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thelemi, craignit que les Polonais ne refusassent d'élire pour leur roi, son fils le duc d'Anjou, l'un des principaux acteurs de cette sanglante exécution. Elle chargea Pibrac d'employer une artificieuse éloquence pour jus-' tifier, dans l'esprit de cette nation, les assassinats qu'on venait de commettre. Ce lâche courtisan obéit, et il adressa à un Stanislas Elvidius, qui n'existait point, une sorte de justification, dont on eut soin d'envoyer beaucoup d'exemplaires en Pologne.

Il commence par se plaindre de ce que des hommes qui ont de la vertu et la même religion que lui, saisissent avidement le faux et le vrai, et entreprennent, sans connaissance de cause, la défense de leur souverain ainsi, ajoute-t-il, ils confondent ce qui a été fait par ses ordres, avec ce qu'a entrepris, malgré luimême, l'insolente audace de quelques-uns de ses sujets. Le spectacle lamentable que lui présenta la capitale du fit couler des larmes de ses yeux, et sa royaume, sensibilité eut été mortelle pour lui, s'il ne s'était гарpelé qu'il y avait de l'équité dans une partie de ce qui s'offrait à sa vue, et que la reine-mère, le roi, ni ses frères n'avaient point commandé ces cruautés horribles, qu'on exerçait indifferemment contre l'innocent et le coupable; mais qu'elles étaient l'ouvrage d'un peuple devenu cruel par un excès d'amour pour son roi, et incapable d'être calmé dans le premier moment de sa fureur.

De tous les peuples de l'univers, le Français, dit-il, est celui qui aime le plus ses souverains; être vu, être connu d'eux, c'est l'objet de ses plus tendres souhaits,

et quoiqu'ils soient d'un accès facile il goûte à lès voir un plaisir toujours nouveau. Dans les autres nations il est quelques hommes, instruits par la philosophie, qui chérissent le sacré caractère de la royauté; mais un Français n'a pas besoin de leçon pour aimer ses rois ; la nature a mis dans son cœur un instinct qui l'entraîne vers eux. C'est à cet amour que nous devons la longue durée de notre monarchie, et la répugnance invincible que nous eûmes autrefois à subir le joug anglais, quelque léger que notre ennemi s'étudiât à nous le rendre. Enfin le crime de lèze-majesté est le plus énorme à nos yeux, et il n'est point de supplice, ni de cruauté qui puisse satisfaire la haine que nous portons aux monstres qui osent attenter aux jours de nos souverains. On ne doit donc point s'étonner, continue Pibrac, que le peuple informé qu'il y avait une conspiration contre son Roi, eût commis tant de barbaries.

Il fait ensuite l'histoire de cette prétendue conspiration. Le 22 du mois d'août 1572, l'amiral de Coligny fut blessé d'un coup d'arquebuse, près du château du Louvre. Le roi qui fut instruit de cet assassinat, en fut vivement irrité, et ordonna qu'on cherchât avec soin l'auteur et les complices de ce crime, pour les faire punir sévèrement. Accompagné de la reine-mère et de ses frères, il alla voir l'amiral, que sa blessure retenait dans le lit, et tâcha de le distraire de la douleur qu'elle lui causait. Cependant les amis de Coligny disaient tout haut que les Guises avaient fait le crime, et tout bas ils l'atribuaient à Catherine de Médicis, et à ses enfans. Quelques uns allèrent en demander justice au roi avec

