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des deux fut celle qu'il tua en Égypte, ce qu'on raconte en deux manières, comme la mort de Smerdis. Car les Grecs disent que Cambyse un jour faisait combattre ensemble un lionceau et un jeune levron, étant cette sienne femme et sœur à les regarder avec lui, et que comme le chien se trouvait le plus faible, un autre jeune chien, frère de ce levron, accourut à son aide, rompant le lien qui l'attachait : au moyen de quoi le lionceau fut vaincu par les deux levrons; que Cambyse prenait plaisir à voir ce combat; mais elle assise près de lui pleurait, dont s'étant aperçu Cambyse lui en demanda la cause, et elle dit qu'en voyant ce chien secourir et venger son frère, il lui souvenait de Smerdis: qu'il n'y aurait nul qui jamais le voulût venger. C'est le récit des Grecs, et que pour cette parole Cambyse la fit mourir; mais les Égyptiens racontent autrement qu'eux deux étant à table assis, elle prit une laitue dont elle ôtait les feuilles une à une, lui demandant comment il la trouvait plus belle, ou dégarnie, ou bien feuillue, à quoi il répondit feuillue. Lors elle : « Ainsi fais-tu de la maison de Cyrus, que tu vas, dit-elle, effeuillant tout comme moi cette laitue; » dont Cambyse irrité, lui sautant sur le ventre comme elle était grosse d'enfant, la fit avorter et mourir.

Tels actes furieux fit Cambyse à l'encontre de ses proches, soit vengeance d'Apis, soit autre cause qu'il y eût, étant nature comme elle est sujette à tant de maux. Aussi avait-il, ce dit-on, de naissance une grande maladie que quelquesuns nomment sacrée. Partant ne se faut étonner qu'éprouvant en son corps si griève souffrance, il n'eût pas l'esprit sain. Autres actes pareils furent par lui commis envers les Perses. On raconte qu'un jour il dit à Prexaspès, qui près de lui était le plus considéré, portait ses ordres, même avait son fils échanson de Cambyse, charge non des moindres aussi; un jour il lui dit : « Prexaspès, que dit-on de moi et quel homme pensent les Perses que je sois? Maître, répondit Prexaspès, de toutes choses ils te louent, si ce n'est qu'ils te croient trop adonné au vin. » Qu'il dit cela comme un langage que tenaient les Perses, à quoi l'autre en courroux repart : « Les Perses donc me disent trop adonné au vin ; ils me croient insensé, privé de jugement, et par ainsi leur premier dire ne fut pas véritable? » De fait Cambyse auparavant, en un conseil où assistait Crésus avec les Perses, ayant demandé quel homme il leur paraissait étre au prix de son père Cyrus, par les Perses fut répondu qu'il valait bien plus que son père, ayant

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tout ce qu'il avait eu, et l'Égypte encore et la mer. Voilà ce que dirent les Perses; mais Crésus fut mal satisfait de cette réponse, et prenant la parole dit : « Je ne trouve pas, fils de Cyrus, que tu sois égal à ton père, car il te manque un fils tel qu'il a laissé toi. » Lequel propos plut à Cambyse, qui loua la réponse de Crésus; et qu'en colère alors, remémorant ces choses, il dit à Prexaspès : « Tu vas tout à l'heure connaître s'ils disent vrai les Perses, ou si, parlant ainsi, ce sont eux au contraire qui ont perdu le sens; car avec ce trait si je frappe au milieu du cœur de ton fils que voilà là-bas devant ma porte, les Perses sans doute sont menteurs. Si je faux, dis qu'ils ont raison, et que je ne sais ce que je fais. » Cela dit, il tend son arc et du trait frappe l'enfant, lequel étant tombé, il commanda de l'ouvrir et regarder le coup, et qu'en effet le fer était au milieu du cœur. Sur quoi transporté d'aise et s'éclatant de rire, il dit au père : » Tu le vois, Prexaspès, je ne suis pas fou. Si sont eux, et ne savent ce qu'ils disent; mais toi, vis-tu jamais, dis-moi, archer aussi sûr comme je suis? Et que Prexaspès le voyant du tout hors de sens, davantage craignant pour soi, répondit : «< Maître, le dieu ne tirerait pas plus juste. »

