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Prétendrois-tu nous gouverner encor,
Ne fçachant pas te conduire toi-même ?
Il fut démis; & l'on tomba d'accord,
Qu'à peu de gens convient le Diadême.

FA B LE V II.

Le Mulet fe vantant de sa (1) Généalogie.

Le

e Mulet d'un Prélat fe piquoit de noblesse,
Et ne parloit inceffamment
Que de fa mere la Jument,

Dont il contoit mainte proueffe.

Elle avoit fait ceci, puis avoit été là.
Son fils prétendoit pour cela,
Qu'on le dût mettre dans l'hiftoire.
Il eût crû s'abaiffer fervant un Médecin. . .
Etant devenu vieux, on le mit au moulin.
Son pere l'Ane alors lui revint en mémoire.

Quand le malheur ne feroit bon

Qu'à mettre un fot à la raifon,
Toujours feroit-ce à jufte caufe,
Qu'on le dit bon à quelque chofe.

(2) La suite de ses Ancêtres.

FABLE

VIII.

Le Vieillard & l'Ane.

Un Vieillard, fur fon Ane aperçut en paffant

Un pré plein d'herbe & fleuriant.

Ily lâche fa bête; & le Grifon se rue
Au travers de l'herbe menue,
Se veautrant, grattant & frottant,
Gambadant, chantant & broutant,
Et faifant mainte place nette.
L'Ennemi vient fur l'entrefaite.
Fuyons, dit alors le Vieillard.
Pourquoi? répondit le paillard;

Me fera-t-on porter double bât, double charge?
-Non pas, dit le Vieillard, qui prit d'abord le large.
Et que m'importe, donc dit l'Ane, à qui je fois ?
Sauvez-vous & me laiffez paître.

Notre ennemi, c'est notre Maître :
Je vous le dis en bon François.

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Le Cerf fe voyant dans l'eau.

Dans le criftal d'une fontaine,

Un Cerf fe mirant autrefois,
Louoit la beauté de fon (1) bois;
Et ne pouvoit qu'avecque peine
Souffrir fes jambes de (2) fufeaux,

Dont il voyoit l'objet fe perdre dans les eaux,
Quelle proportion de mes pieds à ma tête!
Difoit-il, en voyant leur ombre avec douleur :
Des (3) taillis les plus hauts mon front atteint le faîte:
Mes pieds ne me font point d'honneur.

Tout en parlant de la forte,

Un (4) Limier le fait partir :

Ses Cornes, qu'on apelle Bois.

(2) Fort menues.

(3) Bois que l'on coupe de temps en temps. (4) Gros Chien, bon pour la chaffe du Cerf,

Il tâche à fe garantir,

Dans les forêts il s'emporte.
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,

Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui fes jours dépendent. Il fe dédit alors, & maudit les (5) préfens, Que le Ciel lui fait tous les ans.

Nous faifons cas du beau, nous méprifons l'utile;
Et le beau fouvent nous détruit.
Ce Cerf blâme fes pieds qui le rendent agile:
Il estime un bois qui lui nuit.

(5) Le bois du Cerf tombe, & revient toutes les années.

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Le Liévre & la Tortue.

Rien ne fert de courir: il faut partir à point.

Le Liévre & la Tortue en font un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Si-tôt que moi ce but. Si-tôt? Etes-vous fage?
Repartit l'animal léger.

Ma commere, il vous faut purger
Avec quatre grains d'Ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainfi fut fait, & de tous deux
On mit près du but les enjeux
Sçavoir quoi, ce n'eft pas l'affaire;
Ni de quel Juge l'on convint.

Notre Liévre n'avoit que quatre pas à faire, l'entens de ceux qu'il fait, lorfque prêt d'être atteint,

Il s'éloigne des Chiens, les renvoye (1) aux Calen des,

Et leur fait arpenter les (2) Landes.
Ayant, dis-je, du temps de refte pour brouter,
Pour dormir, & pour écouter

D'où vient le vent, il laiffe la Tortue
Aller fon train de (3) Sénateur.
Elle part, elle s'évere,

Elle fe hâte avec lentcur.

Lui cependant méprife une telle victoire,
Tient la gagcure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de fon honneur
De partir tard. II broute, il fe repose,
Il s'amufe à toute autre chofe

Qu'à la gagcure. A la fin, quand il vit
Que l'autre touchoit prefque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains: la Tortue arriva la premiére.
Hé bien, lui cria-t-elle, avois-je pas raifon?
De quoi vous fert votre viteffe?
Moi l'emporter ! Et que feroit-ce
Si vous portiez une (4) maifon?

(1) S'en éloigne fi bien, que les Chiens ne peuvent le ratraper, & fe trouvent par-là dans le cas où eft un Créancier que fes Debiteurs renvoyent aux Calendes Grec. ques, terme de payement tout-à-fait chimérique, parce qu'il n'y a point de jour dans l'année que les Grecs ayent nommé Calendes; quand ferez vous hors de debie? demanda Pantagruel. Es Calendes Grecques, répondit Panurge, lorsque tout le monde fera content, &c. Pantagruel, Liv. III. chap. 3. La Fontaine fupofant fon Lecteur dejà inftruit fur ce point de Littérature fort trivial, & qu'on doit avoir apris au College, s'eft contenté de dire, que le Lievre renvoye les Chiens aux Calendes.

(2) Terres fteriles, incultes, fort propres pour la chaffe.

(3) Les Magiftrats marchent pofément.

(4) Comme la Tortue, qui eft couverte d'une groe écaille.

FAB L E X I.
L'Ane & fès Maitres.

L'Ane diun Jardinier fe plaignoit au Destin

De ce qu'on le faifoit lever devant l'Aurore.
Les Cogs, lui difoit-il, ont beau chanter matin,
Je fuis plus matineux encore.

Et pourquoi? pour porter des herbes au marché.
Belle néceffité d'interrompre mon fomme!
Le fort, de fa plainte touché,

Lui donne un autre Maître; & l'animal de fomme
Paffe du Jardinier aux mains d'un Corroycur.
La pefanteur des peaux, & leur mauvaife odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente bête. .
Jai regret, difoit-il, à mon premier Seigneur :
Encor, quand il tournoit la tête,

J'attrapois, s'il m'en fouvient bien,

Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien:
Mais ici (1) point d'aubaine, ou fi j'en ai quelqu'une,
Ceft de coups. Il obtint changement de fortune;
Et fur l'état d'un Charbonnier

Il fut couché tout le dernier.

Autre plainte. Quoi donc, dit le Sort en colere,
Ce Baudet - ci m'occupe autant

Que cent Monarques pourroient faire.
Croit-il être le feul qui ne foit pas content?
N'ai-je en l'efprit que fon affaire?
Le Sort avoit raifon : tous gens font ainsi faits:
Notre condition jamais ne nous contente:
La pire eft toujours la préfente.

Nous fatiguons le Ciel à force de (2) placets.
Qu'à chacun Jupiter accorde fa requête,

Nous lui romprons encor la tête.

(1) Nul profit cafuel, nulle bonne aventure. (2) Demandes.

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