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rement ni bossus, ni boîteux, ni borgne, et on y trouve marqué le nombre d'hommes mariés, de femmes et de filles qu'elle souhaitait qu'on en priât. Elle ordonne que sa maison ne sera louée, pendant vingt ans, qu'à des personnes qui feront preuve de noblesse, et donne une place pour faire un jardin, à condition que celui à qui elle la laisse n'y fera point planter d'arbres nains. On juge bien par-là, que la demoiselle était raisonnablement visionnaire; on en sera encore mieux persuadé quand j'aurai appris que, comme il n'y a presque personne qui n'ait son animal favori, elle avait des chats, qu'elle n'a pu oublier en mourant. Ainsi elle a établi une rente pour leur nourriture, et un revenu considérable dont doit jouir celui à qui elle en confie le soin. On dira que cette rente, lui assurant de quoi vivre, il y a du moins quelqu'un qui profite de sa folie. La chose ne recevrait point de difficulté, si c'était pour ce quelqu'un que la rente eût été faite viagère; mais elle ne l'est que pour ses chats, et comme elle s'éteint par leur mort, il faut qu'il meure avant eux, s'il veut empêcher qu'elle ne lui manque. Elle avait lu sans doute que quelques peuples avaient autrefois établi des hôpitaux pour des chiens, et qu'il y en a encore aujourd'hui en Turquie, quoique les Mahométans, aiment moins les \chiens que les chats, pour lesquels ils ont une grande vénération. Pour sa harpe, qui lui avait fait gagner tant de bien, elle la laissa à un aveugle des Quinze-Vingts, qu'elle avait entendu dire qui jouait admirablement des instrumens.

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(1608)

CAUSE CÉLÈBRE.

L'Italie ne manque point de gens d'esprit, mais il s'en trouve entr'autres de très-subtils. Celui dont nous voulons ici rapporter les faussetés avec la fin de sa vie, et le procès qui lui fut fait après sa mort, était d'une honnête famille de Final, près de Gênes; mais puisqu'il s'est fait nominer, au procès qui lui a été fait, François Fava, médecin, natif de Capriola, nous le nom merons aussi Fava.

Ce Fava, donc au printems de son âge, courut une partie des provinces d'Italie, dans lesquelles il exerça la médecine, et fut recommandé principalement pour être savant et expert dans la connaissance et cures des venins. A l'âge de trente-quatre à trentecinq ans, il s'établit à Orta, au comté de Novarre, où faisant sa profession de médecin, il s'amouracha de Catherine Oliva, fille d'un Oliva, marchant d'huile, y demeurant. Il la demanda en mariage, se nommant César Fiori, de Saint-Severin près de Naples, et parce qu'Oliva ne le connaissait que par sa renommée, et ne savait de quel lieu, ni de quelle extraction il était, ni même s'il était à marier, il desira s'en instruire et en avoir quelque témoignage. Fava, pour satisfaire à ce desir, fait lui-même un acte du juge de Saint-Severin, qu'il écrivit et scella authentiquement, par lequel il était certifié qu'il était de la maison de Saint-Severin, et n'était

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point marié. Oliva, sur cette assurance, lui donna sa fille pour femme, et ce mariage a duré dix ou onze années, pendant lesquels Fava a eu plusieurs enfans de sa femme. Après avoir demeuré quelque tems à Orta, Fava change son habitation et son nom, transporte son domicile à Castelarca, distant de sept à huit lieues de Plaisance, sur le Plaisantin même et se fait nommer François Fava.

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Au commencement de l'année 1607, Fava se voyant chargé de femme et d'enfans, et qu'il ne pouvait de son art de médecin subvenir à la dépense de sa maison, se résolut par un coup périlleux de se mettre en repos le reste de sa vie, et sur cette résolution prit cinquante écus qu'il avait chez lui, partit de Castelarca vers le tems de Pâques, et s'en alla à Naples, où étant arrivé, il s'informa lequel des banquiers de la ville avait le plus de réputation, entre lesquels il fit choix d'un nommé Alexandre Bossa, auquel il s'adressa, feignant d'être abbé, et d'avoir affaire d'une lettre de change de cinquante écus pour faire tenir à Venise, à un neveu étudiant à Rome; mais que pour lors il disait avoir envoyé à Venise pour quelques affaires; remit les cinquante écus audit Bossa, et prit de lui une lettre de change de pareille somme il garde cette lette quinze jours, pendant lesquels, lui, qui avait la main fort instruite et hardie à l'écriture, s'étudia à imiter et à contrefaire la lettre de Bossa. Au bout de quinze jours il reporte la lettre à Bossa, et retire ses cinquante écus, lui faisant entendre que ses affaires étaient faites à Venise, et qu'il n'avait plus besoin de s'y faire remettre aucuns deniers.

