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affurent que ces imprécations, auffi fecretes & mystérieuses qu'anciennes, ont une telle force, que jamais aucun de ceux contre qui elles ont été faites, n'en a pu éviter l'effet. Ils ajoutent même que ceux qui les font ont immanquablement auffi une fin malheureuse. C'est pourquoi peu de gens s'en fervent; & ce n'eft que dans des occafions extraordinaires où il s'agit de prévenir les plus grands fléaux. Mais en cette rencontre, on blâma fort Atéïus de ce qu'étant irrité contre Craffus pour les intérêts de Rome, ce fut pourtant contre Rome qu'il prononça ces malédictions, & qu'il pratiqua ces moyens horribles qui la dévouoient aux Dieux.

Craffus donc, fans être touché des imprécations d'Atéïus, continua fa route, arriva à Brundufe; & quoique la mer fût encore dangereufe, l'hyver n'étant pas encore paffé, il ne voulut pas attendre, s'embarqua, & perdit beaucoup de vaiffeaux dans fon paffage. Mais ayant raffemblé le refle de fes troupes, il continua fon chemin par terre au travers de la Galatie, où il trouva le Roi Déjotarus, qui étoit fort avancé en âge, & qui ne laiffoit pas de bâtir une nouvelle ville; fur quoi Craffus le raillant, lui dit: Seigneur Roi, vous vous prenez bien tard à bâtir une ville vers la douzieme heure du jour. Et vous-même, Seigneur Capitaine, lui répondit Déjotarus, vous ne vous êtes pas pris Tome VII.

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trop matin à aller faire la guerre aux Parthes; (1) car alors Craffus avoit foixante ans paffés, & fon vifage le faifoit paroître encore plus vieux qu'il n'étoit.

Dès qu'il fut arrivé en Syrie, les affaires lui fuccéderent d'abord auffi heureufement qu'il l'avoit pu efpérer. Car il fit un pont fur l'Euphrate fans aucun obftacle, paffa fûrement fon armée, & reçut dans la Méfopotamie plufieurs villes qui fe rendirent volontairement. Une feule, dont' étoit Tyran un certain Apollonius, osa se défendre, & Craffus y perdit environ cent foldats. Irrité de cette audace, il mene contre elle toutes fes troupes, la prend d'affaut, pille toutes fes richeffes, & vend tous fes habitants. Les Grecs appelloient cette ville (m) Zénodotie. Pour cette prife, Craffus fouffrit que fon armée lui donnât le titre d'Imperator. Ce qui lui tourna à grande honte; car il parut par-là avoir le cœur fort bas, & défefpérer de faire de plus grandes chofes, puifqu'il étoit fi flatté d'un fi petit fuccès.

(1) Car alors Craffus avoit foixante ans paffés. Ceci nous mene fârement à la connoiffance de l'année de la naiffance de Craffus. Il partit pour cette expédition l'an de Rome 699, 52 ans avant l'ere Chrétien

ne. Il avoit foixante ans paffés, il étoit donc né l'an de Rome 638, & l'an 113 avant l'ere Chrétienne.

(m) Elle étoit de la Brovince d'Ofrhoëne, dans la Mefopotamie.

Après que, pour s'affurer des villes qui s'étoient rendues, il y eut mis en garnifon fept mille hommes de pied & mille chevaux, il s'en retourna en Syrie avec le refte de fon armée, pour y paffer l'hyver. Il fut joint là par fon fils, que Céfar lui envoyoit des Gaules, jeune homme qui avoit déja été honoré de plufieurs prix d'honneur que les Généraux donnent à ceux qui fe font distingués par leur courage, & qui lui amenoit mille cavaliers choifis.

