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maines, et depuis autant de temps sa famille se passe de pain.

Autre nouvelle du même pays. Le curé a défendu de boire pendant la messe; tous les cabarets à cette heure doivent être fermés. Le maire y tient la main. L'autre jour mon ami Bourdon, honnête cabaretier, s'avise de donner à déjeuner à son beau-frère : or c'était un dimanche, et on disait la messe; le maire arrive, les voit, et les met à l'amende, qu'ils ont très-bien payée. Mais voici bien pis. Le curé a défendu aux vignerons, qui voulaient célébrer la fête de saint Vincent leur patron, d'aller ce jour-là au cabaret. J'ai vu le curé, et je lui ai dit : Vous avez bien raison; c'est une chose horrible d'aller au cabaret, un jour de fête surtout; et vous faites très-bien, vous, monsieur le curé, de ne jamais vous griser qu'en bonne compagnie dans le courant de la semaine. Cependant raisonnons, s'il vous plaît; saint Vincent aime les vignerons, puisqu'il est leur patron. Aimant les vignerons, il doit aimer la vigne, et par conséquent le vin, et aussi le cabaret, car tout cela se suit. Comment donc trouve-t-il mauvais que le jour de sa fête on aille au cabaret? Il n'a su que me répondre.

Je te conte des balivernes; l'heure de la poste arrive; adieu.

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A MADAME COURIER.

Tours, le 30 janvier 1816.

Tes lettres me ravissent. Tu as bien raison de dire qu'il ne faut point d'économie sur cet article. Le plaisir qu'elles me font ne peut se comparer aux dix sous qu'elles me coûtent.

J'ai vu I...... Sa maison est bien ce qu'il nous faudrait. Elle est plus simple que je ne l'aurais cru en la voyant de loin. Il dit qu'il ne veut point la vendre. Cependant il me l'a fait voir dans le plus grand détail, et il me la vantait du ton d'un homme qui veut faire valoir sa marchandise. Moi je l'ai fort approuvé de ne point vouloir s'en défaire, et j'ai refusé de voir les appartemens qu'il voulait aussi me montrer. C'est l'histoire de Vaslin. Il s'est mis en tête que je voulais avoir sa maison.

Demain je fais encore une course à Larçay, et puis une autre à Luynes pour mes marchands de bois, qui finalement se moquent de moi. Je m'en vais leur lâcher des huissiers, ce qui ne m'est jamais arrivé, sans compter un procès-verbal que je vais faire faire du dommage causé à mes bois. Je ne veux plus, ma foi, passer pour un benêt,

et je vais leur montrer les dents. Je dis comme madame de Pimbêche: Ces coquins viendront nous manger jusqu'à l'ame, et nous ne dirons mot! ils vont me trouver bien changé. Ils t'attribueront ce changement; tu ne seras pas aimée de tes vassaux. Tu as pourtant une grande réputation dans le pays. Tu passes pour une beauté parfaite. Heureux ceux qui t'ont vue. A propos de beauté, un de nos fermiers a un fils qui passe avec raison pour le plus beau garçon du pays. Il est blond et a dix-huit ans. Ce ne sont point ces gros traits des Anglais et des Allemands. Sa tête est toute grecque. Il est loin de s'en douter, et cela lui donne une grace et un naturel que n'ont point vos messieurs de Paris. Avec sa blouse et ses sabots, il a tout-à-fait l'air d'Apollon chez Admète.

Quand je serai revenu de Luynes, il faudra retourner à Larçay pour mes impositions. Tu vois quelle vie. Je me donne au diable, mais j'espère que cela finira. Le pis est que je ne puis m'occuper d'aucune étude, et que j'ai beaucoup de momens où je ne sais que faire. Alors je meurs d'ennui. J'ai trop ou trop peu d'occupations.

Je t'entretiens de mes sottes affaires qui ne peuvent que t'ennuyer. Il vaut mieux répondre à tes lettres. Je suis bien aise que tu aies remarqué le monsieur en pantoufles. Rien n'est plus choquant, je t'assure.

Je veux croire qu'au fond il ne se passe rien;
Mais enfin on en cause, et cela n'est pas bien.

Je t'assure que tu fais trop d'avances à ces gens qui n'y répondent pas. Il faut se garder d'être dupe en amitié, c'est-à-dire d'y mettre trop du sien. On joue un mauvais personnage.

Tu peins madame S. C'est une pauvre étude et un maigre sujet, mais cela vaut mieux que de ne rien faire. Je ne m'étonne pas que tu aies de la peine à te mettre au travail. J'éprouverais la même chose. Nous nous prêcherons l'un l'autre. J'ai des projets admirables, et je les exécuterai en dépit de la paume.

A MADAME COURIER.

Tours, le 1er février 1816.

J'espère qu'enfin tu auras reçu de mes lettres; je t'ai écrit il y a eu hier huit jours, c'est-à-dire un mercredi, et je vois que le dimanche d'après tu n'avais encore rien reçu. Cela est étrange; mais tu t'es trop désolée, tu devrais être accoutumée aux sottises de la poste. Tu avais raison de m'attendre, j'étais à tout moment sur le point de partir, et c'est ce qui m'empêchait de t'écrire.

Tes lettres me font toujours un plaisir infini.

Leur miel dans tous mes sens fait couler à longs traits
Une suavité qu'on ne goûta jamais.

C'est du Tartufe. Je suis bien aise que tu n'ailles pas chez les C.; pour que nous puissions former quelque liaison avec eux, il faudrait qu'ils fussent bonnes gens, et rien n'est si rare. Tous tes détails sont bien aimables et valent de l'or pour moi. Les la Beraudière ne sont pour rien dans l'usurpation dont je t'ai parlé; leur gentilhommerie à part, ce sont des gens fort estimables; encore sont-ils sur leur noblesse plus supportables que les autres. Je voudrais être auprès de toi pour te faire travailler, tu auras de la peine à t'y remettre; mais il faut tenir bon, c'est l'affaire de quelques jours; je te prêcherai d'exemple. Tu ne m'as pas encore vu travailler tout de bon; je veux finir mon Ane tout d'un trait.

Je gèle et cependant je continue à t'écrire. Il y a ici beaucoup de gens fort mécontens que j'aie osé acheter cette forêt; ce sont les gros du pays et B. à la tête. Il m'avait dit d'abord avant l'acquisition Cela ne convient qu'aux gens riches de ce pays-ci. Un M. de Rhodes a eu là-dessus une querelle avec sa femme; c'est l'histoire de M. et madame de Sottenville. Sa femme lui disait : Comment avez-vous pu ne pas acheter cela? Il s'en justifie de son mieux; il dit que c'était trop cher. Moi je trouve qu'il aurait bien pu, lui ou

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