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L'empereur fait vanité de n'avoir pas dépensé pour l'entretien de ses palais, qui sont cependant en grand nombre dans un état presque aussi peuplé que toute l'Europe, la centième partie de ce qu'il emploie au seul entretien des digues et des quais des rivières navigables. Quand même ce fait ne serait pas vrai, un pareil discours prouve toujours que l'empereur de la Chine, le plus despotique de tous les monarques, puisqu'il réunit les droits de chef de la doctrine et de la religion au pouvoir de la royauté, fait gloire de se regarder comme l'administrateur du trésor public, et d'employer ce trésor pour l'utilité et la commodité de ceux de sa

nation.

Les moindres décisions des empereurs de la Chine sont reçues de leurs sujets avec la soumission que des enfans respectueux ont pour un père qu'ils chérissent; mais en même tems on accoutume de bonne heure les princes à ne point connaître d'autre gloire et d'autre grandeur que celle de rendre leurs peuples heureux.

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Dernier discours de Chamhhi, empereur de la Chine et des deux Tartaries orientale et occidentale, mort le 20 décembre 1722; âgé de soixante-neuf ans, sept mois, vingt-cinq jours, après avoir règne soixante-un ans. dix mois, quatorze jours.

J'ai reçu ma destinée à l'empire par le Ciel..

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Depuis le commencement jusqu'à présent, on n'a point encore vu de souverains dans cet empire qui n'ait ́révéré le Ciel et imité ses ancêtres, et qui ne se soit proposé ces deux choses comme le devoir le plus indispen sable et le plus digne d'être rempli.

La véritable révérence envers le Ciel, et la véritable imitation de ces ancêtres, consistent à traiter bénignement les étrangers des pays éloignés, et à bien gouverner ses propres sujets; à tenir le peuple dans l'abondance et dans la tranquillité; à se conduire de manière que l'empe reur et l'empire fassent un usage réciproque des richesses contenues dans les quatre mers, avec les autres nations de l'univers; à conformer ses inclinations à celles de tout l'empire; à maintenir le bonheur et à prévenir tous les troubles. L'attention du prince doit être continuelle, soit qu'il veille, soit qu'il dorme : matin et soir il doit être sans cesse occupé du soin de gouverner le royaume en paix. C'est en observant tous ces moyens qu'on approche de la révérence envers le ciel et de la véritable imitation de ses ancêtres.

Mon âge est de soixante-dix ans. J'ai occupé le trône soixante-un ans; je reconnais que j'ai reçu ces grands bienfaits par le favorable secours du ciel, de la terre, de mes ancêtres, et du Dieu tutélaire qui préside à toutes les générations, et ce n'est nullement par ma faible vertu que j'ai vécu et régné si long-tems, Ayant lu attentivement les chronologies des Empereurs, j'observe que depuis le siècle de Hoan-Ti jusqu'aujourd'hui, il y a quatre

mille trois cent cinquante et tant d'années, én tout trois cent un Empereurs; et que de tant de princes, il n'y en a pas un seul qui ait régné autant que moi. Quand j'arrivai à la vingtième année de mon gouvernement, je n'osais me flatter d'aller à la trentième; et à la trentième, je n'osais me flatter de voir la quarantième : me voici cependant arrivé à la soixante-unième année de mon règne.

Le livre classique Chan chu king, au chapitre Hôn fan, marquant ce qui fait la félicité de l'homme, dit que c'est 1°. La longue vie; 2°. les richesses; 3°. la santé, la tranquillité et la joie ; 4°. l'amour constant des choses vertueuses; 5o. une belle mort apres avoir long-tems vécu. Ce point est le dernier; parce qu'il est véritablement difficile d'en trouver bien des exemples.

Présentement me voici parvenu à soixante-dix ans. Dans mon opulence, je possède tout ce qui est contenu dans les quatre mers. Mes enfans et petits enfans sont au nombre de cent cinquante et tant de têtes. L'empire jouit d'une heureuse paix; aussi serai-je bien tranquille, s'il me fallait mourir maintenant.

