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tout le monde lit avec délices, et donné aux savans un texte qui sera bientôt traduit dans toutes les langues, peut compenser le crime d'avoir effacé involontairement quelques mots dans un bouquin que personne avant moi n'a lu, et que jamais personne ne lira. Si j'avais l'éloquence de M. Furia, j'évoquerais ici l'ombre de Longus, et, lui contant l'aventure, je gage qu'il en rirait, et qu'il m'embrasserait pour avoir enfin remis en lumière son œuvre amoureuse. Vous pouvez penser la mine qu'il ferait à M. Furia, qui le laissait manger aux vers dans le vénérable bouquin.

J'ai l'honneur d'être, monsieur, etc.

,Tivoli, le 20 septembre 1810.

P. S. Est-ce la peine de vous dire, monsieur, pourquoi je ne vous envoyai ni le texte, ni la traduction que je vous avais promise? Accusé de spéculer avec vous sur ce fragment, dont je vous faisais présent, comme vous en convenez, le seul parti que j'eusse à prendre, n'était-ce pas de le donner moi-même au public? Je vous avoue aussi que votre ambition m'alarmait. Si, pour m'avoir accompagné dans une bibliothèque, vous disiez et vous imprimiez à Milan : Nous avons trouvé, et nous allons donner un Longus complet, n'était-il pas clair qu'une fois maître et éditeur de ce texte, vous auriez dit, comme Archimède: Je l'ai trouvé. Vous et M. Furia vous alliez vous

parer de mes plus belles plumes, et je restais avec ma tache d'encre que personne ne me contestait. J'avais pensé faire deux parts; le profit pour vous, l'honneur pour moi vous vouliez avoir l'un et l'autre, et ne me laisser que le pâté. Une pareille prétention rompait tous nos arrangemens.

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LETTRE

A MESSIEURS

DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ET BELLES-LETTRES.

MESSIEURS,

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C'est avec grand chagrin, avec une douleur extrême que je me vois exclu de votre Académie, puisque enfin vous ne voulez point de moi. Je ne m'en plains pas toutefois. Vous pouvez avoir, pour cela, d'aussi bonnes raisons que pour refuser Coraï et d'autres qui me valent bien. En me mettant avec eux, vous ne me faites nul tort; mais d'un autre côté, on se moque de moi. Un auteur de journal, heureusement peu lu, imprime << Monsieur Courier s'est présenté, se

présente et se présentera aux élections de l'A<<< cadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui « le rejette unanimement. Il faut, pour être ad«< mis dans cet illustre corps, autre chose que du

« grec. On vient d'y recevoir le vicomte Prevost d'Irai, gentilhomme de la chambre, le sieur Jo«< mard, le chevalier Dureau de La Malle, gens qui, à dire vrai, ne savent point de << dont les principes sont connus. »>

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grec, mais

Voilà les plaisanteries qu'il me faut essuyer. Je saurais bien que répondre; mais ce qui me fâche le plus, c'est que je vois s'accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père: Tu ne seras jamais rien. Jusqu'à présent je doutais (comme il y a toujours quelque chose d'obscur dans les oracles), je pensais qu'il pouvait avoir dit : Tu ne feras jamais rien; ce qui m'accommodait assez, et me semblait même d'un bon augure pour mon avancement dans le monde; car en ne faisant rien, je pouvais parvenir à tout, et singulièrement à être de l'Académie ; je m'abusais. Le bouhomme sans doute avait dit, et rarement il se trompa Tu ne seras jamais rien, c'est-à-dire, tu ne seras ni gendarme, ni rat-de-cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. Tu seras PaulLouis pour tout potage, id est, rien. Terrible mot!

C'est folie de lutter contre sa destinée. Il y avait trois places vacantes à l'Académie, quand je ine présentai pour en obtenir une. J'avais le mérite requis; on me l'assurait, et je le croyais, je vous l'avoue. Trois places vacantes, messieurs ! et notez ceci, je vous prie, personne pour les remplir.

Vous aviez rebuté tous ceux qui en eussent été capables. Coraï, Thurot, Haase, repoussés une fois, ne se présentaient plus. Le pauvre Chardon de la Rochette qui, toute sa vie, fut si simple de croire obtenir, par la science, une place de savant, à peine désabusé, mourut. J'étais donc sans rivaux que je dusse redouter. Les candidats manquant, vous paraissiez en peine, et aviez ajourné déjà deux élections faute de sujets recevables. Les uns vous semblaient trop habiles, les autres trop ignorans; car sans doute vous n'avez pas cru qu'il n'y eût en France personne digne de s'asseoir auprès de Gail. Vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages. Que vous dirai-je enfin? Tout me favorisait, tout m'appelait au fauteuil. Visconti me poussait, Millin m'encourageait, Letronne me tendait la main; chacun semblait me dire: Dignus es intrare. Je n'avais qu'à me présenter; je me présentai donc, et n'eus pas une voix.

Non, messieurs, non, je le sais, ce ne fut point votre faute. Vous me vouliez du bien, j'en suis sûr. Il y parut dans les visites que j'eus l'honneur de vous faire alors. Vous m'accueillites d'une façon qui ne pouvait être trompeuse; car pourquoi m'auriez-vous flatté? Vous me reconnûtes des droits. La plupart même d'entre vous se moquèrent un peu avec moi de mes nobles concurrens ; car, tout en les nommant de préférence à moi,

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