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Il parla fortement fur le commun falut.
On ne l'écoutoit pas : l'Orateur recourut
A ces (7) figures violentes

Qui fçavent exciter les ames les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout; perfonne ne s'émut.
(8) L'animal aux têtes frivoles

Etant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter.
Tous regardoient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfans, & point à fes paroles.
Que fit le harangueur? il prit un autre tour.
(9) Cérès, commença-t-il, faifoit voyage un jour
Avec l'Anguille & l'Hirondelle :

Un fleuve les arrête; & l'Anguille en nageant,
Comme l'Hirondelle en volant,

Le traverfa bientôt. L'affemblée à l'inftant
Cria tout d'une voix : & Cérès, que fit-elle ?
Ce qu'elle fit? un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.

Quoi! de contes d'enfans (10) fon peuple s'embarraffe!
Et du péril qui le menace,

Lui feul, entre les Grecs, il néglige l'effet!
Que ne demandez-vous ce que (11) Philippe fait?
A ce reproche l'affemblée

Par (12) l'Apologue réveillée
Se donne entiére à l'Orateur:

Un trait de Fable en eut l'honneur.

Nous fommes tous d'Athene en ce point; & moi-même, Au moment que je fais cette moralité,

(7) De Rhétorique, façons de parler, qui préfentent A l'Efprit des images vives, touchantes, &c.

(8) Le Peuple,

(9) La Deeffe des bleds.

(10) Les Athéniens étoient fous la protection de Cérès (11) Roi de Macédoine, qui leur faisoit la guerre. (12) La Fable.

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Si (13) peau-d'ane m'étoit conté,

J'y prendrois un plaifir extrême.

Le monde eft vieux, dit-on, je le crois cependant Il le faut amufer encor comme un enfant.

(13) Vieux Conte, dont on amufe les petits enfans.

P

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ar des vœux importuns nous fatiguons les dieux, Souvent pour des fujets, même indignes des hommes. Il femble que le ciel, fur tous tant que nous fommes, Soit obligé d'avoir inceffamment les yeux; Et que le plus petit de la race mortelle, A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle, Doive intriguer l'Olympe & tous fes citoyens, Comme s'il s'agiffoit des Grecs & des Troyens.

Un fot par une Puce eut l'épaule mordue,
Dans les plis de fes draps elle alla se loger.
Hercule, fe dit-il, tu devois bien purger
La terre de cette hydre au printemps revenue.
Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes la race afin de me venger?
Pour tuer une Puce il vouloit obliger

Ces dieux à lui prêter leur foudre & leur maffue.

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FAB LE V I.

Les Femmes & le Secret.

Re

ien ne pefe tant qu'un fecret:

Le porter loin eft difficile aux dames;
Et je fçai même fur ce fait !

Bon nombre d'hommes qui font femmes.

Pour éprouver la fienne un marì s'écria,

La nuit étant près d'elle: ô Dieux ! qu'est - ce cela?
Je n'en puis plus, on me déchire:

Quoi! j'accouche d'un œuf! d'un œuf? oui le voilà
Frais & nouveau pondu: gardez bien de le dire,
On m'apelleroit poule. Enfin n'en parlez pas.
La femme neuve fur ce cas,

Ainfi que fur mainte autre affaire,

Crut la chofe, & promit fes grands dieux de fe taire.
Mais ce ferment s'évanouit

Avec les ombres de la nuit.

L'époufe indifcrete & peu fine,

Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez fa voifine.

Ma commere, dit-elle, un cas m'eft arrivé:
N'en dites rien fur-tout, car vous me feriez battre.
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu, gardez-vous bien
D'aller publier ce mystere.

Vous moquez-vous? dit l'autre : ah! vous ne fçavez

guere

Quelle je fuis. Allez, ne craignez rien.

La femme du pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle ;
Elle va la répandre en plus de dix endroits.
Au-lieu d'un œuf elle en dit trois,

Ce

Ce n'eft pas encor tout; car une autre commere
En dit quatre; & raconte à l'oreille le fait:
Précaution peu néceffaire,

Car ce n'étoit plus un fecret.

Comme le nombre d'œufs, grace à la renommée,
De bouche en bouche alloit croiffant,

Avant la fin de la journée,

Ils fe montoient à plus d'un cent.

F A BLE

B LE VI I....

Le Chien qui porte à fon cou le dîner de fon Maître.

N

ous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles f
Ni les mains à celle de l'or:
Peu de gens gardent un tréfor
Avec des foins affez fideles.

Certain Chien qui portoit la pitance au logis,
S'étoit fait un collier du dîner de fon maître.
Il étoit tempérant plus qu'il n'eût voulu l'être,
Quand il voyoit un mets exquis:

Mais enfin il l'étoit; & tous tant que nous fommes,
Nous nous laiffons tenter à l'aproche des biens.
Chofe étrange! on apprend la tempérance aux Chiens,
Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la forte atourné,
Un mâtin paffe, & veut lui prendre le dîné.
Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il efpéroit d'abord: le Chien mit bas la proie,
Pour la défendre mieux, n'en étant plus chargé.
Grand combat: d'autres chiens arrivent.
Ils étoient de ceux-là qui vivent
K

II. Partie.

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Sur le public, & craignent peu les coups. Notre Chien fe voyant trop foible contre eux tous, Et que la chair couroit un danger manifefte, Voulut avoir fa part; & lui fage, il leur dit: Point de courroux, meffieurs, mon lopin me fuffit; Faites votre profit du refte.

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A ces mots, le premier, il vous hape un morceau,
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille,

A qui mieux mieux; ils firent tous (1) ripaille:
Chacun d'eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci l'image d'une ville,
Où l'on met les déniers à la merci des gens.
Echevins, Prevot des marchands,
Tout fait fa main: le plus habile
Donne aux autres l'exemple; & c'est un paffe -tems
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque fcrupuleux, par des raifons frivoles,
Veut défendre l'argent, & dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il eft un fot.

Il n'a pas de peine à fe rendre :
C'est bien-tôt le premier à prendre.

(1) Firent grand'chére.

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n cherche les Rieurs; & moi je les évite. Cet art veut fur tout autre un fuprême mérite. Dieu ne créa que pour les fots

Les (1) méchans difeurs de bons mots.

(1) Gens d'un efprit fade, pefant & fuperficiel, qui

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