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C'était là ses œuvres alors. En une autre oecasion, il fit sans nulle valable raison enterrer vifs par-dessus la tête douze des premiers personnages qui fussent en toute la Perse. Sur ces actions Crésus de Lydie le crut devoir admonester de telles paroles : « O roi, ne te laisse emporter à chaude colère de jeunesse, mais plutôt tâche à te modérer. Prévoyance en tout vaut sagesse, et n'est chose en quoi ne se doive regarder la fin. Tu fais mourir sans nulle raison gens de ton pays et enfants; mais si tu agis de la sorte, garde que les Perses un jour ne se bandent contre toi. Ainsi m'a enchargé ton père et recommandé de t'aviser et admonester pour ton bien. » Voilà comme il le conseillait par amitié qu'il lui portait; mais l'autre répond en ces mots : « Tu m'oses donner des conseils, comme de vrai tu as bien gouverné ton pays et sagement guidé mon père, quand tu le fis passer l'Araxe pour aller aux Massagètes, sur le point qu'eux voulaient passer et venir à nous! Tu t'es perdu, n'ayant pas su régir ton pays, et as perdu Cyrus aussi, qui te crut lors, mais à ton dam; car voici venue l'occasion que je cherchais de t'en punir. » Ce disant, il prenait son arc pour le percer; mais Crésus se sauva de vitesse dehors, et lui ne le pouvant darder, dit à ses serviteurs de le prendre et le tuer. Les servi

teurs, comme ils connaissaient son humeur, ca- | byse contre l'Égypte, les Lacédémoniens en firent

chent Crésus en telle intention que, si Cambyse se repentait et redemandait Crésus, eux le lui rendant, en auraient quelque récompense, pour avoir sauvé Crésus ; que s'il ne se repentait, ni ne le regrettait, ils le feraient mourir. Peu après avint que Cambyse regretta Crésus, ce que voyant ses serviteurs, lui dirent qu'il était en vie. Cambyse fut aise d'apprendre que Crésus était encore en vie; mais il dit que ceux qui l'avaient ainsi conservé ne s'en trouveraient pas bien et qu'il les tuerait, comme il fit.

Il commit plusieurs tels excès contre les Perses et alliés durant le temps qu'il fut à Memphis, ouvrant les vieilles tombes et regardant les morts; il entra dans le temple de Vulcain, fit à l'image force moqueries. Car là l'image de Vulcain ne diffère en quoi que ce soit des Pataïques de Phénicie, que mettent les Phéniciens à la proue de leurs trirèmes; et qui ne les a vues je lui dirai c'est la figure d'un homme Pigmée. Pareillement il entra dans le temple des Cabires, où n'est permis d'entrer qu'au prêtre, et ces images il les brûla, non sans en faire grandes risées. Elles sont semblables aussi à celles de Vulcain; même on dit que ce sont ses enfants.

En somme, il me paraît sans doute que Cambyse était hors de sens; car il n'eût pas pris en moquerie les religions et les coutumes; car si l'on proposait aux hommes de choisir entre toutes les lois établies les meilleures, après y avoir bien regardé, chacun s'en tiendrait aux siennes propres. Ainsi pense chacun ses lois être les meilleures de beaucoup; et partant il n'est pas à croire qu'autre qu'un insensé ait pu se rire de telles choses. Et qu'ainsi soit que tous les hommes pensent de la sorte en ce qui concerne les lois, d'autres preuves le font connaître et singulièrement celle-ci. Darius un jour ayant mandé des Grees qui demeuraient près de sa résidence, s'enquit d'eux pour combien d'argent ils voudraient manger leur père mort. Eux répondirent que pour rien au monde; et Darius alors fit venir de ces Indiens nommés Calaties, lesquels ont pour usage de manger leurs parents, et leur demanda devant les Grecs, qui par un interprète entendaient ce qui se disait, pour combien ils consentiraient à brûler le corps de leur père. Ils s'écrièrent haut, le priant de ne proférer telles paroles. Ainsi sont ces choses réglées par l'usage des différents peuples; et Pindare me semble avoir bien rencontré, disant coutume être reine du monde.

