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indignation, & crachant deffus, elle tendit la gorge à Bacchidas.

Pour Bérénice, elle prit une coupe de poison; & comme elle l'alloit boire, fa mere qui étoit préfente, la pria de la partager avec elle, ce qu'elle fit enfin. Elles burent donc toutes deux; la moitié de la coupe fut affez forte pour emporter la mere, abattue & affoiblie par les années; mais elle ne le fut pas affez pour furmonter les forces & la jeuneffe de Bérénice; cette Princeffe lutta long-temps. contre la mort avec des efforts très-violents. Enfin, Bacchidas la preffant de finir & de s'achever, elle fut étranglée. On dit que des. deux fœurs, Roxane & Statira, Roxane avala du poifon en vomiffant mille injures contre Mithridate, & que Statira ne prononça pas une feule malédiction, & ne dit pas un feul mot indigne de fa naiffance & de fon courage; mais au contraire, qu'elle bénit & remercia fon frere, de ce qu'étant en fi grand danger de fa perfonne, il ne les avoit pas oubliées, & qu'il avoit pourvu à leur fournir les moyens de mourir libres, & avant que d'avoir fouffert aucun outrage de leurs

ennemis.

Ces morts affligerent extrêmement Lucullus, qui étoit poli, doux & humain. Il paffa outre, & continua de pourfuivre Mithridate jufqu'à la ville de Talaures, où ayant appris qu'il y avoit déja quatre jours que Mithridate

y avoit paffé pour gagner l'Arménie, & pour fe retirer chez fon gendre Tigrane, il s'en retourna fur fes pas; & après avoir subjugué les Chaldéens & les Tibaréniens, s'être emparé de la petite Arménie, & avoir réduit en fa puiffance les fortereffes & les villes, il envoya Appius à Tigrane, lui redemanderMithridate, & cependant il s'en retourna devant la ville d'Amifus, dont le fiege duroit encore. (2) La caufe de cette longueur, c'étoit Callimaque feul, qui commandoit dans la ville; car comme il étoit très-grand ingénieur, très-habile à inventer & à conftruire toutes fortes de machines de guerre, & très fertile en toutes fortes de rufes & d'inventions, dont on peut fe fervir pour la défense d'une place, il incommoda beaucoup les Romains, dont il fut bien puni dans la fuite. Mais alors il fut abufé par un ftratagême de Lucullus, qui à l'heure qu'il avoit accoutumé de retirer fes troupes des travaux pour les faire repofer, s'avifa de faire donnet l'affaut très-brufquement. Cette attaque imprévue lui réuffit, il se rendit maître d'une partie de la muraille. Callimaque voyant qu'il ne pouvoit la défendre, en fortit, & y mit le feu, foit par envie contre les Romains

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(2) La caufe de cette longueur c'étoit Callimaque Jeul. Cet ingénieur fait à Amifus contre Lucullus ce

qu'Archimede avoit fait à Syracufe contre Marcellus, fix vingt ans aupa

ravant.

pour les empêcher de s'y enrichir, foit pour affurer fa fuite; car perfonne ne prenoit garde à ceux qui fe jettoient dans les vaiffeaux pour s'enfuir; mais dès que les flammes répandues de tous côtés eurent gagné les murailles, tous les foldats Romains fe préparerent à piller. Lucullus, touché de pitié de voir périr ainfi cette puiffante ville, tâcha de la fecourir par dehors, en ordonnant à ses troupes de faire tous leurs efforts pour éteindre le feu; mais perfonne n'obéiffoit à ses ordres, tous les foldats demandoient le pillage, & faifoient retentir leurs armes avec de grands cris, tant qu'enfin Lucullus fut forcé de leur abandonner la ville; il crut même que c'étoit le moyen le plus fûr de la garantir du feu. Mais fes foldats firent le contraire de ce qu'il avoit espéré; car en fouillant partout avec des flambeaux pour éclairer les lieux les plus obfcurs, afin que rien n'échappât à leur avarice, ils brûlerent eux-mêmes la plupart des maifons.

rer,

Lucullus y étant entré le lendemain, & voyant cette défolation affreuse, se mit à pleu& dit à fes amis, qui étoient autour de lui: J'ai toujours regardé Sylla comme l'homme du monde le plus heureux; mais je n'ai jamais tant admiré fon bonheur que dans cette journée. Il a voulu fauver Athenes, & il l'a pu; & moi quand j'ai voulu l'imiter & fauver cette ville, j'ai eu le dé

plaifir de voir que la fortune jalouse m'a refufé la gloire de Sylla, & s'eft opiniátrée à me donner la réputation de Mummius. Cependant il ne laissa pas de faire tout ce qui étoit en fon pouvoir pour remettre cette ville, & la retirer de l'état affreux où elle étoit. Une groffe pluie, qui, par un coup de la Providence, vint à tomber dans le temps qu'elle fut prife, éteignit le feu, & fauva beaucoup d'édifices; & Lucullus avant fon départ fit rebâtir ceux qui avoient été brûlés, y reçut les Amiféniens, qui s'en étoient fuis, & qui voulurent y retourner, & donna des habitations à tous les Grecs qui voulurent s'y établir, en leur attribuant un territoire de (a) fix vingts ftades. Cette ville étoit une ancienne Colonie des Athéniens, qui l'avoient fondée & peuplée dans le temps qu'ils étoient au comble de la puiffance, & maîtres de la mer. Voilà pourquoi tous ceux d'Athenes, qui vouloient fuir la tyrannie d'Ariftion, fe retiroient à Amifus, où ils jouiffoient des mêmes droits & privileges que les habitants naturels; de forte que ceux qui avoient quitté leurs biens propres, avoient en leur difpofition ceux des étrangers.

Lucullus ne fe contenta pas de ce qu'il avoit fait pour la ville; il donna encore à

tous

(a) Quinze mille pas.

tous les Amiféniens qui s'étoient fauvés, un habit honnête à chacun, & deux cents drachmes d'argent, & les renvoya dans leur pays. Le Grammairien Tyrannion fut trouvé parmi les prifonniers. Muréna le demanda à Lucullus, & l'ayant obtenu, (b) il l'affranchit; en quoi il ufa du préfent de Lucullus avec beaucoup de groffiéreté & d'impoliceffe. Car Lucullus ne prétendoit pas qu'un homme fi eftimé par fon grand favoir, fût d'abord fait efclave pour être enfuite affranchi; car de lui donner cette liberté légale, c'étoit lui ravir la liberté naturelle, qu'il tenoit de fa naiffance. Mais ce ne fut pas la feule chofe où Murěna fit paroître qu'il étoit bien éloigné d'avoir l'honnêteté & la générosité d'un véritable Général.

En partant d'Amifus, Lucullus tourna fa marche vers les villes d'Afie, afin que n'étant plus occupé aux affaires de la guerre, il pût veiller à celles de la juftice & des loix, qui, ne régnant plus depuis long-temps dans fon Gouvernement, y avoient caufé des mal

(b) Il l'affranchit, en quoi Murena l'avoit tenu comil ufa du préfent de Lucul- me fon efçlave; ainfi il lus avec beaucoup de groffié- lui faifoit perdre l'avantareté & d'impoliteffe. En effet, ge de la liberté naturelle, il n'y avoit rien de plus & lui faifoit l'affront de impoli ni de plus grollier lui donner la liberté légaque d'affranchir un hom- le, qui fuppofe toujours me libre; car cet affran- la fervitude. shiffement marquoit que Tome VII.

F

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