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Sans tant de (5) contredit & d'interlocutoires,
Et de fatras, & de grimoires,
Travaillons, les Frêlons & nous:

On verra qui fçait faire, avec un fuc fi doux,
Des cellules fi bien bâties.

Le refus des Frêlons fit voir

Que cet art paffoit leur fçavoir;

Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu'on réglât ainfi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on fuivît la méthode ! :
Le fimple fens coinmun nous tiendroit lieu de (6)
Code:

Il ne faudroit point tant de frais.

Au-lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs.

On fait tant à la fin que l'huître eft pour le Juge,
Les écailles pour les plaideurs.

(5) Terme de Pratique.

6) C'eft le recueil de Loix.

FABLE

X X I I.

Le Chêne & le Rofeau.

Le

Дe Chêne un jour dit au Roseau : Vous avez bien fujet d'accufer la Nature;

Un (1) Roitelet pour vous eft un pefant fardeau. Le moindre vent qui' d'avanture

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baiffer la tête;

Cependant que mon front, au (2) Caucase pareil

(1) Fort petit Oifeau. Qui voudra fçavoir pourquoi set oifeau a été apele Roitelet, e'eft-à-dire, petit Roi n'a qu'à confulter Plutarque, dans fon Traite, intitulé Inftruction pour ceux qui manient affaire d'Etat ch. 7. de la sraduction d'Amyot.

(2) Haute Montagne en Afie.

Non content d'arrêter les rayons du Soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous eft (3) aquilon, tout me femble (4) zéphir.
Encor fi vous naiffiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage.,
Vous n'auriez pas tant à fouffrir,
Je vous défendrois de l'orage.

Mais vous naissez le plus fouvent

Bur les humides bords des (5) royaumes du vent.
Nature envers vous me femble bien injuste.
Votre compaffion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce fouci :
Les vents me font moins qu'à vous redoutables.
plie, & ne romps pas. Vous avez jufqu'ici
Contre leurs coups épouventables
Réfifté fans courber le dos:

Mais attendons la fin. Comme il difoit ces mots,
Du bout de (6) l'horifon accourt avec furie
Le plus (7) terrible des enfans
Que le nord eût porté jufques-là dans fes flancs.
L'Arbre tient bon; le Rofeau plie:
Le vent redouble fes efforts,

Et fait fi bien qu'il déracine

(8) Celui de qui la tête au ciel étoit voifine, 9) Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

(3) Vent très-impétueux.

(4) Vent fort doux.

(5) Les eaux, comme les étangs,

(6) L'extrêmité aparente du Ciel,

(7) Un vent des plus violens.

(8) Imité de Virgile, qui dit en parlant du Chêne:

....

Qua quantum vertice ad auras.

Ethereas, tantum radice in Tartara tendit..

Georg. L. II. v. 295, 292.

(9) Expreffion poètique, pour dire, Et dont les raciyer neroient fort avant dans la terre.

Fin du premier Livre.

30

LIVRE SECOND.

FABLE

Q

PREMIERE.

Contre ceux qui ont le goût difficile.

uand j'aurois en naiffant reçu de (1) Calliope Les dons qu'à fes Amans cette Muse a promis, Je les confacrerois aux (2) menfonges d'Efope: Le menfonge & les vers de tout temps font amis. Mais je ne me crois pas fi chéri du Parnaffe Que de fçavoir orner toutes ces fictions; On peut donner du luftre à leurs inventions: On le peut, je l'effaie; un plus fçavant le faffe.Cependant jufqu'ici d'un langage nouveau J'ai fait parler le loup & répondre l'agneau : J'ai paffé plus avant; les arbres & les plantes Sont devenus chez moi créaturés parlantes. Qui ne prendroit ceci pour un enchantement? Vraiment, me diront nos critiques, Vous parlez magnifiquement

De cinq ou fix contes d'enfant,

(1) Une des Mufes. (2) Fables, fictions.

Cenfeurs, en voulez-vous qui foient plus autentiques, Et d'un ftile plus haut? En voici. Les Troyens, Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, Avoient laffé les Grecs, qui, par mille moyens, Par mille affauts, par cent batailles,

N'avoient pû mettre à bout cette fiére Cité: Quand un cheval de bois, par Minerve inventé, D'un rare & nouvel artifice,

Dans fes énormes flancs reçut le fage (3) Ulyffe, Le vaillant (3) Dioméde, (3) Ajax l'impétueux, Que ce Coloffe monftrueux

Avec leurs efcadrons devoit porter dans Troie, Livrant à leur fureur fes Dieux mêmes en proie? Stratagême inoui, qui des Fabricateurs

Paya la conftance & la peine.

C'eft affez, me dira quelqu'un de nos auteurs,
La période eft longue, il faut reprendre haleine.
Et puis, votre cheval de bois,

Vos héros avec leurs (4) phalanges,
Ce font des contes plus étranges,

Qu'un renard qui cajole un corbeau fur fa voix.
De plus, il vous fied mal d'écrire en fi haut style...
Et bien, baiffons d'un ton. La jalouse Amarille
Songeoit à fon Alcipe, & croyoit de fes foins
N'avoir que fes moutons & fon chien pour témoins.
Tircis qui l'aperçut, fe gliffe entre des faules;
Il entend la bergère adreffant ces paroles

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Au doux Zéphir, & le priant

De les porter à fon amant.

Je vous arrête à cette rime,
Dira mon cenfeur à l'inftant:
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une affez grande vertu.

Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.

(3) Princes, Héros, Grecs.

(4) Troupes de Soldats.

Maudit Cenfeur, te tairas-tu?
Ne fçaurois-je achever mon conte ?
C'eft un deffein très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.
Les délicats font malheureux :
Rien ne fçauroit les fatisfaire..

FABLE
BL EI.

Confeil tenu par les Rats.

Un

n Chat nommé Rodilardus, Faifoit de Rats telle (1) déconfiture,

Que l'on n'en voyoit prefque plus,

Tant il en avoit mis dedans la fépulture.
Le peu qu'il en reftoit n'ofant quitter fon trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de fon foun
Et Rodilard paffoit, chez la gent misérable,

Non pour un Chat, mais pour un diable.
Or un jour qu'au haut & au loin

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le fabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la néceffité préfente.

Dès l'abord, leur Doyen, perfonne très-prudente,
Opina qu'il falloit, & plutôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

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Qu'ainfi, quand il iroit en guerre,

De fa marche avertis ils s'enfuiroient fous terre;
Qu'il n'y fçavoit que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monfieur le doyen.
Chose ne leur parut à tous plus falutaire;

(1) Destruction.

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