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L'un dit qu'on détruit l'espérance,
L'autre que c'est la charité :

C'est la foi qui périt, et personne n'y pense.

Après la mort de M. de Fenelon, on lui fit cette. épitaphe :

Ci-gît ce grand prélat, qui deux fois se damna
L'une pour Molinos, l'autre pour Molina.

M. de Fénelon, infiniment éloigné des excès de Mo linos, ne vit pas assez que les opinions de Mad. Guyon étaient aussi des excès, et qu'elles avaient dans le fond les mêmes principes. Il avait dans l'esprit plus d'éclat et de grâce que de solidité, de force et même d'une certaine pénétration. Il avait surtout plus de piété que de. science. « Une femme dit M. de Voltaire, (siècle de » Louis XIV, article du quiétisme) une fenime sans » crédit, sans véritable esprit, et qui n'avait qu'une ima»gination échauffée, mit aux mains les deux plus grands » hommes qui fussent alors dans l'église.

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M. de Fénélon était plus grand homme dans la république des lettres que dans l'église. M. Bossuet l'était également dans l'une et dans l'autre, parce qu'il était aussi orateur que théologien.

Nous croyons qu'on sera bien aise de trouver ici ce que la Bruyère dit de ces deux grands hommes, dans son discours de réception à l'académie française, en juin 1693. On sait que profitant de son talent pour faire des caractères, il fit celui des principaux académi– ciens, alors vivans, à l'exception néanmoins de celui de

M. de Fontenelle. Voici les deux morceaux de M. La

Bruyère:

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Que dirai-je de ce personnage qui a fait parler si long-tems une envieuse critique, et qui l'a fait taire ;

qu'on admire malgré soi, qui accable par le grand » nombre et par l'éminence de ses talens; orateur, his»torien, théologien, philosophe d'une rare érudition, >> d'une plus rare éloquence soit dans ses écrits, soit » dans la chaire; un défenseur de la religion, une » lumière de l'église; parlons d'avance le langage de « la postérité, un père de l'église : que n'est-il point? » Nommez, messieurs, une vertu qui ne soit pas la >> sienne?

>> Toucherai-je aussi votre dernier choix, si digne » de vous? Qu'elles choses vous furent dites dans la place où je me trouve ! Je m'en souviens, et après ce « que vous avez entendu, comment osé-je parler, com>>ment daignez-vous m'entendre? Avouons-le; on sent » la force et l'ascendant de ce rare esprit, soit qu'il prê» che de génie et sans préparation, soit qu'il prononce » un discours étudié et oratoire, soit qu'il explique ses pensées dans la conversation; toujours maître de l'o» reille et du cœur de ceux qui l'écoutent, il ne leur » permet pas d'envier ni tant d'élevation, ni tant de fa» cilité, de délicatesse, de politesse; on est assez heu» reux de l'entendre, de sentir ce qu'il dit, et comme » il le dit; on doit être content de soi, si l'on emporte » ses réflexions, et si l'on en profite; quelle grande. acquisition avez-vous faite en cet homme illustre ! A qui m'associez-vous ?

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Pendant la dispute du quiétisme, madame de Grignan fille de madame de Sévigné, dit un jour à M. Bossuet : mais est-il donc vrai que M. l'archevêque de Cambrai ait tant d'esprit ? Ah! madame, répondit le prélat, il en a à faire trembler.

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M. de Boze, son successeur dans l'académie françaien mars 1715, dit, dans son discours de réception : « Il fit craindre aux légions du seigneur qu'il ne tour»nat contr'elles le glaive de la parole. »

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Il est à remarquer que le Télémaque n'est nommé ni dans le discours de M. de Boze, ni dans celui de M. Dacier, qui lui répondit. A peine M. de Boze désigne-t-il cet ouvrage par ces mots : « Delà ces beautés » naïves et riantes, ces tours nobles et hardis, ces expressions fines et délicates, ces grâces vives et légères qui caractérisent tous ses ouvrages, et qui jamais ne » se sont montrées si abondamment que dans ceux qu'il >> refusait d'avouer, parce qu'échappés aux heures per» dues d'une plume facile, ils exposaient trop la fécon»dité de l'imagination. »>