En pratiquant en la maison de Bossa pour prendre cette lettre de change et la rendre, Fava avait pris en l'étude quelques lettres inutiles, mais qui pouvaient autant servir à son dessein que papiers de conséquence, d'autant qu'elles étoient écrites de la main dudit Bossa, et de François Bordenali, son correspondant ; et même un jour ayant épié le tems qu'il n'y avait en l'étude de Bossa qu'un jeune garçon, il feignit d'avoir affaire à Bossa, et de vouloir attendre qu'il fût de retour de la ville, et pria ce garçon de lui prêter du papier, une plume et de l'encre, pour écrire à quelques amis en attendant le retour de son maitre. Cela ayant été permis à Fava, il écrivit ciuq ou six lettres, qu'il cacheta et enferma sous une enveloppe aussi cachetée.

Il employa ses lettres à deux usages, l'un à voir la marque du papier sur lequel écrivait ordinairement Bossa, ét en acheter du pareil, ce qu'il fit; l'autre à cacheter ses lettres du cachet même de Bossa, ce qu'il fit aussi; car étant arrivé chez lui il leva les cachets, en mouillant un peu le papier du côté où n'était pas marqué l'empreinte; cela se faisait assez facilement, d'autant que ce n'était pas de la cire d'Espagne, mais molle seulement: il garda ces cachets pour servir dans l'occasion, soit pour les appliquer sur les lettres qu'il voudrait falsifier, soit pour faire un cachet semblable à celui de Bossa.

Outre les quinze jours que Fava avait séjourné à Naples, il y séjourna encore un mois et demi, pendant lesquels il s'instruisit et s'exerça entièrement à imiter l'écriture de Bossa, et celle de Bordenali.

Au mois de juillet il partit de Naples, et alla à Pa

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doue, pour exécuter le stratagême de fausseté qu'il avait imaginé. A Padoue il s'habille en simple prêtre, et va sur le soir trouver l'évêque de Concordia, dont il avait autrefois ouï parler; suppose et lui fait entendre qu'il était l'évêque de Venafry, dans le royaume de Naples, que quelques seigneurs napolitains lui avaient imputé d'avoir fait l'amour et abusé de la compagnie d'une nièce du duc de Gaëtan; que cette accusation l'avait obligé de fuir de son évêché, et fait aller à Rome pour se justifier vers sa Sainteté ; mais qu'y étant arrivé ses ennemis n'avaient pas discontinué de conspirer contre lui, tant à force ouverte, que clandestinement, ayant voulu corrompre, par argent, l'un de ses serviteurs, afin de l'empoisonner; de telle manière qu'il avait été contraint, pour sauver sa vie, de se déguiser et de sortir de Rome, et qu'à grande peine et à grande crainte, ainsi déguisé, il était arrivé à Padoue en sa maison, où il venait comme à un saint asyle, et au port de son salut; le priait de lui tendre les bras dans son affliction, le recevoir, aider et favoriser. La faveur qu'il desirait de lui, était que par son moyen et son crédit (n'osant lui-même l'entreprendre de peur d'être découvert par ses ennemis), il pût avoir un homme, sous le nom et par l'entremise duquel il pût faire remettre à Venise dix mille ducats qu'il avait à Naples entre les mains du sieur Jean-Baptiste de Carraciola, marquis de Saint-Arme, et frère de l'archevêque de Bary, desquels seuls il était assisté en son malheur, comme de ses amis et alliés, ayant promis une de ses nièces en mariage, avec cent cinquante mille ducats, au sieur marquis de Saint-Arme, dont les noces devaient se solenniser à Pâques; et que de cette somme

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