIES ET REPTILES.

On trouve au pied des monts Apalaches, dans les Florides, des fontaines qu'on appelle puits naturels. Chaque puits est creusé au centre d'un monticule planté d'orangers, de chênes verts et de catalpas. Ce monticule s'ouvre en forme de croissant, du côté de la savane, et un courant d'eau sort du puits par cette ouverture. Les arbres, en s'inclinant sur la fontaine, rendent sa surface toute noire au-dessous; mais, à l'endroit où la courant d'eau s'échappe de la base du cône, un rayon du jour, pénétrant par le lit du canal, tombe sur un seul point de miroir de la fontaine, qui imite l'effet de la glace dans la chambre obscure du peintre. Cette charmante retraite est ordinairement habitée par un énorme crocodile qui se tient immobile au mi. lieu du bassin': à son écaille verdoyante, à ses larges naseaux qui lancent les ondes en deux ellipses colorées, vous le pren driez pour un dragon de bronze dans quelque grotte des bosquets de Versailles.

Les crocodiles ou caïmans des Florides ne vivent pas toujours solitaires. Dans certain temps de l'année, ils s'assemblent

le règne animal, avec les longs serpents des Indes; ses oreilles sont taillées comme les feuilles du figuier oriental; sa peau est écailleuse, molle, et pourtant rigide comme la bourre qui enveloppe une partie du tronc du palmier, ou plutôt comme la filasse ligneuse du coco; beaucoup de plantes grasses des tropiques s'appuient sur la terre comme ses pieds, et en ont la forme lourde et carrée; son cri est à la fois grêle et fort comme celui du Cafre, comme le cri de guerre du Cipaye. Lorsque, couvert de riches tapis, chargé d'une tour semblable aux minarets d'une pagode, l'éléphant apporte quelque pieux monarque aux débris de ces temples qu'on trouve dans la presqu'île des Indes, la colonne de ses pieds, sa figure irrégulière, sa pompe barbare, s'allient avec cette architecture colossale formée de quartiers de roches entassés les uns sur les autres la bête et le monument en ruine sem lent être deux restes du temps des géants.

4. Voy. BARTRAM, Voyage dans les Carolines et dans les Florides,

en troupes et se mettent en embuscade pour attaquer des voya geurs qui doivent arriver de l'Océan. Lorsque ceux-ci ont remonté les fleuves, que l'eau manque à leur multitude, qu'ils meurent échoués sur les rivages et menacent de répandre la peste dans l'air, la Providence les livre tout à coup à une armée de quatre ou cinq mille crocodiles. Les monstres, poussant un cri et faisant claquer leurs mâchoires, fondent sur les étrangers. Bondissant de toutes parts, les combattants se joignent, se saisissent, s'entrelacent. Ils se plongent au fond des gouffres, se roulent dans les limons, remontent à la surface de l'eau. Le fleuve, taché de sang, se couvre de corps mutilés et à entrailles fumantes. Rien ne peut donner une idée de ces scènes extraordinaires décrites par les voyageurs, et que le lecteur est toujours tenté de prendre pour de vaines exagérations.

Rompues, dispersées, pleines d'épouvante, les légions étrangères, poursuivies jusqu'à l'Océan, sont forcées de rentrer dans les abtmes, afin que, désormais utiles à nos besoins, elles nous servent sans nous nuire '.

Ces espèces de monstres ont quelquefois révolté la sagesse de l'athée; ils sont pourtant nécessaires dans le plan général. Ils n'habitent que les déserts où l'absence de l'homme commande leur présence; ils sont placés pour détruire, jusqu'à l'arrivée du grand destructeur. Aussitôt que nous apparaissons sur une côte, ils nous cèdent l'empire, certains qu'un seul de nous fera plus de ravages que dix mille d'entre eux o.

Et pourquoi Dieu fait-il des êtres superflus qui obligent ensuite à des destructions? Par la raison que Dieu n'agit pas comme nous d'une manière bornée; il se contente de dire: Croissez et multipliez; et l'infini est dans ces deux mots. Dorénavant, pour

4. Les immenses avantages que l'homme tire des migrations des poissons sont si connus que nous ne nous y arrêtons pas.

2. On a observé que dans les Carolines, où les caïmans ont été détruits, les rivières sont souvent infectées par la multitude des poissons qui remontent de l'Océan, et qui meurent, faute d'eau, pendant les jours caniculaires.

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