Au temps même de cette expédition de Cam

une aussi contre Samos et Polycrate, qui s'étant soulevé tenait Samos, et d'abord avait départi la ville entre lui et ses deux frères, Pantagnote et Syloson, depuis ayant tué l'un et chassé le plus jeune. Syloson tenait Samos toute, et la tenant contracta hospitalité avec Amasis, roi d'Égypte, auquel il envoya des dons et en reçut d'autres de lui. Polycrate bientôt s'accrut, devint fameux en Ionie et dans le reste de la Grèce. Quelque guerre qu'il entreprît, tout lui succédait à souhait. II avait à lui cent galères à cinquante rames et mille archers, attaquait, pillait tout le monde indis tinctement, disant qu'il obligeait davantage un ami en lui rendant son bien qu'il n'eût fait ne lui ôtant rien. Il s'empara de plusieurs îles, et de beaucoup de villes en terre ferme, prit les Lesbiens qu'il défit en combat naval allant avec toutes leurs forces au secours de Milet, et qui depuis creusèrent enchaînés tout le fossé autour de la forteresse dans Samos.

Amasis n'était point sans entendre parler des prospérités de Polycrate, vcire même y prenait intérêt, et comme ses succès allaient toujours croissant, il écrivit ceci dans une lettre qu'il lui adressa en Samos: « Amasis à Polycrate ainsi dit: C'est bien douce chose d'apprendre le bonheur d'un hôte et ami; toutefois tes grands succès ne me contentent pas. Je sais que la divinité est de sa nature envieuse. Partant j'aime mieux, moi et les miens, avoir chance dans mes affaires tantôt bonne, tantôt contraire, que non pas réussir en tout. Car oneques je n'ouïs parler d'aucun qui n'ait eu triste fin en prospérant toujours. Toi donc, si tu m'en crois, voici ce qu'il faut faire à ton trop de bonheur. Songe en toi-même ce que tu peux avoir de plus précieux et qui plus te fâchât à perdre, et le perds et l'abîme tellement que jamais n'en soit nouvelle au monde ; et si dorénavant ton heur n'est mêlé de semblables disgrâces, use du remède que je t'enseigne. »>

Ces paroles lues, Polycrate, comme il comprit que l'avis d'Amasis était bon, chercha lequel de ses bijoux lui ferait plus de peine à perdre; et cherchant voici ce qu'il trouva. Il avait un anneaù monté en bague d'or qu'il portait au doigt; c'était une pierre d'émeraude, et l'ouvrage était de Théodore, fils de Téléclès de Samos. Ayant délibéré de le perdre, il fit ainsi. Sur une galère à cinquante rames il mit des gens et s'embarqua, puis fit voguer en haute mer. Quand il fut loin des côtes de l'île, ôtant cette bague de son doigt aux yeux de tous ceux qui étaient quant et lui à bord,

il la jette dans la mer, et cela fait, s'en revint à terre; et retourné en sa maison était chagrin de

