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les battit dans un grand combat naval, prie trente-trois de leurs navires, affiégea leur ville, la prit d'affaut, (9) acquit aux Athéniens les mines d'or qu'ils avoient dans le continent voifin, & leur foumit toutes les terres qui étoient de la dépendance de cette ifle.

De-là (r) il lui étoit aifé de paffer dans la Macédoine, & d'enlever aux Macédoniens une grande partie de leur pays. Comme il ne voulut pas profiter de cette occasion, cela donna lieu de l'accufer de s'être laiffé corrompre par les préfents du Roi Alexandre. & fur cela il fut poursuivi en justice par fes ennemis qui s'étoient ligués contre lui. Dans les juftifications qu'il employa auprès de fes

(q) Acquit aux Athéniens les mines d'or qu'ils avoient dans le continent voifin. C'eft ce que Thucydide n'a pas oublié. Les Thafiens, dit-il, abandonnerent leur continent & leurs mines aux Athé niens. Au refte, ce font ces mines qui avoient donné le nom à Thafos bâtie par les Phéniciens; car, comme Bochard l'a montré, elle fut ainfi appellée du mot Syrien Thas qui fignifie de petites parcelles d'or, à caufe de l'or que l'on tiroit de cette ifle & de Scaptenfule dans le continent voifin, & dont

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le revenu annuel étoit de deux cents talents, & quelquefcis de trois cents c'eft-à-dire, de deux cents mille ou de trois cents mille écus. C'eft par la même raifon que les Grecs l'avoient appellée Chryfe, Dorée. Thafos, ifle au haut, de la mer Egée.

(r) Il lui étoit aifé de paffer dans la Macédoine. Car Pifle de Thafos eft fi voifine des côtes de la Macédoine, que Cimon y étoit tout porté, & qu'il pouvoit faire très - facilement une defcente dans fes terres.

juges, il dit: Que jamais il n'avoit fait amitié ni alliance avec les Ioniens, ni avec les Theffaliens, peuples très-riches, comme l'avoient fait plufieurs de leurs Généraux qui avoient cherché à fe faire faire la cour, & à s'enrichir, (s) mais qu'il s'étoit lié avec les Macédoniens, parce qu'il admiroit, & qu'il tâchoit d'imiter leur fimplicité, leur frugalité & leur tempérance, qu'il préféroit à toutes les richelles du monde ; que du refle il pouvoit fe vanter que perfonne n'étoit pius aife que lui d'enrichir fa ville des dépouilles de fes ennemis.

Stéfimbrotus, en parlant de ce jugement, rapporte qu'Elpinice alla chez Péricles, pour

(s) Mais qu'il s'étoit lié avec les Macédoniens. On a voulu corriger cet endroit, & lire, mais qu'il s'étoit lié avec les Lacédé moniens. Il eft certain que Cimon avoit beaucoup de penchant pour les Lacédémoniens comme cela paroît par la fuite; mais il faut de deux chofes l'une, ou que Cimon ait tenu ce difcours dans une autre occafion, ou, s'il l'a tenu en celle-ci, il ne peut avoir parlé que des Macédoniens; car les Lacédémoniens ne font rien ici. Cimon ne répondroit pas au reproche de fes ennemis. Mais les Macédoniens é

toient-ils fi tempérants &
fi fages? Ce paffage eft
très-embarraffant. Le fens
demande, mais qu'il s'étoit
lié avec les Lacédémoniens,
comme il eft dans le texte
qu'Amiot a fuivi, & l'oc
cafion demande, avec les
Macédoniens, puifque c'eft
par eux qu'on l'accuse d'a-
voir été corrompu. Peut-
être doit-on expliquer ce
paffage favorablement, &
penfer que Cimon, difant
qu'il s'étoit lié avec les
Lacédémoniens, veut dire
que c'étoient les feuls peu-
ples avec lefquels il s'é-
toit lié, &
"
par confé-
quent qu'il ne s'étoit pas
lié avec les Macédoniens.

le folliciter en faveur de fon frere Cimon, & pour tâcher de le fléchir par fes peres, car il étoit un de fes plus violents accufateurs. Périclès, après l'avoir entendue, lui dit en riant: Elpinice, vous êtes déformais trop vieille pour venir à bout d'auffi grandes affaires par vos follicitations. Néanmoins le jour que l'affaire fut jugée, il fut plus doux que tous les autres, & ne fe leva qu'une feule fois pour parler contre lui, encore ne fut-ce que par maniere d'acquit. Cimon fut donc abfous à pur & à plein.

