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Le Mari, la Femme, & le Voleur.

Un

n mari fort amoureux,

Fort amoureux de fa Femme,

Bien qu'il fût jouiffant, fe croyoit malheureux.
Jamais œillade de la Dame,

Propos flatteur & gracieux,

Mot d'amitié, ni doux fourire,
(1) Déïfiant le pauvre fire,
N'avoient fait foupçonner qu'il fût vraiment chéri
Je le crois, c'étoit un Mari.
Il ne tint point à l'hymenée
Que, content de sa destinée,
Il n'en remerciât les dieux.
Mais quoi? fi l'amour n'affaisonne
Les plaifirs que l'hymen nous donne,
Je ne vois pas qu'on en foit mieux.
Notre Epouse étant donc de la forte bâtie,
Et n'ayant careffé fon Mari de fa vie,
Il en faifoit fa plainte une nuit. Un Voleur
Interrompit la doléance.

La pauvre Femme eut fi grand peur,
Qu'elle chercha quelque affurance.
Entre les bras de fon Epoux.

Ami Voleur, dit-il, fans toi ce bien fi doux
Me fercit inconnu. Prends donc en récompenfe
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienféance
Prends le logis auffi. Les Voleurs ne font pas
Gens honteux, ni fort délicats:

Celui-ci fit fa main. J'infére de ce conte
Que la plus forte paffion,

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(1) Capable de le rendre heureux comme un Diem.

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C'eft la peur: elle fait vaincre l'aversion;
Et l'amour quelquefois : quelquefois (2) il la domte:
J'en ai pour preuve cet amant,

Qui brûla fa maifon pour embraffer fa dame,
L'emportant à travers la flamme.
J'aime affez cet emportement :

Le conte m'en a plû toujours infiniment:
Il est bien d'une ame efpagnolle,

Et plus grande encore que folle.

(2) Et quelquefois c'eft l'amour qui dompte là peur, témoin cet amant qui brûla fa maison, &c.

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Le Tréfor & les deux Hommes.

n homme n'ayant plus ni crédit, ni reffource,
Et logeant le diable en fa bourse
C'eft-à-dire, n'y logeant rien,
S'imagina qu'il feroit bien

De fe pendre, & finir lui-même sa misere:
Puisqu'auffi bien, fans lui, la faim le viendroit faire';
Genre de mort qui ne duit pas

A gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention une vieille masure
Fut (1) la fcene où devoit fe paffer l'avanture:
11 y porte une corde; & veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attâcher le licou.
La muraille vieille & peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un tréfor.
Notre défefpéré le ramaffe, & l'emporte:
Laiffe là le licou, s'en retourne avec l'or,
Sans compter: ronde ou non, la fomme plut au fire.
Tandis que le galant à grands pas fe retire,

) L'endroit, le lieu choifi.

1

L'homme au tréfor arrive, & trouve fon argent

Abfent.

Quoi, dit-il, fans mourir je perdrai cette fomme?
Je ne me pendrai pas ? & vraiment fi ferai,
Ou de corde je manquerai.

Le lacs étoit tout prêt, il n'y manquoit qu'un homme:
Celui-ci fe l'attache, & fe pend bien & beau.
Ce qui le consola peut-être,

Fut qu'un autre eût pour lui fait les fraix du cordeau.
Auffi-bien que l'argent le licou trouva maître.

L'avare rarement finit fes jours fans pleurs :
Il a le moins de part au tréfor qu'il enferre,
Thefaurifant pour les voleurs,

Pour les parens, ou pour la terre.

Mais que dire du troc que la fortune fit?
Ce font-là de fes traits: elle s'en divertit.
Plus le tour eft bizarre, & plus elle est contente.
Cette Déeffe inconftante

Se mit alors en l'efprit

De voir un homme fe pendre,

Et celui qui fe pendit,

S'y devoit le moins attendre.

FABLE

XVII.

Le Singe &te Chat.

Bertrand avec Raton, l'un Singe, & l'autre Chat,

Commenfaux d'un logis, avoient un commun maître.
D'animaux malfaifans c'étoit un très bon plat:
Ils n'y craignoient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvoit on quelque chofe au logis de gâté,
L'on ne s'en prenoit point aux gens du voifinage.
Bertrand déroboit tout: Raton, de fon côté,
Etoit moins attentif aux fouris qu'au fromage.

Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons "Regardoient rôtir des marons:

Les efcroquer étoit une très bonne affaire :
Nos galans y voyoient double profit à faire,i
Leur bien premiérement, & puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton: frere, il faut aujourd'hui
Que tu faffes un coup de maître.

Tire-moi ces marons; fi dieu m'avoit fait naître
Propre à tirer marons du feu,

Certes, marons verroient beau jeu.
Auffi-tôt fait que dit: Raton avec sa patte,
D'une maniére délicate,

Ecarte un peu la cendre, & retire les doigts;
Puis les reporte à plufieurs fois;

Tire un maron, puis deux, & puis trois en efcroque;.
Et cependant Bertrand les croque.
Une fervante vient: adieu mes gens: Raton
N'étoit pas content, ce dit-on,

Auffi ne le font pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,,
Vont s'échauder en des Provinces,
Pour le profit de quelque Roi.

FABLE
BLE

XVIII.

Le Milan & le Roffignol.

Après que le (1) Milan, manifeste voleur,

Eut répandu l'alarme en tout le voifinage,
Et fait crier fur lui les enfans du village,
Un Roffignol tomba dans fes mains, par malheur.
Le (2) héraut du printemps lui demande la vie :
Auffi-bien que manger en qui n'a que le fon?
Ecoutez plutôt ma chanfon:

Je vous raconterai Térée & fon envie.

Qui, (3) Térée? eft-ce un mets propre pour les

Milans?

Non pas, c'étoit un Roi, dont les feux violens
Me firent reffentir leur ardeur criminelle :

Je m'en vais vous en dire une chanson fi belle
Qu'elle vous ravira: mon chant plait à chacun.
Le Milan alors lui replique:

Vraiment nous voici bien, lorsque je fuis à jeun,
Tu me viens parler de mufique ?

J'en parle bien aux rois. Quand un roi te prendra,
Tu peux lui conter ces merveilles :
Pour un Milan, il s'en rira:

Ventre affamé n'a point d'oreilles.

(1) Gros oifeau de proie.

(2) Parce qu'il l'annonce par fon chant.

(3) Mari de Progné, fœur de Philomèle. Celle-ci fut changée en Roffignol, Progné en Hirondelle, & Térée en Hupe.

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