ce malheur. Cinq ou six jours après lui avint ce que voici Un pêcheur avait pris un poisson grand et beau, et tel qu'il lui parut mériter d'être offert en don à Polycrate, et pour cela s'en vint aux portes, disant qu'il voulait être admis en sa présence, ce qui lui étant octroyé, il parla en ces termes : « Roi, j'ai pris celui-ci et ne l'ai pas voulu porter vendre au marché, pauvre homme que je suis toutefois, qui en ce faisant gagne ma vie; mais il m'a semblé digne de toi, pourquoi je l'apporte et te le donne. » Lui aise d'entendre ce propos, repart : « Tu as grandement raison, et double grâce t'en est due de ton dire et de ton présent, et nous t'invitons à souper. Le pêcheur, qui tint à grand heur cette invitation, s'en retourna en son logis; et cependant les serviteurs coupant le poisson, trouvèrent dans son ventre la bague même de Polycrate, laquelle ils prirent dès qu'ils la virent, et joyeux la portèrent vitement à Polycrate, et la lui donnant lui contèrent en quelle sorte ils l'avaient trouvée. Lui, comme il crut y voir en cela quelque chose de divin, écrit dans une lettre tout ce qu'il avait fait et comment lui en avait pris, et tout étant écrit, il dépêche en Égypte. Ayant donc le roi Amasis lu cette lettre, qui venait de la part de Polycrate, comprit qu'homme ne peut préserver un autre homme de chose qui lui doit avenir, et que Polycrate ne devait pas faire bonne fin, ayant heur en tout, à tel point de retrouver même ce qu'il avait voulu perdre exprès. Si lui envoya en Samos un héraut, disant qu'il rompait avec lui l'hospitalité; ce qu'il fit pour cette raison, afin que venant Polycrate à choir en quelque grande et terrible disgrâce, il n'en eût point le deuil au cœur comme pour un hôte et un ami.

Contre ce Polycrate donc heureux en tout, les Lacédémoniens entreprirent une guerre, mus à ce faire et appelés par ceux d'entre les Samiens qui depuis fondèrent en Crète la ville de Cydonie. De sa part Polycrate dépêchant à Cambyse, fils de Cyrus, qui lors armait contre l'Egypte, le pria qu'il lui plût envoyer en Samos lui demander, à lui Polycrate, une armée; ce qu'ayant entendu, Cambyse volontiers envoya en Samos vers Polycrate, qu'il requit de lui prêter une armée de mer pour son expédition d'Égypte. L'autre prend ceux des citoyens qu'il pensait lui être contraires, les envoie sur quarante galères, et mande à Cambyse de faire en sorte qu'ils ne retournassent point.

Aucuns disent que ces Samiens envoyés par

Polycrate n'allèrent pas en Égypte, mais ayant vogue seulement jusqu'à Carpathos, là se count

seillèrent entre eux, et résolurent de ne point aller plus avant. D'autres content que venus en Égypte on les gardait, et qu'ils s'enfuirent sur leurs vaisseaux, avec lesquels, comme ils retournaient en Samos, Polycrate vint à leur rencontre; il y eut combat, ils vainquirent et débarquèrent dans l'île, où ayant de nouveau combattu, ils eurent du pire et se rembarquèrent, enfin vinrent à Lacédémone.

Mais il en est aussi qui disent que ceux-là revenant d'Égypte, vainquirent Polycrate, en quoi, selon moi, ils disent mal. Car ces gens n'eussent eu que faire du secours de Lacédémone, étant par eux-mêmes capables de le ranger à la raison. Joint qu'il n'y a nulle apparence que lui, ayant à sa solde une troupe étrangère et ses propres archers, nombreux aussi, n'ait su résister à ce peu qu'ils étaient retournant d'Égypte. Encore tenait-il enfermés dans les hangars de sa marine les femmes et enfants des citoyens demeurés sous lui, tout prêt à y mettre le feu et brûler les hangars et ces otages avec, si leurs parents l'eussent trahi en faveur de ceux qui revenaient

A Sparte arrivés, ces Samiens, que Polycrate avait chassés, se rendirent près des magistrats, et là disaient beaucoup de choses, comme gens qui se trouvaient en grande nécessité. Eux à la première harangue répondirent qu'ils en avaient oublié le commencement, et ne comprenaient pas la fin. A la seconde audience, ils ne haranguèrent plus, mais ayant apporté un thulacos vide, le montraient disant qu'il avait faute de farine. A quoi l'on repartit que le thulacos seul en aurait dit assez, et toutefois fut résolu de les secourir.