Du refte, pendant tout le temps qu'il gouverna & qu'il refta dans la ville, il retint & réfrena toujours la licence du peuple qui mettoit le pied fur la gorge aux Nobles, & attiroit à lui toute la puiffance & l'autorité. Mais après qu'il fut encore parti pour aller commander l'armée, le peuple fe voyant la bride fur le cou, & fe fentant appuyé par Ephialte, bouleverfa tout l'ancien ordre du Gouvernement, renverfa toutes les loix fondamentales, & les anciennes coutumes dont il avoit ufé de tout temps, ôta au Sénat de l'Aréopage la connoiffance de la plupart des caufes qui alloient devant lui, ne lui laiffant que les plus communes, & en très-petit nombre, & fe rendit maître abfolu de tous les Tribunaux. De forte qu'il jetta fa ville dans une pure démocratie, Périclès, étant déja puiffant, & favorifant ce parti de tout fon pou

voir. C'est pourquoi, quand Cimon fut de retour, il témoigna fon mécontentement de voir la dignité du Sénat foulée aux pieds, & tâcha, par toutes fortes de moyens, de le remettre en poffeffion de fon autorité, & de reffufciter l'ariftocratie qui avoit été établie du temps de Clifthene. Mais fes ennemis fe mirent à crier, & à exciter contre lui le peuple, en renouvellant les bruits qui avoient couru de fon commerce avec fa foeur Elpinice, en lui reprochant le grand attachement qu'il avoit pour les Lacédémoniens. Sur quoi il y eut des vers d'Eupolis, qui furent fort célebres, & qui difoient: Il n'étoit point méchant homme; mais il étoit fujet au vin & très-négligent, & il prenoit fouvent la liberté de découcher pour aller à Sparte, laiffant fa pauvre fœur Elpinice toute feule avec une grande cruauté.

(t) Que fi, étant auffi négligent & auffi adonné au vin que le dit ce Poëte, il a pris tant de villes, & remporté tant de victoires, il est certain que, s'il eût été vigilant & fobre, aucun des Capitaines, qui ont été avant lui & après lui, ne l'auroit surpaffé en

(t) Que fi étant auffi né gligent & auffi adonné au vin, que le dit ce Poëte. Plutarque fait connoître par ces paroles qu'il n'ajoutoit pas beaucoup de foi

à cette Satyre d'Eupolis. En effet, les grandes chofes que Cimon a faites ne marquent pas un homme bien négligent ni fort a donné au vin,

faits d'armes & en glorieux exploits. Il eft vrai que dès le commencement de fa vié, il eut beaucoup d'inclination pour Lacédémope. Car, de deux enfants jumeaux qu'il eut d'une femme (u) Clitorienne, comme l'écrit Stéfichore, il nomma l'un, Lacedemonius, & l'autre, Eleus. C'eft pourquoi Périclès reprocha fouvent à ces enfants leur race du côté de leur mere. Mais Diodore le Géographe écrit que ces deux enfants, & un troifieme encore, qui fut appellé Theffalus, lui naquirent d'Ifodice, fille d'Euryptoleme, fils de Mégaclès, & par conféquent Athénienne.

Ce qui contribua le plus à son élevation, çe fut la faveur des Lacédémoniens qui étoient ennemis déclarés de Thémiftocle, & qui aimoient mieux que Cimon, qui étoit jeune, eût dans Athenes la principale puiffance, & la plus grande autorité. Les Athéniens le voyoient d'abord avec plaifir, parce que cette bienveillance des Spartiates pour Cimon leur apportoit de grands avantages. En effet, quand ils commencerent à s'aggrandir, & à vouloir fe mêler feuls des affaires des alliés, & à s'attribuer le commandement des armées, (x) ils n'étoient nullement fâchés de la puif

(u). De la ville de Clitor en Arcadie.

(x) Ils n'étoient nullement fáchés de la puissance & du

grand crédit de Cimon. Ce paffage avoit été fort mal expliqué; ce n'étoient pas les Lacédémoniens qui n'é

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