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yeux au ciel, faites un soupir ou un sourire, et dites que le temps est au beau.

Mais, avant d'aller plus loin, souffrez, monsieur, que je me plaigne de la manière dont vous me faites connaître au public. Vous m'annoncez comme auteur d'une traduction de Longus parfaitement inconnue, brochure anonyme dont il n'y a que très-peu d'exemplaires dans les mains de quelques amis; et, comme on ne me connaît pas plus que ma traduction, vous apprenez à vos lecteurs que je suis un helléniste, fort habile, dites-vous. On ne pouvait plus mal rencontrer. Si je suis habile, ce n'est pas dans cette occasion que j'en ai fait preuve. Ayant découvert cette bagatelle, qui complète un joli ouvrage mutilé depuis tant de siècles, vous voyez le parti que j'en ai su tirer. J'en fais cadeau au public, et je passe pour l'avoir non-seulement volée, mais anéantie. Vous-même, monsieur, vous en déplorez la perte. Les journaux italiens me dénoncent comme destructeur d'un des plus beaux monumens de l'antiquité; M. Furia en prend le deuil; sa cabale crie vengeance, et, tandis que ce supplément est, par mes soins et à mes frais, dans les mains de ceux qui peuvent le lire, on répand partout contre moi un libelle avec ce titre : Histoire de la

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1 Voir cette pièce à la fin de ce volume, avec un fac-simile de la tache d'encre.

découverte et de la perte subite d'un fragment de Longus. Voilà mon habileté. Où tout autre aurait trouvé du moins quelque honneur, j'en suis pour mon argent et ma réputation; et je me tiendrai heureux s'il ne m'arrive pas pis. Croyez-moi, monsieur, les habiles en littérature sont ceux qui, comme les jésuites de Pascal, ne lisent point, écrivent peu et intriguent beaucoup.

Je ne suis point non plus helléniste, ou je në me connais guère. Si j'entends bien ce mot, qui, je vous l'avoue, m'est nouveau, vous dites un helléniste, comme on dit un dentiste, un droguiste, un ébéniste; et, suivant cette analogie, un helléniste serait un homme qui étale du grec, qui en vit, et qui en vend au public, aux libraires, au gouvernement. Il y a loin de là à ce que je fais. Vous n'ignorez pas, monsieur, que je m'occupe de ces études uniquement par goût, ou pour mieux dire, par boutades, et quand je n'ai point d'autre fantaisie; que je n'y attache nulle importance, et n'en tire nul profit; que jamais on n'a vu mon nom en tête d'aucun livre; que je ne veux aucune des places où l'on parvient par ce moyen; et que, sans les hasards qui m'ont engagé à donner au public un texte de quelques pages, jamais on n'aurait eu cette preuve de mon habileté; qu'enfin même, après cela, si vous ne m'eussiez démasqué, contre toute bienséance et sans nulle nécessité, cette habileté qu'il vous plaît de

me supposer, ou ne m'eût point été attribuée, ou serait encore un secret entre quelques personnes capables d'en juger.

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Qu'est ce, s'il vous plaît, monsieur, qu'une notice d'un livre qui ne se vend point, qu'on donne à peu de personnes, et que même on 'ne peut plus donner? et qu'importe à qui vous lit que ce livre soit bon ou mauvais, si on ne saurait l'avoir? Que vous vous défendiez du mal qu'on vous impute en nommant celui qui l'a fait, cela est tout simple; mais personne ne vous accusait d'avoir fait cette traduction. Je ne veux point trop vous pousser là-dessus, ni paraître plus fâché que je ne le suis en effet. Vous avez cru la chose de peu de conséquence, et pensé fort sagement qu'un tel ouvrage ne me pouvait faire ni grand honneur ni grand tort. Mais enfin vous eussiez pu vous dispenser de me nommer, du moins comme traducteur, et en y pensant mieux, vous n'eussiez pas dit que j'étais ni habile, ni helléniste.

Vous n'êtes pas plus exact en parlant de M. Furia. Sans autre explication, vous le désignez seulement comme bibliothécaire, gardien d'un dépôt littéraire célèbre dans toute l'Europe. Y pensez-vous, monsieur? Vous écrivez à Paris, vous parlez à des Français, qui, voyant dans ces emplois des gens d'un mérite reconnu, dont quelques-uns même sont Italiens', ne manque

Visconti, Marini et d'autres.

ront pas de croire que le seigneur Furia est un homme considérable par son savoir et par sa place. Je comprends que cette erreur peut vous être indifférente, et qu'ayant apparemment plus de raison de le ménager que de vous plaindre de lui, vous lui laissez volontiers la considération attachée à son titre dans le pays où vous êtes. Mais moi qu'il attaque, soutenu d'une cabale de pédans, il m'importe qu'on l'apprécie à sa juste valeur, et je ne puis souffrir non plus qu'on le confonde avec des gens dont l'érudition et le goût font honneur à l'Italie.

Si vous eussiez voulu, monsieur, donner une juste idée des personnages peu connus dont vous aviez à parler, après avoir dit que j'étais ancien militaire, helléniste, puisque vous le voulez, fort habile, il fallait ajouter: M. Furia est un cuistre, ancien cordonnier comme son père, garde d'une bibliothèque qu'il devrait encore balayer, qui fait aujourd'hui de mauvais livres n'ayant pu faire de bons souliers, helléniste fort peu habile, à huit cents francs d'appointemens; copiant du grec pour ceux qui le paient; élève et successeur du seigneur Bandini, dont l'ignorance est célèbre. Et il ne fallait pas dire seulement, comme vous faites, que cet homme cherche des torts dans les accidens les plus simples, mais qu'il est intéressé à en trouver, parce qu'il est cuistre en colère, dont la rage et la vanité cruellement blessée ser

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vent d'instrument à des haines qui n'osent éclater d'une autre manière. Ce sont là de ces choses sur lesquelles vous gardez un silence prudent. Fontenelle, dit quelque part Voltaire, était tout plein de ces ménagemens. Il n'eût voulu pour rien au monde dire seulement à l'oreille que F... est un polisson. Voltaire cachait moins sa pensée. Mais il est plus sûr d'imiter Fontenelle. Malheureusement le choix n'est pas en mon pouvoir, et je suis obligé de tout dire.

Pour commencer par les raisons que peut avoir le seigneur Furia de n'être pas aussi désintéressé qu'on le croirait dans cette affaire, il faut savoir que la découverte du précieux fragment de Longus s'est faite dans un manuscrit sur lequel, lui Furia, a travaillé longues années, et qu'il regardait en quelque sorte comme sa propriété ; qu'on y a fait cette trouvaille au moment précisément où le seigneur Furia venait de donner au public une notice très-ample et très-exacte, selon lui, de ce même manuscrit, dans laquelle est indiqué, page par page, et fort au long, tout ce que le sieur Furia y a pu remarquer; que son travail sur ce petit volume, annoncé long-temps d'a

Les Français alors de là les monts étaient détestés comme le sont maintenant les Allemands. Le gouvernement n'en savait rien et ne voulait en rien savoir. Ce passage et d'autres pareils ci-dessous, firent en Italie une très vive sensation, et dép!urent à l'autorité, qui redoute surtout qu'on imprime ce que chacun pense.

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