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La vraie raison du silence de MM. de Boze et Dacier sur le Télémaque, c'est que Louis XIV vivait encore en mars 17.5 On l'avait fort prévenu contre cet ouvrage, et ce n'était pas sans fondement. Il est permis de dire aujourd'hui que le Télémaque est, en beaucoup d'endroits, la critique du règne de ce monarque; et l'auteur avait sans doute instruit son auguste élève d'après les mêmes principes. Delà ce mot de le Vassor sur M. de Fénélon, à l'occasion de sa disgrâce. « Sa grande hérésie était en politique, et non pas en théologie. » (Histoire de Louis XIII, tom. III).

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M. le maréchal de Maubourg, gouverneur de St.Malo, m'a conté qu'étant à Cambray pendant la guerre de 1700, il voyait souvent l'archevêque, mangeait chez lui, et l'entendait prêcher. Il parlait sur-le-champ et prêchait d'abondance; était simple, touchant et court. Un jour à souper, il fut question de prédicateurs. Le maréchal de Maubourg loua le père Massillon. M. de Fénelon dit qu'il avait trop de fleurs, trop d'esprit, et s'étendit sur la simplicité. A ce compte-là, dit le maréchal, vous préféreriez donc le père Séraphin: Oui, sans doute, dit le prélat ; et sur celà it conta que ce capucin l'avait apostrophé en chaire à Versailles, en présence du roi et de toute la cour. L'abbé de Fénelon dormait. Le prédicateur s'interrompit, et dit : Réveillez cet abbé qui dort, et qui n'est peut-être au sermon que pour faire sa cour au roi. Il est aisé de s'imaginer l'effet d'une pareille apostrophe en un pareil auditoire. C'était manquer de respect au roi, qui néanmoins n'en parut point offensé, et ne fit que sourire. Tout est permis à certaines gens, à la vertu, aŭ zèle et à la simplicité bien

reconnues.

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EXTRAIT D'UN OUVRAGE ANGLAIS,

AU CAFÉ DE WHITE.

Une dame inconnue me fit l'autre jour l'honneur de me venir voir. Elle paraissait âgée d'environ trente ans :

la santé brillait sur son visage, et ses yeux avaient und certaine vivacité qui ne convenait guère, selon moi, au ton plaintif dont elle commençait à me parler. Je ne sais si elle s'en aperçut, mais tout-à-coup elle baissa la vue, et me dit : monsieur Bickerstaff, vous voyez devant vous la plus malheureuse de toutes les femmes. Comme vous avez la réputation d'être aussi grand jurisconsulte qu'habile astrologue ou médecin, je viens implorer vos conseils et votre secours pour me faire obtenir la cassation d'un mariage, qui doit être nul par toutes les lois du monde. Madame, répondis-je, si vous attendez quelque secours de moi, ayez la bonté de vous expliquer nettement sur tous vos griefs. Je ne croyais pas, monsieur, répliqua t-elle, qu'il fût besoin de la moitié de Votre science pour deviner ce qui peut porter une femme à se séparer de, son mari. Cela est vrai, madame, repartis-je, mais il n'est pas ici question de deviner, on n'établit pas un procès sur des conjectures. Alors se cachant le visage de son éventail, mon mari, dit-elle, n'est pas plus mari (ici elle ne put retenir ses larmes) que les Italiens qui chantent à l'opéra.

Madame, lui dis-je, les lois peuvent apporter du remède à votre affliction; mais envisagez les mortifications que vous aurez à essuyer, si vous la rendez publique. Pourrez-vous soutenir la risée de toute une Cour, les réflexions licencieuses des avocats, et surtout les couleurs qu'on donnera dans le monde à votre conduite? Combien peu, dira-t-on, cette dame savait mo¬ dérer ses desirs?

J'allais continuer, mais elle me dit avec quelque émotion, monsieur Bickerstaff, je vous ai donné une demiş

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