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Je dois faire aujourd'hui vingt poftes fans manquer.
Les tiens & toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y fervirons en freres.
Faites- en les feux dès ce foir;
Et cependant viens recevoir
Le baifer d'amour fraternelle.

Ami, reprit le Coq, je ne pouvois jamais
Apprendre une plus douce & meilleure nouvelle,

Que celle
De cette paix.

Et ce m'eft une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers
Qui, je m'affure, font couriers,
Que pour ce fujet on envoie.

Ils vont vite, & feront dans un moment à nous.
Je defcens, nous pourrons nous entrebaiser tous.
Adieu, dit le Renard, ma traite eft longue à faire.
Nous nous réjouirons du fuccès de l'affaire

Une autre fois. Le galant auffi - tôt

Tire fes (2) grégues, gagne au haut,
Mal-content de son stratagême.

Et notre vieux Coq, en foi-même,
Se mit à rire de fa peur:

Car c'eft double plaifir de tromper un trompeur.

(2) Vieux mot, pour dire, tirer fes chauffes, s'enfuir. Ménage foupçonne que Gregue vient de Graca, comme qui diroit, Culote à la Grecque.

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FABLE

XV I.

Le Corbeau voulant imiter l'Aigle.

L'oifeau (1) de Jupiter enlevant un mouton ;

Un Corbeau témoin de l'affaire,

Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton, En voulut fur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau, Marque, entre cent moutons, le plus gras, le plus beau, Un vrai mouton de (2) facrifice.

On l'avoit réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau difoit, en le couvrant des yeux,
Je ne fçai qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paroit en merveilleux état:
Tu me ferviras de pâture.

Sur l'animal bêlant, à ces mots il s'abat.
La moutonniére créature

Pefoit plus qu'un fromage; outre que fa toifon
Etoit d'une épaiffeur extrême,

Et mêlée, à peu près, de la même façon
Que la barbe de (3) Poliphême.

Elle empêtra fi bien les (4) ferres du Corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l'encage bien & beau,
Le donne à fes enfans pour fervir d'amufette.
Il faut fe mefurer, la conféquence est nette.
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple eft un dangereux (5) leure.

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(4) Les l'atres.

(5) Attrait captieux, qui n'eft bon qu'à tromper ceux qui courent après.

Tous les mangeurs de gens ne font pas grands Sei

gneurs:

Où la guêpe a paffé, le moucheron demeure.

FABLE XVI I.

Le Paon Se plaignant à Junon.

Le Paon fe plaignoit à Junon.

Déeffe, difoit-il, ce n'eft pas fans raifon
Que je me plains, que je murmure:
(1) Le chant dont vous m'avez fait don
Déplait à toute la nature:

Au-lieu qu'un Roffignol, chétive créature,
Forme des fons auffi doux qu'éclatans,
Eft lui feul l'honneur du Printems.
Junon répondit en colere:

Diseaux jaloux, & qui devrois te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du Roffignol?
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un Arc-en-Ciel nué de cent fortes de foies,
Qui te panades, qui déploies

Une fi riche queue, & qui femble à nos yeux
La boutique d'un Lapidaire?

Eft-il quelque oifeau fous les cieux
Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés ;
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur & la force en partage;
Le Faucon eft léger, l'Aigle plein de courage;
Le Corbeau fert pour le préfage,

(1) Le chant du Paon n'a rien d'agréable, C'est 'urôt un miaulement qu'un chant.

La Corneille avertit des malheurs à venir.
Tous font contens de leur rainage.

Ceffe donc de te plaindre, ou bien, pour te punir, Je t'ôterai ton plumage.

FABLE

XVIII.

La Chatte métamorphofée en femm?

Un

fa

n Homme chériffoit éperdument sa Chatte, Il la trouvoit mignonne, & belle, & délicate,, Qui miauloit d'un ton fort doux :

Il étoit plus fou que les fous.

Cet Homme donc, par prieres, par larmes,
Par fortiléges & par charmes,

Fait tant qu'il obtient du deftin,
Que fa Chatte, en un beau matin,
Devient Femme; & le matin même,
Maître fot en fait fa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il étoit d'amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son favori,
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l'amadoue, elle le flatte:
Il n'y trouve plus rien de Chatte;
Et pouffant l'erreur jufqu'au bout,
La croit Femme en tout & par tout.
Lorfque quelques Souris qui rongeoient de la natte,
Troublerent le plaifir des nouveaux mariés.
Auffi-tôt la Feinme eft fur pieds:

Elle manqua fon avanture.

Souris de revenir, Femme d'être en pofture.
Pour cette fois elle accourut à point:

Car ayant changé de figure,
Les Souris ne la craignoient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.

11 fe moque de tout: certain âge accompli,
Le vafe eft imbibé, l'étoffe a pris fon pli.
(1) En vain de fon train ordinaire
On le veut défaccoutumer; -

Quelque chofe qu'on puiffe faire,
On ne fçauroit le réformer.
Coups de fourches, ni d'étriviéres
Ne lui font changer de maniéres ;
Et fuffiez-vous embâtonnés,
'Jamais vous n'en ferez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

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(1) Tout ce que nous dit ici La Fontaine, Horace l'a renfermé plus heureufement, à mon avis, dans ce vers: Naturam expellas furcâ, tamen ufque recurret.

Epift. x. lib. 1. .

& je ne fçaurois m'empêcher d'ajoûter (fans décider pourtant) que La Fontaine auroit beaucoup mieux fait de terminer fa Fable par ces deux vers:

Il se moque de tout; certain age accompli,

Le vafe eft imbibé, l'étoffe a pris fon pli. car le reste n'eft qu'une foible répétition de la même pensée, ou je crois que La Fontaine s'eft engagé par l'envie d'imiter Horace.

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Le Lion & l'Ane chassant. Le Roi des animaux fe mit un jour en tête

De (1) giboyer. Il célébroit fa fête.

Le gibier du Lion ce ne font point moineaux,

(1) Aller à ́la chasse du gibier, -

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