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en demeura là. J'ai gardé la minute d'une lettre que j'écrivis à ce sujet à M. Chaban, membre de la Junte.

Livourne, le 30 septembre 1807.

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<< MONSIEUR,

Les ordres que j'ai reçus m'ont obligé de partir si précipitamment, que j'eus à peine le temps de porter chez vous ma carte à une «< heure où je pouvais espérer de vous parler; << manière de prendre congé de vous bien con<< traire à mes projets; car après les marques de « bonté que vous m'avez données, monsieur, j'avais dessein de vous faire ma cour, et de profiter des dispositions favorables où je vous voyais pour rassembler et sauver ce qui se peut « encore trouver de précieux dans vos bibliothè<< ques de moines. Mais puisque mon service m'empêche de partager cette bonne œuvre, je <«< veux au moins y contribuer par mes prières. « Je vous conjure donc de vouloir bien ordonner <«< que tous les manuscrits de l'abbaye soient transportés à la bibliothèque de Saint-Laurent, << et qu'on cherche ceux qui manquent d'après <«<le catalogue existant. J'ai reconnu dernière<«<ment que déjà quelques-uns des plus impor<< tans ont disparu; mais il sera facile d'en trouver « des traces, et d'empêcher que ces monumens « ne passent à l'étranger, qui en est avide, ou

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« même ne périssent dans les mains de ceux qui << les recèlent, comme il est arrivé souvent, etc. »

On donna de nouveaux ordres pour la recherche des manuscrits. Je fus même nommé par la Junte, avec M. Akerblad, commissaire à cet effet, honneur que nous refusâmes, lui comme étranger, moi comme occupé ailleurs. Ce soin demeura donc confié à MM. Puzzini et Furia, que rien ne put engager à y penser le moins du monde; ils ne voulaient alors faire de la peine à personne. Ceux qui avaient les manuscrits les gardèrent, et les ont encore.

Or, ces gens, si indifférens à la perte d'une collection de tous les auteurs classiques, croirait-on que ce sont eux qui aujourd'hui, pour quatre mots d'une page d'un roman, quatre mots que, sans moi, ils n'eussent jamais déchiffrés, quatre mots qui sont imprimés, et qu'ils liraient s'ils savaient lire, travaillent avec tant d'ardeur à soulever contre moi le public et le gouvernement, remplissent les gazettes d'injures et de calomnies ridicules, et, par des circulaires, promettent à la canaille littéraire d'Italie le plaisir de me voir bientôt traité en criminel d'état. M. Puzzini en répond, il sait sans doute ce qu'il dit, et, ma foi, je commence à le croire un petit, comme dit

Sosie.

Ce qui vous surprendra, monsieur, c'est qu'aucun d'eux ne me connaît. Jamais aucun d'eux,

excepté le seigneur Furia, n'a eu avec moi ni liaison ni querelle, ni rapport d'aucune espèce. J'ai parlé un quart-d'heure à M. Pulcini, et ne me rappelle pas même sa figure; ainsi leur haine contre moi ne peut être personnelle. Pour me faire une guerre si cruelle, et sur si peu de chose, eux qui naturellement ne veulent faire de mal à personne, leur motif est tout autre qu'une animosité, si cela se peut dire, individuelle. L'offense que j'ai faite très-involontairement au seigneur Furia lui est particulière; la rage de toute sa clique a une cause plus générale.

Vous vous rappelez le mot des Espagnols : Non comme Français, mais comme hérétiques ». Ces messieurs disent bien ici quelque chose d'approchant; mais je vous assure qu'ils déguisent fort peu les vrais motifs de leur haine; tout le monde en est instruit. Mon premier crime a été de découvrir leur ignorance, mais cela seul n'eût été rien; car s'ils persécutaient tous ceux qui en savent plus qu'eux, à qui pourraient-ils pardonner? le second, qui me rend indigne de toute

1 C'est son nom encore estropié, mais d'une autre façon. Pulcini veut dire poussin, petit poulet, en italien on en a fait Pulcinella, polichi nelle chez nous. Ccs lazzi, qui ne demandaient pas assurément beaucoup d'esprit, chagrinèrent plus que tout le reste le pauvre chambellau.

Les Espagnols, dans la Floride, firent pendre et brûier les Français protestans, avec cet écriteau : Non comme Français, mais comme hérétiques; à quoi les flibustiers, depuis, répondirent en massacrant les Es pagnols: Non comme Espagnols, mais comme assassins.

grace, c'est que je ne prononce pas comme eux le mot ciceri'. C'est là une sorte de péché originel que rien ne peut effacer.

Si j'avais le moindre crédit, le moindre petit emploi, quelque gain à leur promettre, quelques bribes à leur jeter, ils seraient tous à mes pieds et imagineraient autant de bassesses pour me faire la cour, qu'ils inventent aujourd'hui de calomnies pour me nuire. Soyez assuré, monsieur, qu'avant de se décider à m'entreprendre, comme on dit, ils se sont bien informés si je n'avais point quelque appui, et comme ils ont appris que je ne tenais à rien, que je vivais seul avec quelques amis aussi obscurs que moi, que je me tenais loin des grands, et qu'aucun homme en place ne s'intéressait à moi, ils m'ont déclaré la guerre. Avouez que ce sont d'habiles gens; car que ces bons Espagnols fissent un auto-da-fé des Français dans la Floride, c'était quelque chose assurément, il y avait là de quoi louer Dieu; mais si on pouvait faire brûler un Français par les Français mêmes, quel triomphe! quelle allégresse! Je vois ici des gens qui lisent cette triste rapsodie de Furia contre moi : Son style est mauvais, disent-ils, son intention est bonne.

La découverte que j'ai faite dans le manuscrit

1 Ceci fait allusion aux Vèpres Siciliennes, où, pour connaître les Français, on les obligeait de dire ce mot. Ceux qui ne le prononçaient pas bien étaient massacrés.

n'est rien, au dire de ces messieurs; c'est la plus petite chose qu'on pût jamais trouver; mais le mal que j'ai fait est immense. Entendez bien ceci, monsieur : le fragment tout entier n'est rien; mais quelques mots de ce fragment, effacés par malheur, font une perte immense, même alors que tout est imprimé. M. Furia a étendu cette perte le plus qu'il a pu, puisque la tache est aujourd'hui double au moins de celle que j'ai faite, si le dessin qu'en a publié M. Furia est exact. Il l'a augmentée à ce point, afin de pouvoir dire qu'elle était immense; car il accommode non l'épithète à la chose, mais la chose à l'épithète qu'il veut employer. Avec tout cela, il s'en faut que le dommage soit immense, et quand j'aurais noyé dans l'encre tous ses vieux bouquins et lui, le mal serait encore petit.

Cependant cette découverte, toute méprisable qu'elle est, M. Furia entend qu'elle nous soit commune, ou, pour mieux dire, il y consent; car on voit bien d'ailleurs qu'elle lui appartient toute, puisque c'est lui, dit-il, qui m'a fait connaître, montré, déchiffré ce manuscrit, que sans lui apparemment je n'aurais pu ni trouver ni lire. C'est là, au vrai, le but principal de son libelle, et à quoi tendent tous les détails par lui inventés, dont son récit est rempli. Sans y mettre beaucoup d'art, il a trouvé ses lecteurs disposés à le croire et à lui adjuger la moitié de cet hon

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