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Ils les rappellent donc. Le Cerf, hors de danger,
Broute (2) fa bienfaitrice, ingratitude extrême !
On l'entend, on retourne, on le fait déloger:
Il vient mourir en ce licu même.

J'ai mérité, dit-il, ce jufte châtiment,
Profitez - en, ingrats. Il tombe en ce moment.
La Meute en fait (3) curée. Il lui fut inutile
De pleurer aux Veneurs à fa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'afyle
Qui les a confervés.

(2) La Vigne qui lui avoit fervi de retraite. (3) Les chiens mangent la portion que les Chaffeurs leur en donnent, & qu'on nomme Curée.

On

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n conte qu'un Serpent, voifin d'un Horloger, (C'étoit pour l'Horloger un mauvais voifinage) Entra dans fa boutique, & cherchant à manger, N'y rencontra pour tout potage Qu'une Lime d'acier qu'il fe mit à ronger. Cette Lime lui dit, fans fe mettre en colere, Pauvre ignorant! Et que prétens - tu faire ? Tu te prens à plus dur que toi, Petit Serpent à tête folle; Plutôt que d'emporter de moi Seulement le quart d'une obole,

Tu te romprois les dents :

Je ne crains que celles du (1) temps.

(1) Les dents du Temps, qui détruit toutes chofta

Ceci s'adreffe à vous, Efprits du dernier ordre,
Qui n'étant bons à rien, cherchez (2) fur tout à moidre:
Vous vous tourmentez vainement.

Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages?

Ils font pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

(2) C'est-à-dire, à prendre, à trouver à redire fur tout.

FABLE

XVII.

Le Liévre & la Perdrix.

ne se faut jamais moquer des miférables :
Car qui peut s'affurer d'être toujours heureux?
Le fage Efope dans fes Fables,
Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propofe,
Et les fiens, ce font même chose.

Le Liévre & la Perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivoient dans un état, ce femble, affez tranquille :
Quand une meute s'approchant,
Oblige le premier à chercher un (1) afyle.
Il s'enfuit dans fon fort, met les chiens en défaut;
Sans même en excepter (2) Brifaut.
Enfin il fe trahit lui-même

Par les (3) efprits fortant de fon corps échauffé.
(4) Miraut, fur leur odeur ayant philosophé,
Conclut que c'eft fon Liévre; &, d'une ardeur extrême,

(1) Un lieu pour fe cacher.

(2) Nom de Chien de chaffe.

(3) L'odeur que répand une bête poursuivie. (4) Autre nom de Chien.

Il le pouffe; & Ruftant, qui n'a (5) jamais menti,
Dit que le Liévre est reparti.

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La Perdrix le raille, & lui dit:

Tu te vantois d'être fi vite;

Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit, Son tour vient, on la trouve. Elle croit que fes ailes La fçauront garantir à toute extrémité:

Mais la pauvrette avoit compté

Sans (6) l'Autour aux (7) ferres cruelles.

(5) Qui ne s'eft jamais trompe.

(6) Oifeau de proye.

(7) Les griffes de l'Autour.

FABLE

L'Aigle

XVIII.

L'Aigle & le Hibou.

'Aigle & le Chat-huant leurs querelles cefferent;
Et firent tant qu'ils s'embrafferent.

L'un jura foi de Roi, l'autre foi de Hibou,
Qu'ils ne fe goberoient leurs petits peu ni prou.
Connoiffez-vous les miens ? dit (1) l'Oiseau de
Minerve.

Non, dit l'Aigle. Tant pis, reprit le trifte Oifeau;
Je crains en ce cas pour leur peau :
C'eft hazard, fi je les conferve.

Comme vous êtes Roi, vous ne confidérez
Qui ni quoi: Rois & Dieux mettent, quoiqu'on leur die,
Tout en même (2) catégorie.

Adieu mes nourriffons fi vous les rencontrez.
Peignez-les-moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez,
Je n'y toucherai de ma vie.

(1) Le Hibou.

(2) Au même rang, fans faire la moindre diftinaion.

Le Hibou repartit: mes petits font mignons,
Beaux, bien faits, & jolis fur tous leurs compagnons :
Vous les reconnoîtrez fans peine à cette marque.
N'allez pas l'oublier: retenez-la fi bien,

Que chez moi la maudite (3) Parque
N'entre point par votre moyen.

Il avint qu'au Hibou Dieu donna géniture:
De façon qu'un beau foir qu'il étoit en pâture,
Notre Aigle aperçut d'avanture,
Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une mazure,
(Je ne fçai pas lequel des deux)
De petits monftres fórt hideux,

Rechignés, un air trifte, une voix de Mégére.
Ces enfans ne font pas, dit l'Aigle, à notre ami:
Croquons-les. Le galant n'en fit pas à demi:
Ses repas ne font point repas à la légére.
Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De fes chers nourriffons, hélas! pour toute chose.
Il fe plaint; & les Dieux font par lui fuppliés
De punir le brigand qui de fon deuil eft caufe.
Quelqu'un lui dit alors: n'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi,

Qui veut qu'on trouve fon femblable
Beau, bien fait, & fur tous aimable.

Tu fis de tes enfans à l'Aigle ce portrait:
En avoient-ils le moindre trait?

(3) Celle des trois qui coupe le fil de la vie. Les Poë. tes difent communément que c'eft Atropos.

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Le Lion s'en allant en guerre.

Le Lion dans fa tête avoit une entreprise.

Il tint confeil de guerre, envoya ses Prévôts,
Fit avertir les Animaux :

Tous furent du deffein, chacun felon fa guise.
L'Eléphant devoit fur fon dos
Porter l'attirail néceffaire,

Et combatre à fon ordinaire :
L'Ours s'apprêter pour les affauts:

Le Renard ménager de certaines pratiques;
Et le Singe amufer l'ennemi par fes tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les Anes qui font lourds;
Et les Liévres fujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le Roi, je les veux employer:
Notre troupe, fans eux, ne feroit pas complette.
L'Ane effraira les gens, nous fervant de trompette;
Et le Liévre pourra nous fervir de courier.

Le Monarque prudent & fage,

De fes moindres fujets fçait tirer quelque ufage,
Et connoît les divers talens.
Il n'eft rien d'inutile aux perfonnes de fens.

FABLE XX. -
L'Ours & les deux Compagnons.
Deux Compagnons preffés d'argent,

A leur voifin Fourreur vendirent
La peau d'un Ours encor vivant;

Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils

dirent.

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