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cipauté parmi les Grecs, mais étant foumis aux ordres de Paufanias & des Lacédémoniens.

La premiere chofe qu'il fit, c'eft de faire admirer dans toutes fes campagnes le bel appareil de fes troupes, & encore plus la bonne volonté par laquelle elles fe diftinguoient par-deffus tous les confédérés. Enfuite, comme Paufanias fut entré fecretement en pourparler avec les Barbares pour trahir la Grece, qu'il eut même écrit au Roi des lettres à cet effet, & qu'il traitoit cependant fes alliés avec une extrême rigueur & avec une fierté fans exemple, fe portant contre. eux aux dernieres infolences, à cause de la grande autorité dont il étoit revêtu, & de l'orgueil infenfé dont il étoit plein, Cimon, profitant de fa folie, recevoit avec bonté & douceur ceux qui avoient fouffert fes outrages, & vivoit avec eux très gracieufement & avec toute forte d'humanité. En quoi faifant il tranfporta, fans qu'on y prît garde, des Lacédémoniens aux Athéniens, l'Empire & le commandement de la Grece, non par la force des armes, mais par la douceur de fes difCours & par la facilité de fes mœurs. Car la plupart de fes alliés, ne pouvant supporter la dureté & l'arrogance de Paufanias, fe rangerent fous les ordres de Cimon & d'Ariftide, qui, en les attirant à eux, envoyerent en même temps avertir les Ephores qu'ils

devoient rappeller leur Général, parce qu'il déshonoroit Sparte, & qu'il troubloit toute la Grece.

On raconte que Paufanias étant à Byfance, envoya chercher une jeune fille, appellée Cléonice, née de parents illuftres, pour s'en fervir à fcs plaifirs; & que fes parents, ne pouvant résister à cette dure néceffité, & intimidés par le pouvoir immenfe dont il abufoit, laifferent emmener leur fille. Comme elle étoit encore pleine de pudeur, avant que d'entrer dans la chambre, elle pria qu'on ôtat la lumiere. Elle entra enfuite; & en marchant dans les ténebres avec un grand filence pour s'approcher du lit de Paufanias qui étoit déja endormi, elle donna, fans le vouloir, contre la lampe qui étoit éteinte, & la renverfa. Au bruit qu'elle fit en tombant, Paufanias fe réveilla en furfaut; & dans la pensée que c'étoit quelque ennemi qui venoit pour l'affaffiner, il tira le poignard qu'il avoit fous fon chevet, en frappa Cléonice, & la jetta fur le carreau. Cette fille étant morte de cette bleffure, ne permettoit pas à fon meurtrier de goûter aucun repos; car fon image, fe préfentant à lui toutes les nuits pendant fon fommeil, lui prononçoit en colere un vers héroïque, dont le fens eft: Marche devant le Tribunal de la juftice, qui punit les forfaits & qui t'attends; l'infolence est enfin funefte aux hommes ?

Les alliés, indignés de cette action fi infame, fe joignirent à Cimon, & affiégerent Paufanias dans Byfance. Mais s'étant échappé, & étant troublé de cette image qui le pourfuivoit continuellement, il (s) fe retira à Héraclée dans le temple où l'on évoque les ames des trépaffés; & là, après avoir fait les facrifices & les effufions funebres, il appella l'ame de Cléonice, & la conjura de renoncer à fa colere. (t) Cléonice parutenfin, & lui dit, que bientôt arrivé à Sparte, il feroit délivré de fes maux; (u) voulant fans doute par ces paroles couvertes lui marquer la mort qui l'y attendoit.

Cimon, après que tous les alliés fe furent

(s) Se retira à Héraclée dans le Temple où l'on évoque les ames des trépallés. Strabon place cette Heraelée dans l'Elide, à quarante fades d'Olympie, & Paufanias la met en Arcadie un peu plus loin. Car, c'eft la même qui étoit appellée Phygalia & Phialia. Là, Paufanias eut recours à des magiciens appellés Pfychagoges, c'eft-à-dire, qui font profeffion d'évoquer les ames des trépaffés. (t) Cléonice parut enfin. Voilà l'ame de Cléonice évoquée par les magiciens, comme, dans la Bible, l'ame de Samuel eft évoquée

par les enchantements de
la Pythoniffe.

(u) Voulant fans doute:
par ces paroles couvertes,
lui marquer la mort qui l'y
attendoit. Car les Lacédé-
moniens ayant réfolu de
le faire arrêter, il s'enfuit
dans le Temple de Pallas
furnommée Chalcioicos; là,
on boucha les portes, on
découvrit le toit de la Cha-
pelle où il s'étoit retiré,
& on le garda ainfi à vue
jufqu'à ce que la faim l'eût
confume; & comme il é-
toit fur le point d'expirer,
on le retira, & un
ment après il rendit l'ef--
prit.

mo

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réunis fous fes ordres, s'embarqua'(x) avec toute fon armée pour aller en Thrace, fur les nouvelles que quelques Perfes des plus confidérables, & parents même du Roi, s'étoient emparés de la ville d'Eïone fur le fleuve du Strymon; & que de là ils incommodoient fort les Grecs qui habitoient dans ces quar tiers. En arrivant il battit leurs troupes dans un grand combat, & les obligea de fe renfermer dans la ville. Il fe jetta enfuite fur la Thrace qui eft au-deffus du Strymon, & d'où la ville tiroit fes convois; il en chaffa fes habitants, fe rendit maître de tout le pays, & réduifit, par ce moyen, les affiégés à une fi grande, extrêmité, que Butès, Général du, Roi, défcfpérant de fes affaires, mit le feu à la ville, & fe brûla avec tous fes amis & toutes fes richeffes.

Cimon ne profita donc pas beaucoup à la prife de cette ville, tout ayant prefque péri dans l'embrafement avec les Barbares; mais comme le pays eft très-beau & très-fertile, il le donna à habiter aux Athéniens, qui, pour lui marquer leur reconnoiffance, lui permirent de dreffer dans la ville trois Hermès de marbre, avec des infcriptions, pour conferver la mémoire de ce grand exploit. Sur le premier, on lifoit en vers élégiaques:

() La premiere année de l'Olymp. lxxvij..

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Célébrons à jamais la patience & le courage de ces valeureux Grecs qui, dans la ville d'Eione & fur les bords du Strymon, ont fait fentir aux fiers enfants des Medes les fanglantes fureurs de Mars, & toutes les horreurs de la famine, & les ont enfin réduits au dernier défefpoir.

Sur le fecond, il y avoit :

Tels font les bonneurs que les Athéniens ont faits à leurs Généraux, pour reconnoître les fervices fignalés & les grands biens qu'ils en ont reçus. Ceux qui, jufques dans la poftérité la plus reculée, verront ces glorieufes récompenfes, en feront encore plus excités à imiter leur vertu; & entrant dans une noble émulation, ils tâcheront de rendre à leurs pays d'auffi grands fervices pour s'attirer d'auffi grands honneurs.

Et fur le troifieme, on lifoit:

Fadis, partit de cette ville à la tête de fes belliqueufes bandes pour fuivre les Atrides aux champs d'Ilion, le vaillant Mnef thée, à qui Homere (y) a donné ce grand éloge, que de tous les Grecs il étoit le plus habile à ranger en bel ordre de bataille une nombreufe armée. Les Athéniens, dans tous les fiecles, ont foutenu cette réputation, & ont mérité d'être regardés comme les

(y) Dans le xj. Livre de l'Iljade,

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