Adonc toutes choses préparées pour cette expédition, les Lacédémoniens passèrent à Samos, en récompense, disent les Samiens, de ce qu'eux les avaient aidés de leurs vaisseaux contre les Messéniens; mais, comme le racontent ceux de Lacédémone, ce fut moins pour donner secours aux Samiens que pour eux-mêmes se venger de l'enlèvement du cratère qu'ils portaient à Crésus, et du corselet que le roi d'Egypte Amasis leur envoyait en présent. Car les Samiens leur prirent, un an avant le cratère, ce corselet, lequel étant de lin avec beaucoup d'animaux en tissu, orné d'or et de laine de coton, est admiré pour ce regard, et aussi pour ce que chaque fil, fin comme

Sac de cuir qui servait à porter en voyage une provision de farine.

A

il est, a cependant en soi trois cent soixante fils | retour à Corinthe, il ne voulut plus aucunement tous visibles à l'œil. Pareil est cet autre à Lindos, consacré par Amasis à Minerve.

Or aidèrent les Corinthiens à l'armement contre Samos, et volontiers y prirent part. Car il y avait un outrage à eux fait par les Samiens une génération avant, lorsque le cratère fut volé. Car comme une fois Périandre, fils de Cypsélus, envoya pour être coupés à Sardes chez Alyattès, trois cents jeunes enfants des premières familles de Corcyre, ceux qui les menaient, Corinthiens, étant abordés en Samos, la chose fut contée aux Samiens, comment et pourquoi ces enfants s'en allaient à Sardes, et eux premièrement leur montrèrent à toucher le temple de Diane; puis ne souffrant pas qu'on les enlevât suppliants du temple, comme ceux de Corinthe empêchaient qu'ils❘ n'eussent à manger, les Samiens firent une fête de laquelle ils usent encore aujourd'hui en même façon. La nuit venue, durant tous le temps que les enfants furent suppliants, ils dressaient des chœurs de jeunes filles et de jeunes garçons, et dressant ces chœurs ordonnèrent par une loi qu'on y portât des gâteaux de sesame et de miel, à celle fin que les dérobant, les enfants des Corcyréens eussent de quoi se nourrir; et dura cette façon de faire jusques à tant que les Corinthiens, gardes de ces enfants, les laissant, s'en allèrent, et lors les Samiens les ramenèrent à Corcyre. De vrai si les Corinthiens, mort Périandre, eussent été amis des Corcyréens, ils ne se fussent pas sans doute, pour le souvenir de cette affaire, joints aux ennemis de Samos; mais jamais depuis le temps que l'île fut peuplée par eux, ils n'ont paru d'accord ensemble, bien qu'entre eux cependant il y ait.... Voilà pourquoi les Corinthiens en voulaient à ceux de Samos. Or, Périandre envoyait à Sardes pour être coupés ces enfants des premiers de Corcyre, afin de se venger. Car les Corcyréens d'abord avaient commencé par un acte horrible envers lui. Car après que Périandre eut tué sa femme Mélissa, un autre malheur lui avint après celui-là. Il avait de Mélissa deux fils âgés l'un de dix-sept, l'autre de dix-huit ans. Leur grand-père maternel Proclès, qui était tyran d'Épidaure, les ayant fait venir devers lui, les chérissait comme on peut croire, étant les enfants de sa fille, et le jour qu'il les renvoya, leur dit en les reconduisant : «< Savez-vous bien, enfants, qui est celui qui a tué votre mère?» Parole dont l'aîné tint peu de compte; mais le plus jeune, appelé Lycophron, en eut telle douleur en l'âme, qu'étant de Quelques mots manquent au texte.

