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CEUVRES COMPLÈTES C 82

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DE

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CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, LIBRAIRES,

IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE,

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ESSAI

SUR

LA VIE ET LES ÉCRITS DE P. L. COURIER'.

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a

La vie d'un grand écrivain est le meilleur com- taine façon roide, précieuse , uniforme, assez exacte, mentaire de ses écrits; c'est l'explication et pour mais sans chaleur, sans vie, décolorée ou faussement ainsi dire l'histoire de son talent. Cela est vrai, sur- | pittoresque; cette manière, enfin, qu’un public, tout de celui qui n'a point suivi les lettres comme trop facilement pris aux airs graves, a tout à une carrière, et dont l'imagination, dans l'âge de fait acceptée comme un grand progrès littéraire. l'activité et des vives impressions, ne s'est point L'exemple est contagieux, et l'applaudissement appauvrie entre les quatre murs d'un cabinet ou donné au mauvais goût pervertit le bon : aussi n'adans l'étroite sphère d'une coterie littéraire. S'il est t-on plus aspiré à des succès d'un certain ordre, qu'on aujourd'hui peu d'écrivains dont on soit curieux de ne se soit efforcé d'écrire comme les hommes soisavoir la vie, après les avoir lus, c'est qu'il en est disant forts; il a fallu revêtir cette robe de famille peu qui frappent par un caractère à eux, et chez pour se faire compter comme capacité, pour n'être qui se révèle l'homme éprouvé et développé, à tra- point accusé de folle résistance à la révolution opévers un grand nombre de situations diverses. Les rée par le dix-neuvième siècle dans les formes de mêmes études faites sous les mêmes inaitres; sous la pensée. l'influence des mêmes circonstances et des mêmes Si l'affranchissement complet du joug des con doctrines, le même poli cherché dans un monde ventions d'une époque peut être regardé comme le qui se compose de quelques salons, voilà les sour-principal caractère du talent, Paul-Louis Courier a ces de l'originalité pour beaucoup d'écrivains qui, été l'écrivain le plus distingué de ce temps; car il se tenant par la main depuis le collége jusqu'à l'A- n'est pas une page sortie de sa plume qui puisse cadémie, vivant entre eux, voyant peu, agissant être attribuée à un autre que lui. Idées, préjugés, moins encore , s'imitent, s'admirent, s'entre-louent vues, sentiments, tour, expression, dans ce qu'il a avec bien plus de bonne foi qu'on ne leur en sup- produit, tout lui est propre. Vivant avec un passé pose. De là vient que tant de livres, dans les genres que seul il eut le secret de reproduire, et devenu les plus différents, ont une physionomie tellement lui-même la tentation et le désespoir des imitateurs, semblable , qu'on les prendrait pour sortis de la même il a toujours été, pour ainsi parler, seul de son plume. Vous y trouvez de l'esprit , du savoir, de la bord, allant à sa fantaisie, tenant peu de compte profondeur parfois. Le cachet d'une individualité des réputations, même des gloires contemporaines, un peu tranchée n'y est jamais. C'est toujours cer- et marchant droit au peuple des lecteurs, parce convenir le mieux, et fut écouté. Il arriva jusqu'à ber aux sciences. Il entrait toujours plus à fond la célébrité sans avoir consenti à se réformer sur dans cette littérature unique , devinant déjà tout le aucun des exemples qui l'entouraient, sans avoir profit qu'il en devait tirer plus tard en écrivant sa subi aucune des influences sous lesquelles des talents langue maternelle. Cependant la révolution éclatait. non moins heureusement formés que le sien avaient Les événements se pressaient, et menaçaient d'arra'perdu le mouvement, la liberté, l'inspiration. Mais cher pour longtemps les hommes aux habitudes stuaussi quelle vie plus errante et plus recueillie; plus dieuses et retirées. Le temps était venu où il fallait semée d'occupations, d'aventures, de fortunes di- que chacun eût une part d'activité dans le mouvement verses; plus absorbée par l'étude des livres et plus général de la nation. On se sentait marcher à la singulièrement partagée en épreuves, en expérien- conquête de la liberté. La guerre se préparait. On ces, en mécomptes du côté des événements et des pouvait présager qu'elle durerait tant qu'il y aurait hommes ? En considérant cette vie, on convient des bras en France et des émigrés au delà du Rhin. qu'en effet Courier devait rester de son temps un Les circonstances voulurent donc que le jeune écrivain tout à fait à part.