Lorsque je pense à tout ce qui s'est passé depuis le commencement de mon règne jusqu'à présent, quoique. je n'ose pas me flatter d'avoir été capable, par mes seules forces, de faire changer les mauvaises mœurs et les mauvaises coutumes, je puis dire seulement que mes peuples sont riches, sont dans l'abondance et font suffisamment leur devoir.

J'ai imité les trois anciennes dynasties des Empereurs, qui sont estimés saints; j'ai voulu porter la paix dans les quatre parties de l'empire, et jusqu'à la mer. Sous mon

règne chacun a exercé son art en paix et avec joie, continuellement et sans interruption. J'ai été vigilant et attentif, j'ai été occupé matin et soir, et on n'a pas vu que j'aie abandonné le soin de l'empire. Pendant plusieurs dixaines d'années, jusqu'à présent, j'ai travaillé pour le bien de mon peuple de tout mon cœur et de toutes mes forces, comme si ce n'eût été qu'un jour : ce qu'on appelle travail, peine et fatigue dans une condition privée n'approche pas de ce que j'ai souffert pour bien gouverner l'empire.

Les Empereurs des précédentes dynasties n'ont pas régné long-tems. Les historiographes de l'empire disent que l'ivrognerie et l'impureté ont abrégé leurs jours: c'est que tous ces écrivains se plaisent à critiquer les actions de leurs Empereurs, souvent même de ceux qui ont été bons et très-parfaits. Pour moi, je dis que les affaires sont sans nombre, et que ces Empereurs n'ont été accablés que par le grand poids de ces affaires qui` ent abrégé leurs jours. Le fameux Tehu Ke-lean, ministre d'un Empereur de la famille Chau, disait : J'épuise mes forces, la mort terminera ma course glorieuse.

Que les ministres de l'Empereur considèrent seulement ce Tehu Ke-lean, et tâchent de se rendre capables de l'imiter.

Les ministres peuvent cesser d'exercer leur emploi devenus vieux, ils s'en démettent pour toujours, et retournent dans leur famille, où ils ont la consolation de tenir entre leurs bras leurs enfans, et de badiner avec leurs petits-fils; ils ont tout à souhait, ils vivent tranquilles et contens d'eux-mêmes. Quant à l'Empereur

toute sa vie est un tissu de peines, d'inquiétudes et de travail; il n'a pas un seul jour de repos.

Tel fut l'empereur Chun, quoique le monde dise qu'il ne faisait rien pour bien gouverner l'empire; cependant à la fin de ses jours, accablé de travail et de fatigue, il mourut sur le territoire de Tsanvow (1), fort éloigné de sa famille.

L'empereur Yu, celui qui sécha la terre de la Chine, qui était auparavant inondée, voyagea pendant plusieurs années, arpentant lui-même la terre. Accablé de travail et de fatigue, il mourut à la ville Houci-Kychien, (2), loin aussi de sa famille. Ainsi ces deux Empereurs n'ont vécu que pour l'empire. Ils allaient eux-mêmes, exami nant sur les lieux toutes choses; et, puisqu'ils étaient Empereurs, comment peut-on dire qu'ils n'avaient rien à faire, et qu'ils étaient oisifs.

Dans le livre classique Ye king, à la grande figure lou yad, il n'est rien dit contre la conduite des Empereurs : il est aisé de voir que ces princes n'ont jamais eu un seul lieu de repos, òù ils aient pu se retirer pour se divertir et abandonner les rênes de l'empire. Vivre toujours inquiets, épuiser ses forces, voilà ce qu'on peut appeler le partage d'un Empereur.

Depuis l'antiquité la plus reculée, de tous les empereurs qui ont occupé le trône avec équité, j'ose le dire, il n'y en a pas un seul qui ait si bien gouverné que moi.

(r) Pays de la province de Quàng-si.

(2) Ville du troisième ordre, dans la province de Tehe kian.

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