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Voudroit s'étendre davantage

Mais il faut referver à d'autres cet emploi,
Et d'un plus grand Maître que moi
Votre louange eft le partage.

Olympe, c'eft affez qu'à mon dernier Ouvrage
Votre nom ferve un jour de rempart & d'abri:
Protégez deformais le Livre favori

Par qui j'ofe espérer une feconde vie:-
Sous vos feuls aufpices ces Vers
Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'Univers.

Je ne mérite pas une faveur fi grande;

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La Fable, en fon nom, la demande : Vous savez quel crédit ce menfonge a fur nous; S'il procure à mes Vers le bonheur de vous plaire, Je croirai lui devoir un temple pour falaire: Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.

LIVRE

SEPTIEM E.

*****

FABLE PREMIERE.

Les Animaux malades par la pefte.

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en fa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La pefte (puifqu'il faut l'appeler par fon nom)
Capable d'enrichir en un jour (1) l'Achéron,
Faifoit aux Animaux la guerre.

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés.
On n'en voyoit point d'occupés
A chercher le foutien d'une mourante vie.
Nul mets n'excitoit leur envie.
Ni Loups, ni Renards n'épioient,
La douce & l'innocente proie.
Les Tourterelles fe fuyoient;
Plus d'amour, partant plus de joie.

Le Lion tint confeil, & dit: mes chers amis,

Je crois que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune:

(1) Les Enfers, féjour des morts,

Que le plus coupable de nous

Se facrifie aux traits du célefte courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'Hiftoire nous apprend qu'en de tels accidens
On fait de pareils dévoumens.

Ne nous flattons donc point, voyons fans indulgence
L'état de notre confcience.

Pour moi, fatisfaifant mes apétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait? Nulle offense:
Même il m'eft arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévotrai donc, s'il le faut; mais je penfe
Qu'il eft bon que chacun s'accuse ainfi que moi :
Car on doit fouhaiter, felon toute juftice,
Que le plus coupable périffc.

Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi;
Vos fcrupules font voir trop de délicatesse;
Et bien, manger moutons, canaille, fotte espéce,
Eft-ce un péché? Non, non: vous leur fites, Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il étoit digne de tous maux,

Etant de ces gens -là qui, fur les Animaux,
Se font un chimérique empire.
Ainfi dit le Renard, & flatteurs d'applaudir,
On n'ofa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puiffances,
Les moins pardonnables offenfes.
Tous les gens querelleurs, jufqu'aux fimples mâtins,
Au dire de chacun, étoient de petits faints.
L'ane vint à fon tour, & dit: J'ai fouvenance
Qu'en un pré de moines paffant,

La faim, l'occafion, l'herbe tendre, & je pense,
Quelque diable auffi me pouffant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue :
Je n'en avois nul droit, puifqu'il faut parler net.

A ces mots on cria (2) haro fur le baudet.

Un Loup, quelque peu (3) Clerc, prouva par fa

harangue,

Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'étoit capable

D'expier fon forfait; on le lui fit bien voir.

Selon que vous ferez puiffant ou miférable,
Les jugemens de cour vous rendront blanc ou noir.

(2) Cri pour arrêter un criminel. (3) Sçavans dans les Loix.

Qu

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ue le bon foit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme :

Mais comme le divorce entr'eux n'eft pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle ame,
Affemblent l'un & l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.

J'ai và beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me

tentent :

Cependant, des humains prefque les quatre parts
S'expofent hardiment au plus grand des hazards:
Les quatre parts auffi des humains fe repentent.
J'en vais alléguer un, qui s'étant repenti,
Ne put trouver d'autre parti
Que de renvoyer fon épouse
Querelleufe, avare & jaloufe.

Rien ne la contentoit, rien n'étoit comme il faut;
On fe levoit trop tard, on fe couchoit trop tôt :
Puis du blanc, puis du noir, puis encorè autre chose.
Les valets enrageoient, l'époux étoit à bout:
Monfieur ne fonge à rien, monsieur dépense tout,
Monfieur court, monfieur fe repose.

Elle en dit tant, que monfieur à la fin,
Laffé d'entendre un tel lutin,

Vous la renvoie à la campagne

Chez fes parens. La voilà donc compagne De certaines Philis qui gardent les dindons, Avec les gardeurs de cochons.

1

Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien, qu'avez-vous fait?
Comment paffiez-vous votre vie?
L'innocence des champs eft-elle votre fait?
Affez, dit-elle: mais ma peine
Etoit de voir les gens plus paresseux qu'ici :
Ils n'ont des troupeaux nul souci.
Je leur fçavois bien dire ; & m'attirois' la haine
De tous ces gens fi peu foigneux.
Eh, Madame, reprit fon époux tout-à-l'heure,
Si votre efprit eft fi hargneux.
Que le monde qui ne demeure

Qu'un moment avec vous, & ne revient qu'au foir,
Eft déjà laffé de vous voir,

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée ?
Et que pourra faire un époux

que vous voulez qui foit jour & nuit avec vous ?
Retournez au village: adieu. Si de ma vie
Je vous rapelle, & qu'il m'en prenne envie,
Puiflé je chez les morts avoir, pour mes péchés,
Deux femmes comme vous fans ceffe à mes côtés.

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