parler à son père, ni répondre à quoi qu'il lui pût dire ou demander; interrogé par lui, se taisait. Pourquoi Périandre en colère à la fin le chasse de sa maison; et ayant chassé celui-là, s'enquit à l'aîné de ce que leur grand-père leur avait dit et de quels propos il s'était avec eux entretenu. L'autre lui conte comme quoi ils en avaient été reçus avec joie et caresses grandes ; mais de ce mot que leur dit Proclès en les reconvoyant il ne s'en souvenait pas comme n'y ayant fait d'abord nulle attention. Périandre alors repart qu'il n'était pas possible au monde que leur grand-père ne leur eût donné quelque avis, et à force de l'interroger, fit tant que le jeune homme enfin se souvint de cela et le dit. Telle chose ouïe, Périandre, délibéré de ne céder ni s'amollir en nulle sorte à l'égard de son autre fils, où il le savait coutumier de se retirer, là envoyait un messager défendre aux gens de le recevoir, et lui, comme on le faisait sortir d'une maison, s'en allait en une autre, d'où on le chassait encore à cause des menaces de Périandre et de ces ordres qu'il donnait afin de l'exclure de partout; ainsi chassé il recourut à divers de ses amis, lesquels, comme enfant de Périandre, le recevaient, craignant toutefois. Mais Périandre fit publier un ban portant que qui le logerait, ou lui parlerait seulement, payerait une amende sacrée à Apollon, disant de combien. Après ce ban, il n'y eut personne qui le voulût plus recevoir en sa maison ni lui parler. Luimême cessa de tenter d'être admis nulle part, et depuis hantait sous les portiques, couchant à terre et manquant de tout. Au bout de quatre jours, Périandre qui le vit affamé, mal en point pour ne s'être lavé de longtemps, en eut compassion, en quittant sa colère, s'approcha de lui et lui dit : « O enfant, lequel donc te semble à préférer, ou ton sort tel qu'il est maintenant, ou me succéder et avoir, étant attaché à ton père, la tyrannie et les biens que j'ai, toi, mon fils, qui né roi de la riche Corinthe, as choisi cette vie misérable et maudite en me résistant et te prenant à qui fallait le moins? Si chose est avenue dont tu aies contre moi soupçon, à moi d'abord en est le mal, dont j'ai d'autant plus à souffrir que seul j'en suis cause. Mais toi, connais enfin combien mieux vaut faire envie que pitié, et voyant la folie que c'est de se courroucer à son père et plus fort que soi, va de ce pas à la maison."

Ainsi l'avisait Périandre; mais l'enfant ne lui répondit autre chose, sinon qu'il devait l'amende

nombre, lesquels, ayant tenu tête aux Lacédémoniens quelque peu de temps, s'enfuirent, et eux les poursuivant en tuaient. Si dans cette journée les Lacédémoniens eussent fait tous aussi bravement comme Archias et Lycopas, sans faute Samos était prise. Car Archias et Lycopas, à la poursuite de fuyards, s'étant seuls jetés avec eux dedans l'enceinte des murailles, la retraite leur fut coupée, ainsi périrent-ils dans la ville des Samiens.

Le troisième descendant de cet Archias-là, un autre Archias, je l'ai connu moi-même à Pitane, duquel bourg il était, et de tous les étrangers c'étaient les Samiens qu'il honorait le plus; et me dit que son père avait eu nom Samius, de ce que son père Archias était mort vaillamment en ce combat de Samos, et m'ajouta qu'il honorait surtout les Samiens, à cause que son aïeul fut publiquement par eux enseveli fort bien.

