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Mais beaux & bons Sangliers, Daims & Cerfs bons

& beaux.

Pour réaffir dans cette affaire,

Il fe fervit du miniftere

De l'Ane, à la voix de (2) Stentor.
L'Ane à meffer Lion fit office de (3) cor.
Le Lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, affuré qu'à ce fon
Les moins intimidés fuiroient de leur maifon.
Leur troupe n'étoit pas encore accoutuinée
A la tempête de sa voix;

L'air en rétentiffoit d'un bruit épouvantable.
La frayeur faififfoit les hôtes de ces bois;
Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévitable
Où les attendoit le Lion.

N'ai-je pas bien fervi dans cette occafion?
Dit l'Ane, en fe donnant tout l'honneur de la chaffe.
Oui, reprit le Lion, c'eft bravement crié.
Si je ne connoiffois ta perfonne & ta race,
J'en ferois moi-même effrayé.

L'Anc, s'il eût ofé, fe fût mis en colere,
Encor qu'on le raillât avec jufte raison :
Car qui pourroit fouffrir un Ane fanfaron?
Ce n'eft pas-là leur caractere.

(2) Un Grec, qui, felon Homére, avoit la voix fore fupérieure à celle des autres hommes.

(3) Trompe de chaffe qui réjouit & anime les Chasfeurs & les Chiens.

FA BL E X X.
Teftament expliqué par Efope.

Si ce qu'on dit d'Efope eft vrai,

C'étoit l'oracle de la Gréce:
Lui feul avoit plus de fageffe

Que tout (1) l'Aréopage. En voici, pour effai, Une histoire des plus gentilles;

Et qui pourra plaire au lecteur.

Un certain homme avoit trois filles
Toutes trois de contraire humeur :
Une buveufe, une coquette,
La troifiéme avare parfaite.

Cet homme par fon teftament,
Selon les (2) loix municipales,

Leur laiffa tout fon bien par portions égales,
En donnant à leur mere tant,
Payable quand chacune d'elles

Ne pofféderoit plus fa (3) contingente part
Le pere mort, les trois femelles
Courent au teftament, fans attendre plus tard.
On le lit; on tâche d'entendre
La volonté du Teftateur;

Mais en vain car comment comprendre
Qu'auffi-tôt que chacune fœur

Ne poffédera plus fa part héréditaire,
11 lui faudra payer fa mere?
Ce n'eft pas un fort bon moyen
Pour payer, que d'être fans bien.
Que vouloit donc dire le pere?
L'affaire eft confultée; & tous les Avocats
Après avoir tourné le cas

En cent & cent mille manieres,

Y jettent (4) leur bonnet, fe confeffent vaincus ;
Et confeillent aux héritieres

De partager le bien fans fonger au furplus.
Quant à la foinme de la veuve,

(1) Sénat, ou affemblée des Juges d'Athenes.
(2) Loix de la Ville d'Athenes.

(3) La part qui lui devoit être donnée.

(4) Expreflion figurée, pour dire qu'ils fe déclarent incapables d'expliquer le teftament.

Voici, leur dirent-ils, ce que le Confeil treuve :
faut que chaque fœur fe charge par traité
Du tiers payable à volonté,

Si mieux n'aime la mere en créer une rente
Dès le décès du mort courante.
La chose ainfi réglée, on compofa trois lots
En l'un, les maifons de bouteille,

Les buffets dreffés fous la treille,
La vaiffelle d'argent, les cuvettes, les brocs,
Les magafins de (5) Malvoifie,

Les efclaves de bouche ; & pour dire en deux mots,
L'attirail de la goinfrerie.

Dans un autre, celui de la coquetterie,
La maifon de la ville, & les meubles exquis,
Les Eunuques & les coëffeufes,

Et les brodeuses,

Les joyaux, les robes de prix.

Dans le troifiéme lot, les fermes, le ménage,
Les troupeaux & le pâturage,

Valets & bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea que le fort pourroit faire,
Que peut-être pas une fœur
N'auroit ce qui lui pourroit plaire.

Ainfi, chacune prit fon inclination,
Le tout à l'eftimation.

Ce fut dans la ville d'Athenes,
Que cette rencontre arriva.

Petits & grands, tout aprouva

Le partage & le choix. Efope feul trouva
Qu'après bien du temps & des peines,
Les gens avoient pris juftement

Le contre-pied du teftament.

Si le défunt vivoit, difoit-il, que (6) l'Attique Auroit de reproches de lui!

(5) Vin Grec, fort doux. Ici Malvoifie le prend pous toute forte de bon vin.

(6) Cette partie de la Gréce, dont Athenes étoit la Capitale.

Comment! Ce peuple qui fe pique

D'être le plus fubtil des peuples d'aujourd'hui,
A fi mal entendu la volonté fuprême
D'un teftateur! Ayant ainfi parlé,
Il fait le partage lui-même,

Et donne à chaque fœur un lot contre son gré,
Rien qui put être convenable,
Partant rien aux fœurs d'agréable:
A la Coquette l'attirail

Qui fuit les perfonnes buveuses:
La Biberonne eut le bétail :
La Ménagere eut les coëffeufes.
Tel fut l'avis du (7) Phrygien,
Alléguant qu'il n'étoit moyen
Plus fûr, pour obliger ces filles
A fe défaire de leur bien:

Qu'elles fe mariroient dans les bonnes familles
Quand on leur verroit de l'argent :
Pairoient leur mere tout comptant;-

Ne pofféderoient plus les effets de leur pere, Ce que difoit le teftament..

Le peuple s'étonnna comme il se pouvoit faire` Qu'un homme feul eut plus de fcns. Qu'une multitude de gens.

(7) Efope né en Phrygic.

Fin du fecond Livre..

ST

LIVRE

TROISTEM E.

FABLE PREMIERE.

Le Meunier, Son Fils, & l'Ane.

L'INVENTIO

A. M. D. M.

'INVENTION des Arts étant un droit d'aîneffe,
Nous devons (1) l'Apologue à l'ancienne Grece :
Mais ce champ ne fe peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte eft un pays plein de terres défertes:
Tous les jours nos Auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait affez bien inventé:
Autrefois à (2) Racan, Malherbe l'a conté.
Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de fa Lyre,
Difciples d'Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout feuls & fans témoins;
(Comme ils fe confioient leurs penfers & leurs foins)
Racan commence ainfi: Dites-moi, je vous pric,›
Vous qui devez fçavoir les chofes de la vie,
Qui par tous fes dégrés avez déjà passé,

(1) Fable inftructive..

(2) Excellent Poëte François, mort en 1670.

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