qu'il était plus assuré d'être senti par le grand nomCette notice a été écrite en 1829 pour la première édition des auvres complètes de Paul-Louis Courier; nous la conser

bre illettré qu'approuvé par les académiciens et les vons dans cette nouvelle édition sans aucun changement. Mais docteurs de bonne compagnie. Trop savant pour depuis cinq ans, de si étranges choses se sont passées; tant de prédictions de Paul-Louis Courier se sont accomplies; ses

n'avoir pas vu que nul ne l'égalait en connaissance jugements les plus hardis sur les hommes et sur les choses ont des ressources générales du langage et du génie reçu une vérification si triste! Il a été, d'un autre côté, si cruellement démenti dans les seuls éloges qu'il ait eu en sa vie le tort particulier de notre littérature , convaincu que ses de donner à un personnage de sang royal, qu'une revue des vagabondes études lui avaient appris ce que les écrits de Paul-Louis Courier eût inspiré aujourd'hui M. Ar

livres n'avaient pu enseigner à aucun autre, il n'émand Carrel tout autrement qu'en 1829. Depuis lors le nom de Paul-Louis Courier a beaucoup grandi; celui de son bio- couta ni critiques ni conseils. Au milieu de gens qui graphe de 1829 a acquis une importance politique et littéraire semblaient travailler à se ressembler les uns aux qui ajoute au prix de ses premiers écrits. L'Essai sur la vie autres, et qui faisaient commerce des douceurs et les écrits de Paul-Louis Courier a d'ailleurs été assez remarqué en 1829 pour qu'on puisse le considérer comme insé réciproques de la confraternité littéraire, il se préparable de toute édition qui pourrait être ultérieurement donnée des OEuvres de Paul-Louis Courier.

senta seul, sans prôneurs, sans amis, sans compères, (Note des éditeurs.) parla comme il avait appris, du ton qu'il jugea lui

