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mari de ce qu'il ne bougeait tout le jour de la taverne, et cependant qu'on les exécutaient tous les jours pour la taille qu'il fallait payer au roi, qui prenait tout ce qu'ils avaient, et qu'aussitôt qu'ils avaient gagné quelque chose c'était pour lui, et non pas pour eux : c' c'est pourquoi, disait le mari, se défendant, il en faut faire meilleure chère; car que diable nous servirait tout le bien que nous pourrions amasser, puisqu'aussi bien ce ne serait pas pour nous; mais pour ce beau roi? Cela fera que j'en boirai encore davantage, et du meilleur ; j'avais accoutumé de n'en boire qu'à trois sols, mais pard... j'en boirai dorénavant à six pour le moins, monsieur le roi n'en croquera pas de celui-là va m'en quérir toute à cette heure, et marche. Ah! malheureux, répliquait cette femme, et à belles injures, merci Dieu, vilain, me veuxtu ruiner avec tes enfans, ah! foi de moi, il n'en ira pas ainsi. Sur ces entrefaites, voici arriver un conseiller de la Cour des Aides, un commissaire et un sergent, qui viennent demander la taille à ces pauvres gens, et à faute de payer veulent exécuter; la femme commence à crier après, aussi fait le mari, qui leur demande qui ils sont. Nous sommes gens de justice, disent-ils. Comment de justice, dit le mari? ceux qui sont de justice doivent faire ceci, doivent faire cela, et vous Yous faites ceci et cela (décrivant naïvement, en son patois, toute la corruption de la justice du tems présent): je ne pense point que vous soyez ce que vous dites; montrezmoi votre commission. Voici un arrêt, dit le conseiller. Sur ces disputes, la femme qui s'était saisie subtilement d'un coffre, sur lequel elle se tenait assise, le commissaire l'ayant avisée, lui fait commandement de se lever

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par le roi et leur en faire ouverture. La femme ayant été contrainte de se lever, on ouvre ce coffre, duquel

sortent à l'instant trois diables, qui emportent et troussent en malle MM. le conseiller, le commissaire et le sergent, chaque diable s'étant chargé du sien. Ce fut la fin de la farce de ces beaux jeux, mais non de ceux que voulurent jouer après les conseillers des aydes, commissaires et sergens, lesquels se prétendant injuriés, se joignirent ensemble et envoyèrent en prison MM. les joueurs; mais ils furent mis dehors le jour même par exprès commandement du roi, qui les appela sots, disant sa majesté, que s'il fallait parler d'intérêt, il en avait reçu (des traits de satire) plus qu'eux tous; mais qu'il leur avait pardonné et pardonnait de bon cœur, d'autant qu'ils l'avaient fait rire, rire jusques aux larmes. Chacun disait que de long-tems on n'avait vu à Paris farce plus plaisante, mieux jouée, ni d'une plus gentille invention, meinement à l'hôtel de Bourgogne, où ils sont assez bons coutumiers de ne jouer chose qui vaille.

LE PÈRE RIVAL DE SON FILS.

Philis, mes beaux jours sont passés,
Et mon fils n'est qu'à son aurore;
Pour vous il est trop jeune encore,
Et je ne le suis pas assez.

Une maligne destinée

Sauve nos cœurs de votre loi;
Vous nâquites trop tard pour moi,
Pour lui trop tôt vous êtes née.

Ni moi, ni ce jeune écolier,

Ne saurions comment nous y prendre :
A peine il commence d'apprendre,
Et je commence d'oublier.

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Que fera-t-elle en l'attendant :
Votre cœur, avant qu'il s'engage,
Voudrait-il se mettre en ôtage
Entre les mains d'un confident?

Mais, Dieux! qu'elle assurance prendre

Sur ce jeune cœur en dépôt ?
Tel qu'il l'aurait, mourrait plutôt
Que de se résoudre à le rendre.

Ce cœur, s'il voulait prendre avis,
Sur un si délicat mystère,
Pourrait essayer sur le père

Comment il aimera le fils.

Le premier et le dernier éditeur des Euvres de Pavillon, ont cru qu'il était l'auteur de ces stances. Ils se sont trompés, elles sont très-sûrement de M. Ranchin.

ÉTABLISSEMENT DES JOURNAUX.

Le projet de faire un journal, c'est-à-dire, un ouvrage périodique, qui rendit compte au public de toutes les nouveautés qui paraîtraient dans les sciences et dans les arts, est une idée très-heureuse, et dont on a bien senti l'agrément et l'utilité. Les journaux sont commodes pour les gens de lettres, et instructifs pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent donner à l'étude que quelques momens ; il n'y a que la trop grande multitude de ces

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sortes d'ouvrages, et la licence qui peut s'y introduire, qui les rendent nuisibles aux arts.

Le journal des savans est le père de tous les journaux : on en doit l'idée à M. de Sallo, qui eut le sort des inventeurs quelques savans lui disputèrent cette invention, et prétendirent qu'il en avait trouvé le modèle dans la bibliothèque de Photius: cette prétention est ridicule, Photius ne s'était proposé que de porter un jugement précis des livres qu'il avait lus pendant le cours de son ambassade en Syrie, et ce n'est point là le plan d'un journal cette contestation frivole dura quelque temps; mais enfin la gloire de l'invention est demeurée à M. de Sallo.

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Il donna sous le nom du sieur de Hedouville, son premier journal, le 5 janvier 1665, et il en fit paraître un toutes les semaines, jusqu'au 30 mars de la même année. Ses journaux ont encore aujourd'hui beaucoup de réputation on n'y trouve pour l'ordinaire qu'un précis net et exact des ouvrages nouveaux avec un jugement succinct, assez libre, mais sans amertume et sans fadeur; les découvertes y sont annoncés avec exactitude et avec clarté. Le ton de modération qui se fait apercevoir dans ces journaux, et l'amour des lettres qui animait uniquement M. de Sallo, n'empêcha pas que beaucoup de gens de lettres ne se soulevassent contre son ouvrage, et n'en sollicitassent la suppression : ces cris de l'amour propre blessé n'auraient eu vraisemblablement aucun succès, s'il ne s'y était joint en même tems des plaintes bien plus injustes encore, mais d'un poids plus redou table,

L'inquisition avait rendu un décret qui condamnait

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