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ame tenoit plus d'un homme du Péloponefe que d'un Athénien. On peut lui appliquer ce qu'Euripide dit d'Hercule, groffier au-dehors, fans nul ornement, mais homme de bien au fouverain degré. Car cela convient parfaitement au portrait qu'en fait Stéfimbrotus.

Pendant fa jeuneffè, (n) il fut accufé d'avoir un commerce criminel avec fa fœcur; car on affure qu'Elpinice n'étoit pas autre ment fcrupuleufe, & qu'elle accorda fes faveurs au peintre Polygnotus. C'eft pourquoi on dit qu'en peignant les captives Troyennes dans les galeries du Portique, appellé alors Pléfianaction, & qui depuis a été appellé Pacile, 0) il peignit Laodicé fous le

(n) Il fut accufé d'avoir un commerce criminel avec fa faur. Cette ation de Cimon a été expliquée diverfement, & a donné lieu à une grande difpute. Les uns ont prétendu que Cimon avoit époufé la foeur Elpinice, & qu'il l'avoit épousée contre les loix, parce qu'elle étoit fa four de pere & de mere; ce qui étoit défendu à Athenes, où l'on ne permettoit le mariage du frere & de la foeur, qu'entre le frere & la foeur de pere feulement. Et les autres ont dit qu'il l'avoit épousée fans

bleffer les loix, parce qu'el le n'étoit fa foeur que de pe re. Mais le texte de Plur tarque exclut l'une & l'autre explication, & éloigne toute idée de mariage. On ne peut abfolument l'entendre que de la débauche de Cimon, qui le porta dans fa jeunefic à commertre un incefte avec fa fœur. On voit affez dans la fuite que Plutarque ne donne. point trop dans le fentiment de ceux qui préten- doient que c'étoit un mat riage fait dans toutes les formes.

(0) Il, peignit Laodice fous

vifage & fous la forme de fa maîtreffe Elpinice. Ce Polygnotus, pour dire cela en paffant, n'étoit pas un peintre mercenaire qui eût entrepris cet ouvrage pour de l'argent; (p) mais il fit cette libéralité à fa patrie pour fe faire honneur. C'eft ainfi que l'écrivent tous les Hiftoriens, & le Poëte même Mélanthius s'en explique en ces termes: Polyg notus orna à fes fraix les temples des Dieux, & la place publique de Cécrops, en y peignant les actions des demi-Dieux.

Il y a des Auteurs qui difent que le com merce d'Elpinice avec fon frere Cimon ne fut pas une débauche fecrete, mais un mariage fait dans toutes les formes, parce qu'à caufe de fa pauvreté, elle ne trouvoit point de mari d'auffi bonne maifon qu'elle. Mais que dans la fuite, Callias, qui étoit un des plus riches partis d'Athenes, en étant devenu amoureux, & ayant offert de payer l'amende à laquelle fon pere Miltiade avoit été cone damné, fi on vouloit la lui accorder, Elpi

le vifage & fous la forme de fa maitreffe Elpinice. Ceci dément ce que Paufanias a écrit, qu'on ne croyoit pas que Laodicé fût parmi les captives Troyennes. Polygnotus étoit perfuadé qu'el fe y étoit, & ill'y avoit mife. Au refte, la galanterie que Polygnotus fait ici à fa Paitree Elpinice, a été

;

imitée depuis par bien des Peintres.

(p) Mais il fit cette libé ralité à fa patrie pour fe faire honneur. Et pour fe diftinguer du Peintre Mycon, qui, dans le même temps, peignit une partie du même Portique pour une bonne fomme d'ar-. gent.

nice y confentit, & Cimon la lui donna en mariage. Il est toujours vrai que Cimon fut fort enclin à l'amour des femmes; car le Poëte Mélanthius, en badinant avec lui fur fes amours dans fes élégies, fait mention d'une Aftéria de Salamine, & d'une autre nommée Mneftra, comme de fes maîtreffes. Et d'ailleurs il eft constant qu'il eut une paffion un peu trop forte pour Ifodice, fille d'Euryptoleme, fils de Mégaclès, (q) quoique fa femme légitime; car il fut inconfolable de fa mort, comme cela paroît par les élégies qu'on lui adreffa pour le confoler. Le Philofophe Panétius croit qu'Archélaüs le Phyficien fut l'auteur de ces élégies, & il fonde fa conjecture avec quelque forte d'apparence fur le temps où il vivoit.