De toutes les fautes que Craffus fit dans cette expédition, & qui furent toutes fort grandes, la plus grande fans contredit, après celle d'avoir entrepris cette guerre, fut ce prompt retour en Syrie. Car il devoit paffer outre fans s'arrêter, (n) & occuper Babylone & Séleucie, villes toujours ennemies des Parthes. Au-lieu que par ce retour, il donna aux ennemis le temps de se préparer; ce qui fut la caufe de fa ruine. D'ailleurs, on blama fort les occupations qu'il eut en Syrie, qui étoient plutôt d'un commerçant, que

(n) Et occuper Babylone & Seleucie, villes toujours ennemies des Parthes. Et qui par conféquent auroient ouvert leurs portes, & lui auroient fourni tous les fecours dont il avoit befoin. Il en auroit fait fes places

d'armes, & il en auroit tiré toutes les commodités néceffaires pour pouffer ses fuccès contre ce commun ennemi; au-lieu que par fon retour en Syrie, il perdit tous ces avantages, & ce fut recommencer,

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d'un Général d'armée. Car il ne s'amufa pas à vifiter les armes de fes foldats, à faire des revues, à faire faire l'exercice à fes troupes, & à leur propofer des prix de jeux & de combats pour les tenir en haleine; mais il s'appliquoit entiérement à calculer les revenus des villes & les contributions, & à pefer lui-même à la balance (0) tous les tréfors qui étoient dans le temple de la Déeffe à Hiérapolis. Il envoyoit fignifier aux principautés, aux villes, & aux communautés le nombre de foldats qu'elles devoient fournir, & il les en exemptoit ensuite pour certaine fomme d'argent dont on convenoit; ce qui le rendoit vil & méprifable à tout le monde, & à ceux même qu'il favorifoit.

Le premier préfage qu'il reçut de son malheur, lui vint de cette Déeffe même d'Hiérapolis, que les uns difent être Vénus, les autres Junon, & quelques-uns, la Nature, la premiere caufe, qui de l'humidité tire les principes & les femences de toutes chofes,

(o) Tous les trefors qui étoient dans le temple de la Déce à Hierapolis. Après avoir paffé l'Euphrate, à vingt milles du fleuve, on trouvoit une ville appellée Bambyce, qui étoit auffi appellée Edeffe, & Hierapolis ou ville facrée, & par les Syriens, Magog,

La Déeffe Syrienne Atargatis y étoit particuliererement adorée. Lucien dans fon Traité de la Déeffe de Syrie, parle de ce tem ple comme du plus riche . qui fût dans l'univers; car de toutes parts on y apportoit des offrandes.

& qui a découvert la fource de tous les biens qui arrivent aux hommes. Comme ils fortoient de fon temple, le jeune Craffus tomba à la porte, & fon pere qui le fuivoit, tomba fur lui.

Dans le temps qu'il raffembloit toutes fes troupes de leurs quartiers d'hyver, il lui arriva des Ambaffadeurs du Roi des Parthes, Arface, qui lui expoferent en peu de mots leur commiffion. Ils lui dirent, que fi cette armée étoit envoyée par les Romains contre les Parthes, ce feroit une guerre immortelle, qu'aucun traité de paix ne termineroit, & qui ne finiroit que par la ruine totale des uns ou des autres. Que fi, comme ils l'avoient oui dire, c'étoit Craffus feul, qui, contre le fentiment de fa patrie, & pour affouvir fon avarice particuliere, avoit pris les armes contre eux, & étoit entré dans une de leurs provinces, le Roi leur maître vouloit bien ufer de fa modération en cette rencontre, avoir pitié de la vieilleffe de Craffus, & laiffer aller vies & bagues fauves les Romains qu'il tenoit dans fes Etats, & qui étoient bien plutôt affiégés qu'affiégeants. Craffus ne répondit à ce difcours que par une rodomontade; il leur dit, qu'il leur feroit entendre fa réponse dans la ville de Séleucie. Sur quoi le plus âgé des Ambassadeurs, nommé Vahifes, fe prenant à rire, & lui montrant la paume de fa main, lui dit:

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