Ma commere, dit-il, allez tout à l'instant- A ce peuple; il faut qu'il périffe: Le maître de ce lieu dans huit jours pêchera. Conter le cas grande eft l'émûte. D'où vous vient cet avis? quel eft votre garant N'y fçavez-vous remede? & qu'est-il bon de faire ? Changer de lieu, dit-il. Comment le ferons-nous? N'en foyez point en foin: je vous porterai tous L'un après l'autre en ma retraite. Nul, que Dieu feul & moi, n'en connoît les chemins: Un vivier que nature y creufa de fes mains On le crut. Le peuple aquatique Il leur apprit à leurs dépens, Que l'on ne doit jamais avoir de confiance En ceux qui font mangeurs de gens. Ils y perdirent peu; puisque l'humaine engeance En auroit auffi bien croqué fa bonne part. Qu'importe qui vous mange? homme ou loup, toute panfe Me paroit une à cet égard: Un jour plutôt, un jour plus tard, L'Enfouilleur & Son Compere. Qu'il ne fçavoit où loger fa finance. Dans le choix d'un dépofitaire: Car il en vouloit un ; & voici fa raison. Moi-même, de mon bien je ferai le larrons Apprends de moi cette leçon: Le bien, n'eft bien qu'entant que l'on s'en peut défaire. Sans cela, c'est un mal. Veux-tù le réferver Pour un age & des temps qui n'en ont plus que faire?- Otent le prix à l'or. qu'on croit fi nécessaire... Notre homme eût pu trouver des gens fürs au befoin Soupçonnant à bon droit le Compere, il va vite (1) Un Aváre outré, L'argent volé, prétendant bien. Tout reprendre à la fois, fans qu'il y manquât rien. Il retint tout chez lui, réfolu de jouir, Et le pauvre voleur ne trouvant plus fon gage, Il n'eft pas mal-aifé de tromper un trompeur. FABLE V I. Le Loup & les Bergers. Un Loup rempli (1) d'humanité, (S'il en eft de tels dans le monde) Quoiqu'il ne l'exerçât que par néceflité, Je fuis hai, dit-il, & de qui? de chacun. (1) De douceur, d'affection pour les Animaux de toute efpèce. Les hommes, bien éloignés d'avoir cette humamité-là, ne paroiffent pas même respecter, ou plutót connoître une autre forte d'humanité qui ne concerne que des animaux de leur efpèce. Comme elle eft la bafe de toute véritable fociété, & de, toute bonne Religion, & qu'elle n'oblige les hommes qu'à ne point maltraiter les autres hommes, qu'à leur rendre à tous les mêmes Tervices, à avoir pour eux les mêmes égards qu'en pareil cas chaque homme fe croit en droit d'exiger des autres hommes, il femble que la pratique de cette vertu leur devroit être auffi naturelle que la refpiration. Mais la maniére dont ils fe traitent les uns les autres, montrent évidemment, qu'en général, l'Homme n'à guère plus d'humanité pour les autres hommes, qu'eut pour les Brebis de son voisinage le Loup dont parle ici La Fo®taine. H I Chiens, chaffeurs, villageois, s'affemblent pour fa perte. Jupiter eft là - haut étourdi de leurs cris: C'est par-là que de Loups l'Angleterre eft déferte: Il n'eft (2) hobereau qui ne faffe Que du Loup auffi -tôt fa mere ne menace. Pour un mouton pourri, pour quelque chien har gneux Dont j'aurai paffé mon envie. Et bien, ne mangeons plus de chofe ayant eu vie, Vaut-il mieux s'attirer la haine univerfelle? Non, par tous les Dieux, non: je ferois ridicule, Sans qu'à la broche je le mette; Et non-feulement lui, mais la mere qu'il tette, Le loup avoit raifon. Eft-il dit qu'on nous voie Manger les animaux; & nous les reduirons (2) Vieux mot qu'on n'employe qu'ironiquement pour défigner un petit Gentilhomme de campagne. (3) Déclaration faite à cri public, par laquelle on promet récompense à qui tuera un Loup,&c.. (4) Des premiers temps, où les hommes vivoient de glan & de légumes. Ils n'auront ni croc, ni marmite ? FABLE VII Jupiter, qui fçus de ton cerveath Par un fecret d'accouchement nouveau, Tirer (1) Pallas, jadis mon ennemie Entens ma plainte une fois en ta vie. (2) Progné me vient enlever les morceaux: Caracolant, frifant l'air & les eaux, Elle me prend mes mouches à ma porte:Miennes je puis les dire: & mon rézcau En feroit plein fans ce maudit oiseau : Je l'ai tiffu de matiére affez forte. Ainfi, d'un difcours infolent, Se plaignoit l'Araignée autrefois tapiffiére, Et qui lors étant filandiére, Frétendoit enlacer tout infecte volant. La Sœur de (3) Philomele, attentive à sa proie: Malgré le bestion (4) happoit mouches dans l'air, Pour fes petits, pour elle, impitoyable joie, Que fes enfans gloutons, d'un bec toujours ouvert, (1) Déesse, fille de Jupiter, qui changea Aragne en Araignée. (2) Princeffe, qui fut changée en Hirondelle. (3) Autre Princeffe, changée en Roffignol. 14). Ipfasque volantes Ore ferust dulcem nidis immitibus efcam. Virg. Geor. L. IV. verf. 16, 17.. On ne peut guère douter que La Fontaine n'ait eu des fein d'imiter ce dernier vers de Virgile, |