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Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.
C'eft-là tout mon talent: je ne fçai s'il fuffit.
Tantôt je peins en un récit
La fotte vanité jointe avec l'envie,

Deux (2) pivots fur qui roule aujourd'hui notre vie.
Tel eft ce (3) chétif animal

Qui voulut en groffeur au boeuf fe rendre égal.
J'oppofe quelquefois par une double image
Le vice à la vertu, la fottife au bon fens,
Les agneaux aux loups raviffans,

La mouche à la fourmi; faifant de cet ouvrage
Une ample comédie à cent actes divers,
Et dont la fcene eft l'univers.

Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle,
Jupiter comme un autre.

Introduifons celui

Qui porte de fa part aux belles la parole:
Ce n'eft pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Un Bûcheron perdit fon gagne - pain;
C'eft fa cognée; & la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-deffus de l'entendre.
Il n'avoit pas des outils à revendre.
Sur celui-ci rouloit tout son (4) avoir,
Ne fçachant donc où mettre son espoir,
Sa face étoit de pleurs toute baignée.
O ma cognée! O ma pauvre cognée!
S'écrioit-il, Jupiter, rends - la-moi,
Je tiendrai l'être encore un coup de toi.
Sa plainte fut de (5) 1'Olympe entendue.
Mercure (6) vient. Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce Dieu; la connoîtras - tu bien?
Je crois l'avoir près d'ici rencontrée.

(2) Ce qui fuporte quelque chofe de mobile,
(3) La Grenouille, Livre 3. Fable 3.

(4) Son bien, fa reffource,

(5) Le Ciel.

(6) Meffager des Dieux.

Lors, une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit: je n'y demande rien.
Une d'argent fuccede à la premiére;
Il la refuse. Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois :
Je fuis content fi j'ai cette derniére.
Tu les auras, dit le Dieu, toutes trois;
Ta bonne foi fera récompensée :
En ce cas - là je les prendrai, dit-il.
L'histoire en eft auffi-tôt dispersée;
Et Boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour fe le faire rendre.
Le roi des dieux ne fçait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards.vient encor,
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru paffer pour une bête
De ne pas dire auffi-tôt la voilà.
Mercure, au-lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup fur la tête.

Ne point mentir, être content du fien;
C'eft le plus für: cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que fert cela? Jupiter n'eft pas dupe.

FABLE. I I.

Le Pot de terre, & le Pot de fer.

Le Pot de fer propofa

Au Pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excufa,

Difant (1) qu'il feroit que fage

(1) C'eft-à-dire, qu'il feroit fort fagement. Il ferait que fage,

De garder le coin du feu;
Car il lui falloit fi peu,
Si peu, que la moindre chofe
De fon débris feroit caufe:
Il n'en reviendroit morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Eft plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le Pot de fer:
Si quelque matiére dure
Vous menace (2) d'avanture,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous fauverai.
Cette offre le perfuade.
Pot de fer fon camarade
Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds,
Clopin clopant, comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jettés,

Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

eft une expreffion un peu furannée, mais qui se trouve communément dans nos vieux Auteurs, fans en excepter Amyot lui-même, l'Ecrivain le plus correct & le plus poli de fon temps, qui l'a employée dans fa traduction de Plutarque. Tu fais que fage, Geminius, dit-il dans la Vie de Marc-Antoine, ch. 12. de confeffer la vérité avant qu'on te donne la gehenne pour te la faire dire. La Fontaine touché de la naïveté de cette expreffion, s'eft fait un plaifir d'en orner fon ftile. Mais un Correcteur d'imprimerie, fort éloigné d'en fentir la naïveté, la trouvant barbare, parce qu'il ne l'entendoit pas, a cru faire merveille de mettre à la place, qu'il feroit plus fage; & cette prétendue correction a été reçue dans toutes les Editions des Fables de La Fontaine qui ont paru depuis en France, en Hollande, &c. quoique dans l'Edition de Paris de 1678. corrigée par La Fontaine lui-même, il y eût, qu'il feroit que fage, comme dans toutes les Editions précédentes, ce qui au roit dû tenir en refpect cet imprudent Correcteur, ou du moins empêcher les Editeurs qui font venus après lui, de marcher aveuglément fur les traces. (2) De quelque fâcheux accident.

Le Pot de terre en fouffre: il n'eut pas fait cent pas,
Que par fon compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu'il eût lieu de fe plaindre.

Ne nous affocions qu'avecque nos égaux,
Ou bien il nous faudra craindre
Le deftin d'un de ces Pots.

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Le petit Poiffon & le Pêcheur.
Petit Poiffon deviendra grand,

Pourvû que Dieu lui prête vie,
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'eft folie:
Car de le rattraper, il n'eft pas trop certain.

Un Carpeau qui n'étoit encore que (1) fretin,
Fut pris par un Pêcheur au bord d'une riviérë.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant fon butin,
Voilà commencement de chere & de feftin:

Mettons - le en notre gibeciére.

Le pauvre Carpillon lui dit en fa maniére,
Que ferez-vous de moi? je ne fçaurois fournir
Au plus qu'une demi - bouchée :
Laiffez-moi Carpe devenir;

Je ferai par vous repêchée.

Quelque gros partifan m'achetera bien cher:

Au-lieu qu'il vous en faut chercher

Peut-être encor cent de ma taille

Pour faire un plat. Quel plat? Croyez-moi, rien qui vaille.

(1) Très-petit.

Rien qui vaille ? & bien foit, repartit le Pêcheur, Poiffon, mon bel ami, qui faites le prêcheur, Vous irez dans la poêle, & vous avez beau dire, Dès ce foir on vous fera frire.

Un (2) tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras. L'un eft fûr, l'autre ne l'eft pas.

(1) Prens cela, je te le donne.

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n animal cornu bleffa de quelques coups
Le Lion, qui plein de courroux,
Pour ne plus tomber en la peine,
Bannit des lieux de fon domaine

Toute bête portant des cornes à fon front.
Chévres, Béliers, Taureaux auffi-tôt délogerent,.
Dains & Cerfs de climat changerent:
Chacun à s'en aller fut prompt.

Un Liévre apercevant l'ombre de fes oreilles,
Craignit que quelque (1) Inquifiteur

N'allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les foutint en tout à des cornes pareilles.
Adieu, voifin Grillon, dit-il, je pars d'ici;
Mes oreilles enfin feroient cornes auffi:

Et quand je les aurois plus courtes qu'une (2) Au truche,

Je craindrois même encor. Le Grillon repartit:

(1) Délateur, qui fait métier de noircir, de décrier les actions les plus innocentes.

(2) Gros oiseau qui a les oreilles fort courtes,

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