sacrée au dieu pour lui avoir parlé. Périandre alors, connaissant que le mal en lui ne se pouvait adoucir ni vaincre, l'éloigne de ses yeux et l'envoie sur un navire à Corcyre, dont il était maître aussi. Lui parti, Périandre fit la guerre à son beau - père Proclès, qu'il pensait être auteur le premier de ses peines, prit la ville d'Épidaure, et prit aussi Proclès, et le garda vivant; et comme avec le temps Périandre, avancé en âge, sentit ne pouvoir désormais voir et gouverner les affaires, alors il mande de Corcyre Lycophron, pour qu'il vint prendre la tyrannie, n'ayant aucun égard à l'aîné de ses fils, qui lui semblait être de trop faible entendement; mais Lycophron ne daigna même répondre au message. Le père, qui avait mis en lui son espérance, envoie à ce jeune homme une autre fois sa sœur, fille de lui Périandre, pensant qu'il se devait plutôt laisser persuader à elle, laquelle devers lui venue, lui ayant dit : « O enfant, souffriras-tu donc la tyrannie passer à d'autres, la maison de ton père s'abîmer, plutôt que toi venir et la tenir? Habite en ton logis, cesse de te tourmenter; désir de gloire chosenèse. Un sot propos en a couru, que Polycrate, vaine; et ne tâche point à guérir le mal par le mal. Plusieurs ont préféré au droit l'accommodement; plusieurs se sont vus perdre la paternelle chevance en requérant celle de leur mère. La tyrannie échappe; beaucoup en sont amants. Le voilà vieux, cassé; ne livre point à d'autres le bien qui t'appartient. >>

Elle donc lui disait, instruite par leur père, ce qu'elle croyait plus capable de l'attraire et fléchir son cœur; mais il lui répondit disant que jamais n'irait à Corinthe, tant qu'il saurait son père en vie. Ce qui étant par elle rapporté à Périandre, pour la troisième fois il envoie un héraut, voulant aller lui-même demeurer à Corcyre, et mandait à son fils de s'en venir en Corinthe prendre la tyrannie; à quoi lui s'étant accordé, ils se pré-à paraient pour passer, Périandre en Corcyre et l'enfant à Corinthe. Mais ceux de Corcyre, informés de toutes ces choses, afin d'empêcher que Périandre ne fût en leur pays, mettent à mort le jeune homme; ce fut là la cause pourquoi riandre se voulut venger des Corcyréens.

Après avoir tenu Samos assiégé quarante jours, les Lacédémoniens, voyant qu'ils n'en étaient de rien plus avancés, s'en retournèrent au Pélopo

ayant frappé en plomb force pièces du pays, les fit dorer, les leur donna, et qu'eux les prenant s'en allèrent. Cette guerre fut la première que firent en Asie les Doriens.

Ceux des Samiens qui étaient venus en Samos contre Polycrate, avec les Lacédémoniens, sur le point d'en être quittés, passèrent à Siphnos; car ils avaient besoin d'argent, et les affaires des Siphniens florissaient alors. Ils étaient les plus riches de tous les insulaires, comme ayant dans leur île des mines d'or et d'argent, si que de la dime du produit, ils en ont consacré à Delphes un trésor égal aux plus riches, et chaque année se partageaient les sommes provenantes de ces mines. Or quand ils faisaient ce trésor, ils demandèrent l'oracle si leurs biens présents leur devaient longtemps demeurer. La pythie leur fit cette réponse: Alors que dans Siphnos Prytanée blanc sera, et blanc le sourcilleux marché, Siphnien sagement fera si caut en son ile caché, il évite Pé-embúche de bois et rouge heraut. Le marché de Siphnos, en ce temps-là, et le Prytanée étaient revêtus de pierre de Paros; ils ne surent comprendre l'oracle, ni lors, ni depuis à la venue des Samiens; car les Samiens, dès qu'ils eurent pris terre en Siphnos, envoyèrent sur un de leurs navires des parlementaires à la ville. Tous les vaisseaux jadis étaient peints de vermillon, et c'était cela que la pythic avait prédit aux Siphniens, parlant d'une embûche de bois et d'un héraut

Les Lacédémoniens, avec une puissante flotte, arrivés devant Samos, la tenaient assiégée. D'abord, attaquant le mur du côté de l'esplanade, ils montèrent sur la tour qui est au bord de la mer, mais bientôt en furent chassés par Polycrate même accouru avec un gros de gens. Cependant, par la tour d'en haut, bâtie sur la croupe du mont, sortirent les alliés et des Samiens bon

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