Dans tout le refte des meurs de Cimon,. il n'y eut rien que de grand & d'admirable ; car il ne cédoit ni à Miltiade en courage & en audace, ni à Thémistocle en fageйle & en bon fens; & tout le monde convient qu'il étoit plus juste & plus homme de bien que l'un & l'autre; & que ne leur étant en rien inférieur dans les vertus militaires, il les furpaffoit infiniment tous deux dans les vertus

(q) Quoique fa femme le gitime. Voici donc Cimon hlâmé par Plutarque d'avoir eu une paffion trop forte pour fa femme légi

time. Cela me paroît re
marquable. De là maniere
dont on vit aujourd'hui
il y a peu de gens qui mé-
ritent une pareille cenfure,.

politiques, lors même qu'il étoit encore jeune, & qu'il n'avoit aucune expérience dans la guerre. En effet, à l'invafion des Medes, lorfque Thémiftocle confeilla aux Athéniens de quitter leur ville, & d'abandonner leur pays pour aller fe pofter fur leurs vaiffeaux. au-devant de Salamine, & combattre là par mer, tout le monde étant étonné & confterné d'un confeil fi harfardeux & fi téméraire, on vit Cimon qui, füivi de fes camades, & avec un vifage gai, montoit le long: de la rue du Céramique à la citadelle, (r) pour y confacrer dans le temple de Minerveun mords de bride qu'il portoit à la main, comme la ville, dans la conjoncture où elle fe trouvoit alors, n'ayant plus befoin de gens de cheval, mais de bons hommes de mer. Et après avoir fait l'offrande de ce mords, il prit un des boucliers qui étoient pendusaux parois du temple, fit fes prieres à la Déeffe, defcendit fur le rivage, & fut le premier qui, par fön exemple, infpira la confiance à la plupart des autres, & leur donna le courage de s'embarquer. Il étoit d'ailleurs

(r) Pour y confacrer dans le Temple de Minerve un mords de bride. Voilà un tour bien adroit & bien ce pable de frapper les Athé niens, & de leur infpirer même une forte de frayeur religieufe. Cimon va con

facrer un mords de bride å Minerve, pour faire en tendre qu'ri n'eft plus queftion de troupes de terre & qu'il faut avoir recours à des troupes de mer. Qui eft-ce qui ofera s'oppofer à ce ven?

beau & bien fait de fa perfonne, comme l'écrit le Poëte Ion; car il avoit la taille haute & majestueufe, & une grande quan tité de beaux cheveux frifés qui ombrageoient fes épaules. Et il brilla fi fort à la bataille qui fut donnée bientôt après, & y fit des actions fi diftinguées, qu'il eut d'abord une grande réputation dans Athenes, avec l'affection de fes citoyens. La plupart fe rangerent de fon côté, & commencerent à l'exhorter à avoir dès-lors des penfées, & à faire: des actions qui répondiffent à la gloire que fon pere s'étoit acquife à la journée de Ma

rathon..

Dès qu'il commença à fe mêler du Gou-vernement, le peuple le reçut avec de grands témoignages de joie; & étant déja las de Thémistocle, il lui déféra les plus grands honneurs & les premieres charges, parce qu'il paroiffoit agréable, aifé & commode à la multitude à caufe de fa douceur & de fa fimpli-cité. Mais ce qui contribua beaucoup à fon avancement, ce fut la protection d'Ariftide, fils de Lyfimachus, qui, remarquant dans fes mœurs une nature heureufe qui promettoit beaucoup, voulut fe fervir de lui comme d'un contre-poids à la grande habileté &: à l'audace de Thémiftocle. Les Medes ne furent pas plutôt chaffés de la Grece, qu'il fut élu Capitaine - Général de la flotte, les Athéniens n'ayant point encore alors la prin

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