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Quand tout fut prêt, & que l'armée fut fur le point de s'embarquer, Cimon eur la veille ce fonge: il lui fembla qu'une lice fort en colere aboyoit contre lui, & qu'au milieu de fonaboi, elle prononça d'une voix humaine, & très-bien articulée : Viens, car tu me feras plaifir à moi & à mes perits. (2) Ce fonge paroiffoit difficile à expliquer. Mais un certain Aftiphilus de Pofidonie, (k) ami particulier de Cimon, grand devin & bon interprete de fonges, lui déclara que ce fonge lui prédifoit la mort, & voici comme il l'expliquoit le chien eft ennemi de l'homme contre lequel il aboye; or, on ne fauroit faire à fon ennemi un plus grand plai fir que de mourir; (7) & ce mêlange de la voix humaine avec l'aboi, marque pour en

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vent confirmées par l'é-
vénement.

(k) Ville de Lucanie fur
la côte..

(4) Et ce mêlange de la voix humaine avec l'aboi marque pour ennemi un Mede. Les Grecs ne traitoient de voix humaine que leur langage, & ils regardoient le langage des Barbares comme l'aboi des chiens. Le Devin fe fert fort bien de cette opinion pour expliquer ce fonge d'un Général Grec qui marchoit contre les Perfes.

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nemi un Mede. Car l'armée des Medes eft compofée de Grecs & de Barbares.

Après ce fonge, il lui arriva encore un autre figne, qui n'étoit pas moins furprenant. Un jour qu'il offroit un facrifice à Bacchus, le Prêtre ayant ouvert la victime, après l'a voir égorgée, il vint une quantité prodigeufe de fourmis, qui enleverent le fang qui étoit figé, le porterent peu-à-peu auprès de Cimon, lui en enduifirent le gros doigt du pied (m), fans que perfonne y prit garde pendant un affez long-temps. Enfin, Cimon s'en apperçut; & comme il les regardoit, le facrificateur vint lui présenter le foie de la vicaime, qui s'étoit trouvé fans tête..

Malgré ces finiftres préfages, il ne laiffa pas de s'embarquer, car il n'y avoit plus moyen de s'en dédire. H envoya d'abord en Egypte foixante de ses vaiffeaux, & avec les autres il retourna fur les côtes de la Pamphylie, battit l'armée navale du Roi, compofée de vaiffeaux de Phénicie & de Cilicie, fe rendit maître de toutes les villes des environs, épioit cependant l'occafion de pénétrer en Egypte; car il ne concevoir pas de médiocres deffeins, & il ne pensoit à rien de moins qu'à ruiner & détruire abfolument l'Empire du grand Roi de Perfe. Et ce qui

(m) Cimon étoir-là nuds pieds, comme c'étoit la

coutume de la plupart des Athéniens,

l'excitoit le plus à cette haute entreprise. c'étoit l'envie & la jaloufie dont il étoit animé contre Thémistocle, fur ce qu'il avoit appris que fa gloire & fa puiffance étoient très-grandes parmi les Barbares depuis qu'il avoit promis au Roi que s'il entreprenoit la guerre contre les Grecs, il conduiroit luimême fon armée, & le ferviroit très-utilement. Mais on dit qu'avec toutes ces ma-. gnifiques promeffes, Thémiftocle, défefpérant de pouvoir jamais venir à bout de la Grece, & furmonter la fortune & la vertu de Cimon, fe fit mourir volontairement lui-même.

Cependant Cimon, qui avoit formé plufieurs grands projets, & comme donné let fignal de plufieurs grandes batailles, fe tenoit avec fa flotte à la rade de Cypre. De-là il envoya à l'Oracle de Jupiter Ammon quelques-uns de fes gens les plus fideles & les plus affectionnés, pour confulter ce Dieu fur des chofes très-fecretes; car perfonne n'a jamais fu pourquoi il les avoit envoyés. Et le Dieu ne leur rendit pas même l'oracle; mais dès qu'il les vit entrer dans fon temple, il leur ordonna de s'en retourner, parce que Cimon s'étoit déja rendu auprès de lui. Ces paroles ouïes, ces Ambaffadeurs reprirent incontinent le chemin de la mer. Etant arrivés au camp des Grecs, qui étoit fur les côtes d'Egypte, ils apprirent la mort de Cimon; & rapportant le temps de cette

mort à celui où le Dieu leur avoit annoncé qu'il s'étoit déja rendu auprès de lui, ils connurent que, fous cette efpece d'énigme, il leur avoit déclaré fa mort, en lui faifant entendre qu'il étoit déja avec les Dieux.

La plupart des Hiftoriens écrivent qu'il mourut de maladie au fiege de Citium, ville de Cypre; d'autres difent que ce fut d'une bleffure qu'il reçut (2) en combattant contre les Barbares. En mourant, il commanda à fes Officiers de ramener promptement la flotte à Athenes en cachant foigneusement fa mort. Ce qui fut exécuté avec tant de fecret, qu'ils avoient gagné leurs ports, & s'étoient, mis en fûreté, avant qu'aucun ni des ennemis, ni même des alliés fe fût apperçu que Cimon n'étoit plus en vie. (0) Cimon, tout mort qu'il étoit, conduifit & commanda encore fa flotte pendant trente jours, comme l'écrit Phanodėme.

(n) En combattant contre les Barbares. Car il y eut un grand combat de ces foixante galeres contre les Phéniciens & les Ciliciens, où les Barbares furent vainCus. On croit que Cimon y fut tué. D'autres écrivent qu'il mourut de maJadie devant Citium.

(o) Cimon tout mort qu'il étoit, conduifit & commanda encore fa flotte, Notre Hif

toire nous préfente de me me des Capitaines, qui, après leur mort, ont encore conduit les affaires, & commandé pendant quelques jours, par le courage que la feule vue de leur corps infpiroit à leurs troupes. La vue d'un grand Capitaine mort, fait fouvent plus que celle d'un médiocre Général plein de vie,

Après lui, il n'y eut plus aucun des Généraux Grecs qui fît rien de confidérable, ni d'éclatant contre les Barbares. Mais animés par leurs Orateurs, grands brouillons & grands artifans de querelles & de noifes, ils le tournerent les uns contre les autres, & en vinrent à une guerre ouverte, fans que perfonne se mît entre deux pour les féparer, Ce qui fut un répit bien utile pour les affaires du Roi, & une ruine inexprimable pour celles des Grecs. Enfin, après plufieurs années, (p) Agéfilas porta fes armes en Afie, & renouvella un peu la guerre contre les Lieutenants du Roi, qui commandoient dans les Provinces maritimes. Mais dans cette expédition, il n'eut pas le temps de rien faire de bien grand ni de bien mémorable; car rappellé par les nouvelles brouilleries, & par les nouvelles féditions qui s'étoient excitées en Grece pour de nouveaux fujets, il fut obligé de partir, laiffant les Commiffaires & Exacteurs des Perfes lever leurs tributs & leurs impôts au milieu des villes alliées, & amies de la Grece. Au-lieu que pendant que Cimon avoit gouverné, (2) on n'avoit

(p) Cinquante-quatre ou Cinquante-cinq ans après, (9) On n'avoit pas vu un feul huiffier qui eût ofé porter un exploit. Ce feul trait marque la grande terreur

que Cimon avoit infpirée à ces Barbares, Les Satrapes & les Lieutenants du Roi qui gouvernoient ces Provinces, étoient des gens fi avides & fi infatiables,

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