P. L. COCRIER.

Courier sacrifiât ses goûts aux vues que son père Paul-Louis Courier est né à Paris en 1773. Son avait de tout temps formées sur lui. Il entra à l'épère, riche bourgeois, homme de beaucoup d'esprit cole d'artillerie de Châlons : il y était au moment et de littérature, avait failli être assassiné par les de l'invasion prussienne de 1792. La ville était alors gens d'un grand seigneur, qui l'accusait d'avoir sé- tout en trouble, et le jeune Courier, employé comme duit sa femme, et qui en revanche lui devait , sans ses camarades à la garde des portes, fut soldat vouloir les lui rendre, des sommes considérables. pendant quelques jours. L'invasion ayant cédé aux L'aventure avait eu infiniment d'éclat, et le séduc- hardis mouvements de Dumouriez dans l'Argone, teur de la duchesse d'O... avait dû quitter Paris et Paul-Louis eut le loisir d'achever ses études milialler habiter une province. Cette circonstance fut taires; enfin, en 1793, il sortit de l'école de Chaheureuse pour le jeune Courier. Son père, retiré lons officier d'artillerie, et fut dirigésur la frontière. dans les beaux cantons de Touraine , dont les noms Ici commence la vie militaire de Courier, l'une ont été popularisés par le Simple Discours et la des plus singulières assurément qu'aient vues les Pétition des Villageois qu'on empêche de danser, longues guerres et les grandes armées de la révoluse consacra tout à fait à son éducation. Ce fut donction. Ceci n'est point une exagération. Ouvrez nos en ces lieux mêmes, et dans les premiers entretiens énormes biographies contemporaines. Presque à paternels, que notre incomparable pamphlétaire chaque page est l'histoire de quelqu'un de ces cipuisa l'aversion qu'il a montrée toute sa vie pour toyens , soldats improvisés en 1792, qui, faisant une certaine classe de nobles, et ce goût si pur de peu à peu de la guerre leur métier, s'avancèrent l'antiquité que respirent tous ses écrits. Il s'en fal- dans les grades et moururent, çà et là, les lait beaucoup, toutefois, que l'élève fût deviné par champs de bataille, obtenant une mention plus ou le maître. Paul-Louis était destiné par son père à moins brillante. Quelle famille n'a pas eu ainsi son la carrière du génie. A quinze ans, il était entre les héros, dont elle garde encore le plumet républicain mains des mathématiciens Callet et Labey. Il mon- ou la croix impériale , et qu'elle a eu le soin d'imtrait sous ces excellents professeurs une grande mortaliser par une courte notice dans le Moniteur facilité à tout comprendre, mais peu de cette cu- ou dans les tables nécrologiques de M. Panckoucke? riosité, de cette activité d'esprit, qui seules font Toutes ces vies d'officiers morts entre le grade de faire de grands progrès dans les sciences exactes. capitaine et celui de commandant de brigade ou Son père eût voulu que ses exercices littéraires ne de division se ressemblent. Quand on a dit leur fussent pour lui qu'une distraction, un soulagement enthousiasme de vingt ans, le feu sacré de leur à des travaux moins riants et plus utiles. Mais Paul- age mûr, leurs campagnes par toute l'Europe, les Louis était toujours plus vivement ramené vers victoires auxquelles ils ont contribué, perdus dans les études qui avaient occupé sa première jeunesse. les rangs, les drapeaux qu'ils ont pris à l'ennemi, La séduction opérée sur lui par quelques écrivains enfin leurs blessures, leurs membres emportés, leur anciens, déjà ses modèles favoris , augmentait avec fin glorieuse, il ne reste rien à ajouter qui montre les années et par les efforts qu'on faisait pour le en eux plus que l'homme fait pour massacrer et pour rendre savant plutôt qu'érudit : il eût donné, di- être massacré. C'est vraiment un bien autre héros sait-il, toutes les vérités d'Euclide pour une page que Courier. Soldat obligé à l'étre, et sachant le mé d'Isocrate. Ses livres grecs ne le quittaient point; tier pour l'avoir appris, comme Bonaparte, dans une il leur consacrait tout le temps qu'il pouvait déro- école, il prend la guerre en mépris dès qu'il la voit de

