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puis tu me gênerais dans mes courses. Cette raison ne m'arrêterait pas si ta santé y devait gagner. Mais Luynes est un endroit malsain dans cette saison-ci; j'y reste le moins que je puis de peur de la fièvre, et je me sauve sur les hauteurs, où l'air est plus pur, mais où je ne pourrais me loger avec toi. Sitôt que je serai de retour, nous irons, si tu veux, nous établir quelque part, à Sceaux, à Saint-Germain. Au reste, attends quelques jours. Si l'empereur gagne la partie, ce pays-ci sera bientôt calme.

Je retourne à Luynes, et j'y achèverai mes affaires. Je visiterai mes biens, et ferai du tapage aux gens qui me doivent. Malheureusement ils me connaissent et ne s'effraient pas de mes menaces; ils finissent toujours par me payer quand

ils veulent.

Le fragment qui suit appartient à une lettre assez longue et de peu d'intérêt. C'est un de ces croquis charmants dans lesquels Courier excellait, et dont il existe, sous le nom de Livret de Paul-Louis, un recueil connu de quelques personnes.

A MADAME COURIER.

Tours, novembre 1815.

J'ai diné chez M. de Chavaignes en grande compagnie, avec des chouans, des Vendéens, etc., plus extravagants royalistes que tout ce que tu as jamais vu, mais du reste bonnes gens. On a porté ta santé avec enthousiasme. Tu as une grande réputation. Il y avait là deux curés qui se sont enivrés tous les deux. Un d'eux avait ce jour-là un enterrement à faire; c'est la première chose qu'il a oubliée. A son retour il a trouvé à dix heures du soir le mort et sa sequelle qui l'attendaient depuis midi. Il s'est mis à les enterrer. Il chantait à tue-tête, il sonnait ses cloches ; c'était un vacarme d'enfer. L'autre curé, qui était le plus ivre des deux, voulait se battre avec moi. Ayant appris que j'avais une femme jeune et jolie, il fit là-dessus des commentaires à la housarde, qui réjouirent fort la compagnie.

Il est question dans les lettres qui suivent des affaires de Courier, bûcheron et vigneron, non comme il l'entendait devant M. le procureur du roi, mais sérieusement propriétaire et cultivateur. Véretz, Azay-sur-Cher,

Montbazon, qui jouent un si grand rôle dans quelquesuns des opuscules condamnés, viennent ici, mais tout simplement pour leur part dans les intérêts domestiques de Courier. Dans la suite de cette correspondance, on retrouvera souvent ces noms, et toujours avec plaisir.

A MADAME COURIER.

Paris, 25 à 28 décembre 1815.

Ayant reçu la lettre de M. Lamaze, tu auras pensé, j'imagine, à envoyer les affiches au garde pour la coupe que nous voulons vendre cette année. Si tu ne l'as point fait, va voir Bidaut, et dis-lui de faire parvenir ces affiches dans les villages d'Azay-sur-Cher, Montbazon, Saint-Avertin, Véretz et Larçai. Les trois premiers sont les plus importants. Je ne puis te dire encore quand je partirai; je voudrais que ce fût après-demain ou au plus tard dimanche. Je dînai hier chez ta mère qui me fit dire le matin par Édouard de venir de bonne heure, parce qu'elle allait au spectacle, tout cela comme si elle m'eût invité et que j'eusse accepté; dans le fait il n'en avait pas été question. Je répondis qu'on ne m'attendît pas, et je vins à quatre heures et demie. J'y trouvai Faye', qui me paraît assez attentif auprès de Zaza. On 1 Devenu depuis beau-frère de Courier.

les mit côte à côte à table. Ta mère le choie; Zaza ne le néglige pas. Il comprend à merveille ce que cela veut dire. On voit qu'ils pensent à quelque chose. Moi je n'y nuis pas non plus; je les fais causer ensemble tant que je puis. Je serais enchanté que cela réussît, et toi aussi, je crois. Zaza est bonne personne; je trouve qu'elle gagne beaucoup depuis quelque temps. Elle est bien faite, quoique un peu forte : il y a de l'étoffe pour faire une belle et bonne femme, et le drôle ne serait pas malheureux. Il est aussi fort bon enfant et plus uni à ce qu'il me semble que la plupart des jeunes gens. Enfin, il en sera ce qui est écrit au ciel.

A MADAME COURIER.

***

Vendredi, 29 décembre 1815,

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J'ai diné hier avec chez un traiteur du Palais-Royal. J'y ai trouvé des gens de connaissance. Nous avons politiqué à perte d'haleine. Je ne suis d'aucun parti. Mais comme ils ont tous raison en un certain sens, je trouve toujours moyen de m'arranger avec eux. Cependant ils m'ont appelé royaliste, et m'ont assuré que je voyais mauvaise compagnie. Après dîné, nous sommes allés à je

ne sais quel café, et puis nous nous sommes promenés. Ils ont voulu m'emmener au spectacle, mais je les ai plantés là, et je me suis sauvé chez Visconti.

Je compte aller voir demain Lucy. Ton père vient de m'apprendre la destitution de M. Daunou, qui ne s'attendait pas à perdre sa place, s'étant, dit-il, déclaré à la Convention pour le parti de Louis XVI.

Point de paume. Je tiens bon; je ne veux pas m'y remettre pour si peu de temps.

A MADAME COURIER.

Paris, le 3 janvier 1816.

On m'a dit hier à la poste que je pouvais avoir aujourd'hui une place pour Tours dans le courrier de Nantes. Si cela est, je pars avec ou sans passe-port, et j'arriverai ce matin avec cette lettre. Je vais ce matin aux passeports, et j'espère en obtenir un; sinon, ma foi, j'y renonce. On ne m'en demandera qu'à Blois, et là, je suis assez connu depuis mon aventure pour qu'on me laisse aller cette fois. Si le courrier ne peut me prendre je partirai par la diligence.

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