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De

e tout temps les Chevaux ne font nés pour l. hommes.

Lorfque le genre humain de gland fe contentoit, Ane, Cheval & Mule aux forêts habitoit :

Et l'on ne voyoit point, comme au fiècle où nous fommes,

Tant de felles & tant de bâts,

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaifes, tant de caroffes;
Comme auffi ne voyoit - on pas
Tant de feftins & tant de noces.
Or un Cheval eut alors différend
Avec un Cerf plein de vitesse,

Et ne pouvant l'attraper en courant,
Il eut recours à l'Homme, implora fon adresse.
L'Homme lui mit un frein, lui fauta fur le dos,
Ne lui donna point de repos,

Que le Cerf ne fût pris, & n'y laiffât la vie.
Et cela fait, le Cheval remercie

L'homme fon bienfaiteur, difant: Je fuis à vous;
Adieu. Je m'en retourne en mon féjour sauvage.
Non pas cela, dit l'Homme, il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel eft votre ufage.
Demeurez donc, vous ferez bien traité,
Et jufqu'au ventre en la litière.
Hélas! que fert la bonne chere,

Quand on n'a pas la liberté!

Le Cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie;
Mais il n'étoit plus temps. Déjà son écurie

Etoit prête & toute bâtie.

Il y mourut en traînant fon lien : Sage s'il cût remis une légere offense.

Quel que foit le plaifir que caufe la vengeance; C'eft l'acheter trop cher, que l'acheter (1) d'un bien Sans qui les autres ne font rien.

(1) La Liberté. Potiore metallis Libertate cavet, dit Horace fur le même fujet. Epift. x. lib 1. Le tour qu'a pris La Fontaine, eft plus original, & plus délicat, fi je ne me trompe.

Les

FABLE XIV.

Le Renard & le Bufte.

Yes Grands, pour la plupart, font mafques de
théâtre;

Leur apparence impofe au vulgaire idolâtre.
L'Ane n'en fçait juger que par ce qu'il en voit.
Le Renard au contraire à fond les examine,
Les tourne de tout fens; & quand il s'aperçoit
Que leur fait n'eft que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un (1) Bufte de Héros
Lui fit dire fort à propos.

C'étoit un Bufte creux & plus grand que nature.
Le Renard, en louant l'effort de la Sculpture,
Belle tête, dit-il, mais de cervelle point.

Combien de grands Seigneurs font buftes en ce point?

(2) Figure de Tête en boffe, de métal, de pierre, ou de bois.

FABLE X V.

Le Loup, la Chévre & le Chévreau.

FABLE

X V I.

Le Loup, la Mere & l'Enfant.

LA (1)

a (1) Bique allant remplir fa traînante mamelle, Et paître l'herbe nouvelle,

Ferma fa porte au loquet,

Non fans dire à fon (2) Biquet:
Gardez-vous, fur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die
Pour enfeigne & mot du (3) guet,
Foin du Loup & de fa race.
Comme elle difoit ces mots,
Le Loup de fortune passe :
Il les recueille à propos,
Et les garde en fa mémoire.

La Bique, comme on peut croire,
N'avoit pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partic, il contrefait fon ton,
Et d'une voix (4) papelarde

Il demande qu'on ouvre, en difant; foin du Loup;
Et croyant entrer tout-d'un - coup.

Le Biquet foupçonneux par la fente regarde. Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point, S'écria-t-il d'abord. (Patte blanche est un point

(1) La Chévre.

(2) Le Chévreau.

(3 Mot pour reconnoître ceux de fon parti. (4) Douce & contrefaite.

Chez les Loups, comme on fçait, rarement en usage.)
Celui-ci fort furpris d'entendre ce langage,
Comme il étoit venu s'en retourna chez foi.
Où feroit le Biquet s'il eût ajoûté foi

Au mot du guet, que de fortune
Notre Loup avoit entendu?

Deux fûretés valent mieux qu'une;

Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

Ce

Loup me remet en mémoire

Un de fes compagnons qui fut encor mieux pris. 11 y périt: voici l'Histoire.

Un villageois avoit à l'écart fon logis:

Meffer Loup attendoit (1) chape - chute à la porte. Il avoit vû fortir gibier de toute forte,

Veaux de lait, Agneaux & Brebis,

Régiment de Dindons, enfin bonne (2) provende.
Le larron commençoit pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier.

La mere auffi-tôt le gourmande,

Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au Loup. L'animal fe tient prêt,
Remerciant les Dieux d'une telle avanture;
Quand la mere appaifant fa chere géniture,
Lui dit; ne criez point: s'il vient, nous le tuerons,
Qu'est ceci? s'écria le mangeur de Moutons.
Dire d'un, puis d'un autre? Eft-ce ainfi que l'on traite
Les gens faits comme moi? Me prend-on pour un fot?
Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noisette.

(1) Quelque bonne avanture. Si vous voulez fçavoir ce qui a donné lieu à cette expression, voyez le Dictionnaire de Trévoux, au mot Chapecute.

(2) Provifion de bouche.

Comme il difoit ces mots, on fort de la maison: Un chien de cour l'arrête: épieux & fourches fiéres L'ajustent de toutes manières.

Que veniez-vous chercher en ce lieu? lui dit-on. Auffi-tôt il conta l'affaire.

Merci de moi, lui dit la mere,

Tu mangeras mon fils? l'ai-je fait à dessein
Qu'il affouviffe un jour ta faim?
On affomme la pauvre bête.

Un manant lui coupa le pied droit & la tête :
Le Seigneur du village à fa porte les mit,
Et ce dicton Picard à l'entour fut écrit:

Biaux chires Leups n'écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.

FABL

E XVI I.

Parole de Socrate.

Socrate

ocrate (1) un jour faifant bâtir, Chacun cenfuroit fon ouvrage.

L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir
Indignes d'un tel perfonnage.

L'autre blâmoit la face; & tous étoient d'avis
Que les appartemens en étoient trop petits.
Quelle maifon pour lui! L'on y tournoit à peine.
Plût au Ciel que de vrais amis;

Telle qu'elle eft, dit-il, elle pût être pleine!

Le bon Socrate avoit raison

De trouver pour ceux-là trop grande fa maison.

(1) Philofophe Grec, dont la fageffe & la vertu ne peuvent être affez admirée de quiconque prendra la peine d'étudier fon caractére.

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