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près, et toutefois il reste ou l'éducation et les événe- occasions, il passait le meilleur de son temps à ments l'ont placé. Le bruit d'un camp, les allées et bouquiner dans les abbayes et les vieux châteaux venues , décorées du nom de marches savantes, lui des deux rives du Rhin. Les lettres qu'il écrivait paraissent convenir autant que le tapage d'une alors à sa mère sont, comme toutes celles de l'époque, ville à la rêverie, à l'observation, à l'étude sans retenues mystérieuses, faisant à peine allusion aux suite et sans travail de quelques livres, faciles à affaires; un sentiment triste et peu confiant dans transporter, faciles à remplacer. Le danger est de l'avenir y domine. Mais à la manière dont le jeune plus ; mais il ne le fuit ni ne le cherche. Ily va pour officier d'artillerie parlede ses études et de ses livres, savoir ce que c'est et pour avoir le droit de se mo- on voit déjà sa carrière et ses systèmes d'écrivain quer des braves qui ne sont que braves. On s'avance tout à fait tracés : « J'aime , dit-il, à relire les livres autour de lui; on fait parler de soi; on se couvre que j'ai déjà lus nombre de fois, et par là j'acquiers de gloire; on s'enrichit de pillage; pour lui, les « une érudition moins étendue, mais plus solide. rapports des généraux, le tableau d'avancement, « Je n'aurai jamais une grande connaissance de l'ordre du jour de l'armée, ne sont que mensonges l'histoire, qui exige bien plus de lectures; mais et cabales d'état-major : il se charge souvent des · j'y gagnerai autre chose, qui vaut mieux, selon plus mauvaises commissions, sans trouver moyen « moi. » C'est ainsi que Courier a étudié toute sa vie; de s'y distinguer, comme si c'était science qu'il tel a été aussi presque invariablement son peu de ignore; et quant à son lot de vainqueur, il le trouve goût pour l'histoire. Il ne l'a jamais lue pour le fond à voir et revoir les monuments des arts et de la ci-des événements, mais pour les ornements dont les vilisation du peuple vaincu. Encore est-ce à l'insu grands écrivains de l'antiquité l'ont parée. Bonade tout le monde qu'il est érudit, qu'il se connaît parte, tout jeune, avait deviné la politique et la en inscriptions, en manuscrits , en langues ancien- guerre dans Plutarque. Courier, lieutenant d'artilnes; il est aussi peu propre à faire un héros de lerie , faisait ses délices du même historien; mais il bulletin qu'un savant à la suite des armées, pensionné le prenait comme artiste, comme ingénieux conteur. pour estimer les dépouilles ennemies, et retrouver La vie d'Annibal ne le ravissait que comme Peauce qui n'est pas perdu. Quinze années de sa vie sont d’Ane conté eût charmé la Fontaine. Il a toujours employées ainsi, et au bout de ce temps les premières persisté dans cette préférence qui semble d'un espages qu'il livre au public révèlent un écrivain tel prit peu étendu, et cependant, en s'abandonnant que la France n'en avait pas eu depuis Pascal et la à elle, il a su de l'histoire tout ce qu'il lui en fallait Fontaine. Assurément ce n'était pas trop de dire que pour être un écrivain politique de premier ordre. cette carrière militaire a été unique en son genre 1 a beaucoup cité, beaucoup pris en témoignage pendant les longues guerres de notre révolution. l'histoire de tous les temps, et toujours avec un

Sans doute , avec de l'instruction et du caractère, sens qui n'appartenait qu'à lui, avec une raison, il fallait bien peu ambitionner l'avancement pour une force, une sûreté d'applications toujours accan'en pas obtenir un très-rapide , lorsque Courier blantes pour les puissances qu'il voulait abattre. arriva, en 1793, à l'armée du Rhin. C'était le fort En 1795, on voit Courier, toujours officier subalde la révolution, et il suffisait d'être jeune et de terne dans l'artillerie, quitter subitement l'armée montrer de l'enthousiasme pour être porté aux plus devant Mayence, et rentrer en France sans autorihauts grades. Hoche, général d'armée, agé de vingt-sation du gouvernement. La misère, les privations, trois ans, et commandant sur le Rhin, avait un chef les travaux sans compensation de gloire et de sucd'état-major de dix-huit ans, et était entouré de cès à ce blocus de Mayence, sont peut-être la plus colonels et de chefs de brigade qui n'en avaient pas rude épreuve qu'aient eue à subir nos armées répuvingt. 11 en était de même sur toute la frontière. blicaines : le maréchal Gouvion Saint-Cyr en fait Courier, qui servit jusqu'en 1795 aux deux armées dans ses Mémoires une peinture lamentable. A produ Rhin et de Rhin-et-Moselle, n'eut point le feu pos de cette campagne, Courier a depuis écrit : « J'y républicain que les commissaires de la Convention pensai geler, et jamais je ne fus si près d'une crisrécompensaient avec tant de libéralité. Il n'éprouva

a tallisation complète. » Mais il parait qu'il eut pour probablement pas non plus pour les proconsuls le abandonner son poste un motif plus excusable que dévouement et l'admiration qu'ils inspiraient à de la crainte d'être surpris par le froid dans la tranjeunes militaires plus ardents et moins instruits chée et cristallisé. Son père venait de mourir, et que lui. Se laissant employer, et s'offrant peu aux la nécessité toute filiale de voler auprès de sa mère Voir les Mémoires récemment publiés par le maréchal

malade et désespérée, lui avait fait oublier le devoir Gouvion Saint-Cyr.

qui l'attachait à ses canons. A la suite de celte es

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