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En quoi notre amoureux ne fe preffoit pas tant.
Bien adreffer n'eft pas une petite affaire.

Deux veuves fur fon cœur eurent le plus de part:
L'une encor verte; & l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparoît par fon art

Ce qu'avoit détruit la nature.
Ces deux veuves en badinant,
En riant, en lui faifant fête,
L'alloient quelquefois (3) teftonnant,
C'eft-à-dire, ajuftant fa tête.

La vieille à tout moment de fa part emportoit
Un peu de poil noir qui reftoit,
Afin que fon amant en fut plus à fa guise.
La jeune faccageoit les poils blancs à fon tour.
Toutes deux firent tant que notre tête grife
Demeura fans cheveux, & fe douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les belles
Qui m'avez fi bien tondu:

J'ai plus gagné que perdu;

Car (4) d'hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrois voudroit à sa façon
Je vécuffe, & non à la mienne.

Il n'eft tête chauve qui tienne;
Je vous fuis obligé, belles, de la leçon.

(3) Comme ce mot n'est plus d'usage aujourd'hui, La Fontaine s'eft avifé fort à propos de nous l'expliquer luimême. Il y a grande aparence qu'il l'avoit pris de Ra belais, qui dit en parlant du foin que l'on prenoit de l'é. ducation de Gargantua, que chaque matin il étoit habillé, peigné, teftonné, acoutré & parfumé, durant lequel tems on lui répétoit les leçons du jour de devant. Gargantua, liv. 1. ch. 23. Rabelais fe fert encore ailleurs du mot de teftonner dans le même fens.

(4) De mariage.

FABLE

XVIII.

Le Renard & la Cicogne.

Compere le Renard fe mit un jour en frais,

Et retint à dîner commere la Cicogne.
Le régal fut petit, & fans beaucoup d'aprêts.
Le galant, pour toute befogne,

Avoit un brouet (1) clair, (il vivoit chichement)
Ce brouet fut par lui fervi fur une affiette.
La Cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour fe venger de cette tromperie,
A quelque tems de-là, la Cicogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il court au logis
De la Cicogne fon hôteffe,
Loua très-fort fa politeffe,

Trouva le diner cuit à point.

Bon apétit fur-tout, Renards n'en manquent point:Il fe réjouiffoit à l'odeur de la viande

Mife en menus morceaux, & qu'il croyoit friande.
On fervit, pour l'embarrasser,

En un vafe à long col, & d'étroite embouchure.
Le bec de la Cicogne y pouvoit bien paffer,
Mais le mufeau du fire étoit d'autre mesure,
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un Renard qu'une Poule auroit pris,
Serrant la queue, & portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'eft pour vous que j'écris,
Attendez-vous à la pareille.

(1) Espéce de bouillie fort claire,

FABLE

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L'Enfant & le Maître d'Ecole.

Dans ce récit, je prétens faire voir

D'un certain fot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau fe laissa cheoir,
En badinant fur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un faule fe trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le fauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce faule;
Par cet endroit paffe un Maître d'Ecole.
L'enfant lui crie, au fecours, je péris.
Le Magifter se tournant à fes cris,
D'un ton fort grave à contre-tems s'avise
De le tancer. Ah le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis fa fottife!
Et puis, prenez de tels fripons le foin.
Que les parens font malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à femblable canaille!
Qu'ils ont de maux! & que je plains leur fort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne penfe.
Tout babillard, tout cenfeur, tout (1) pédant,
Se peut connoître au difcours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand:
Le Créateur en a béni l'engeance.

1) C'eft-à-dire toute perfonne fujette à étaler avec fectation & mal-à-propos fes lectures, fa fcience, & me ton éloquence. Cette defcription une fois admise, en des hommes & des femmes qui fe croyent à couvest vice de pédanterie, en font vifiblement infectés.

-En toute affaire, ils ne font que fonger
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami, tire-moi du danger, 1
Tu feras après ta harangue.

FABLE XX.
Le Coq & la Perle.

Un jour un Coq détourna

Une perle qu'il donna

Au beau premier (1) Lapidaire.
Je la crois fine, dit-il,

Mais le moindre grain de mil
Seroit bien mieux mon affaire.

Un ignorant hérita

D'un manufcrit qu'il porta
Chez fon voifin le Libraire.
Je crois, dit-il, qu'il eft bon,
Mais le moindre ducaton

Seroit bien mieux mon affaire.

(1) Celui qui taille, polit, & met en œuvre les pierres, précieuses, &c.

F A BLE X X I. :')

Les Frelons, & les Mouches & miel.

A l'œuvre on connoit l'artisan.

Quelques rayons de miel fans maître fe trouverent: Des (1) Frêlons les réclamerent.

Des Abeilles s'oppofant,

Devant certaine (2) Guêpe on traduifit la caufe. étoit mal-aifé de décider la chofe.""

Les témoins dépofoient qu'autour de ces rayons,
Des animaux ailés, bourdonnans, un peu longs
De couleur fort tannée, & tels que les Abeilles,
roient long-tems paru. Mais quoi ? Dans les Frêlons
Ces enfeignes étoient pareilles.

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a Guêpe ne fçachant que dire à ces raifons,
it enquête nouvelle; &, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilliére,

Le point n'en put être éclairci.
De grace, à quoi bon tout ceci ?
Dit une Abeille fort prudente;

Depuis tantôt fix mois que la cause (3) eft pendante,
Nous voici comme aux premiers jours. 1
Pendant cela le miel fe gâte.. 1

left tems déformais que le Juge fe hâte.

N'a-t-il point affez (4) léché l'Ours?

1) Efpéce de mouches qui s'introduifent dans les rues des Abeilles pour en piller le miel, incapables ellesmes de composer un fuc fi delicat.

(2) Autre forte de mouches mal-faifantes.

3) Eft plaidée & debattue

(4) Expresion proverbiale, pour dire, fuce, exténue® Parties en prolongeant les procès RCIA gurk

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