'A MADAME COURIER. Le 23 novembre 1821.. Hier un de nos camarades prisonniers s'est évadé fort adroitement. Tu verras cela dans les journaux. Je n'ai eu personne hier, et ma journée s'est passée merveilleusement. Les visites m'ont fait un tort immense. Sans cela ma vie serait très-supportable ici. C'est une vie de moine, mais sans nulle... beaucoup meilleure que celle des moines. Il est vrai que je suis bien chanceux d'avoir cette chambre-ci. J'entends tousser ceux qui habitent du côté du nord. J'ai rayé. Éloïse doit m'apporter ton portrait, que j'attends avec impatience. Il y a dans cela un peu de vanité. On verra l'ange dans la prison, ou du moins son image. Un de mes compagnons me disait l'autre jour : J'aime les hommes qui aiment leurs femmes. [ Courier, rendu à sa famille, se trouva si heureux de la tranquillité de ses champs et de la paix dont il jouissait, qu'il jura bien de ne plus se brouiller avec les procureurs du roi, et, pour cela faire, il composa peu, quoiqu'il demeurât plusieurs mois sans aller à Paris. A cette époque seulement, il termina complètement le fragment, premier publié, d'Hérodote, et corrigea son Daphnis et Chloé (don't alors il fixa le texte), pour la collection des romans grecs de Merlin; il revit aussi le Théagène et Chariclée de cette même collection. Il assemblait des matériaux pour une édition des Cent Nouvelles nouvelles. Elle aurait été fort précieuse. Ce travail est tout informe, et rien malheureusement n'en peut être profitable au public. Cependant, entraîné par son penchant, il ne put se tenir de fronder un petit, et il fit la Pétition pour les villageois qu'on empêche de danser. Il s'imaginait assurément n'être pas inquiété pour ce pamphlet-là, et continua en toute sécurité ses études habituelles. La chose n'alla point ainsi que Courier l'avait espéré. Pendant son absence momentanée, une saisie de cette pétition fut faite à la Chavonnière, et Courier lui-même, après une courte apparition en Touraine, reçut du juge d'instruction un mandat pour être interrogé à Paris. On connaît l'issue de ce procès : il fut acquitté, mais on garda l'ouvrage saisi. Le jugement eût peut-être été plus sévère, si on eût su que, malgré les embarras où il était actuellement plongé, Courier, en se rendant à Paris pour cette nouvelle affaire, avait dans sa poche la Première Réponse aux Anonymes. Mais, devenu prudent à ses dépens, il cacha son nom, et la laissa imprimer au premier venu, revoyant néanmoins les épreuves avec un soin extrême. Les deux première lettres suivantes rendent compte de ses démarches. ] J'ai vu hier madame Arnoult; je suis allé chez elle, comptant apprendre des choses qui auraient pu m'être utiles; mais je n'ai rien appris. Je l'ai trouvée changée; elle a été surprise, au contraire, de me voir si peu vieilli. Ils m'ont fait de grands complimens sur ma réputation. J'ai été étonné de la trouver si bien informée; car ils sont à mille lieues de la littérature; enfin je me suis amusé une heure. Un M. Henin, chez la veuve, s'est vanté de te connaître. Le connais-tu? Je ne t'en ai jamais entendu parler. Il est antiquaire, je l'ai vu jadis je ne sais où. Il parle très-bien l'italien; il dit que tu es belle, que tu vaux un trésor. Cela prouve qu'il a du moins vu des gens qui te connaissaient. On m'a envoyé gratis un cours d'agriculturepratique en sept ou huit cahiers. Cela est trop scientifique. Je trouve ici, en rentrant chez moi, un mandat du juge d'instruction pour être interrogé de main. mnmı A MADAME COURIER. Mardi, 18:22. Me voici dans mon nouveau logement, où je vois de mon lit la moitié de Paris et une belle campagne. La jardinière me fait mon manger. Je suis à peu près, pour vivre, comme à la Filon nière. Je m'occupe de la Réponse aux Anonymes. On imprime l'Hérodote. Tu peux croire que je suis occupé, mais je serai ici à merveille pour tout. Il faut que je te quitte; il est dix heures, je vais à mon jugement. Jeudi. Mon affaire est remise à mardi; je compte faire défaut. J'ai dîné hier chez Cauchois-Lemaire avec Manuel, Béranger et des femmes. Béranger me conte qu'Émilie est en Amérique. Elle est allée d'abord aux États-Unis, où elle s'ennuyait fort; puis la fièvre jaune étant venue, je ne sais où Émilie s'en est allée. Son mari va à Saint-Domingue sans elle. Je lis un livre saisi, défendu, qui est fort curieux; ce sont les Mémoires nouvellement impri més de Madame, duchesse d'Orléans, mère du duc d'Orléans régent. On voit bien là ce que c'est que la cour; il n'y est question que d'empoisonnement, de débauche de toute espèce, de prostitution. Ils vivaient vraiment pêle-mêle. [ Des lettres que Courier écrivit fort régulièrement à sa femme, pendant ses fréquens voyages cette année 1823, très-peu auraient de l'agrément pour le public. Entendu à demi- mot par son correspondant, il n'a besoin souvent que d'une ligne ou d'une phrase pour le tenir au courant de leurs affaires les plus intimes; n'employant d'ailleurs nulle circonlocution pour exprimer l'éloge ou le blâme des objets dont il est frappé. Il continua, selon sa coutume, de composer à la campagne, et retournait à Paris pour chaque nouvelle brochure, ne se fiant à personne du soin de les faire imprimer. Il y porta, au mois de février, la Seconde Réponse aux Anonymes. Selon toute apparence, cette lettre, ou pour mieux dire les recherches qu'elle nécessita sur des choses très-délicates et très-cachées, eurent pour Courier de graves conséquences. Suivent, en ordre de date, le Livret de Paul-Louis; 1 La Gazette de village, toute de faits véritables, et qui peut-être quelque jour sera annotée; Puis la Pièce diplomatique, laquelle fut composée à Paris; Enfin les petits articles, publiés en leur temps dans plusieurs journaux, et auxquels deux ou trois lettres ci-jointes pourront former un utile complément.] 1 |