une insolence inconcevable, et l'amiral même ne répondit aux marques de bonté qu'il reçut de son maître, que par ces paroles hautaines : On m'a rendu, par ce coup d'arquebuse, impotent des deux mains; mais j'ai encore la tête saine, grâce à Dieu, et ce que j'ai fait jusqu'ici je ne l'ai point fait avec les mains, mais avec l'esprit qui me reste encore. Il ajouta que si leurs majestés ne l'eussent point retenu à Paris, d'où il avait voulu partir si souvent, ce malheur, qu'il aurait bien dû prévoir, ne lui serait pas arrivé ; l'ambiguité de ce langage fut assez clairement éclaircie par le regard, le ton et la contenance de Coligny, mais la reine-mère, ni les Princes ne se doutèrent de rien pour le moment, et Charle fut bien surpris quand, le lendemain au soir, il apprit d'un calviniste, très-zélé pour sa religion, et intime ami de l'amiral, qu'au logis de ce dernier on avait formé une conjuration contre toute la famille royale, qu'on se proposait d'éteindre entièrement ; et qu'on avait résolu de changer l'état ou de transférer ailleurs la couronne. A ce délateur il en succéda deux autres qui, interrogés séparément, tinrent dans le conseil le même langage. La plupart des membres qui le composaient, représentèrent qu'il était nécessaire, pour prévenir une conspiration qui devait éclater le lendemain à l'heure du souper, de recourir à des moyens prompts, extrêmes et hazardeux; qu'il fallait dans l'instant même courir aux armes et se défaire des conjurés, sans perdre le tems à faire contr'eux des informations. Cet avis révolte la magnanimité de Catherine de Médicis et de ses enfans. Le roi ne veut condamner personne sans l'entendre : il a non-seulement sa vie, mais encore sa gloire

à conserver, et il aime mieux perdre l'une que de renoncer à l'autre; mais forcé par les pressantes raisons qu'on lui donne de laisser agir la justice, il ordonne, après quelques momens de silence et d'irrésolution, qu'on fasse périr seulement les conjurés dont il avait en main la liste. Trois fois il en donne l'ordre, et trois fois il le révoque. Enfin il se résout à être juste; mais le peuple rempli d'amour pour le sang de ses rois, pousse trop loin son ressentiment. Charles, irrité de se voir si mal obéi, tâche en vain d'effrayer les séditieux par l'appareil des supplices; et en même tems le parlement rend un arrêt solennel pour arrêter le cours de ces horribles violences. La clémence du roi est si grande qu'il laisse aux enfans des conjurés, qui ont été mis à mort, les biens de leurs pères, et qu'il ne fait flétrir, dans le lit de justice qu'il va tenir au parlement, que la mémoire de l'amiral de Coligny..

L'humanité de la reine-mère, du duc d'Anjou, et de son frère le duc d'Alençon, recoivent de Pibrac des éloges aussi évidemment faux, et il s'attache avec autant de mauvaise foi à rendre odieux l'amiral et son parti, en les représentant comme des rebelles qui ne ménageaient plus rien depuis la conspiration d'Amboise.

Cette apologie fut réfutée avec force par deux lettres, l'une écrite par Pierre Burin à Guillaume Papon, et l'autre adressée sous le nom d'Elvidius à Pibrac luimême. On y fait voir que l'apologiste déguise étrangement la vérité, qu'il ne prouve rien, qu'il se contredit presque toujours, et que ses principes sont faux et dangereux.

Il était bien facile de le confondre en lui opposant les lettres que Charles écrivit à tous les gouverneurs des provinces, où dans la crainte de s'attirer la haine des peuples, il désavoua d'abord, sans rien reprocher à Coligny, les horreurs de la St. Barthelemi qu'il avait ordonnées, et dont il avait été lui-même le témoin et le complice.

<< Vous avez pu entendre, disait-il dans ces lettres, comme mon cousin l'Amiral fut blessé avant-hier, et comme j'étais après pour faire ce qu'il m'était possible pour la vérification du fait, et en faire si grande et prompte justice, qu'il en fût exemple partout mon royaume ; à quoi il n'a rien été oublié : et depuis il est advenu que mes cousins de la maison de Guise, et les autres seigneurs et gentils-hommes qui leur adhèrent, n'ayant petite part en cette ville, comme chacun sait, ayant su certainement que les amis de mon dit cousin l'amiral voulaient poursuivre et exécuter sur eux la vengeance de cette blessure, , pour les soupçonner en être cause et occasion, se sont émus cette nuit passée, si bien qu'entre les uns et les autres, il s'est passé une grande et lamentable sédition, ayant été forcé le corps, de garde qui avait été ordonné à l'entour de la maison dudit sieur amiral, lui tué en sa maison avec autres gentils-hommes, comme il en a été aussi massacré d'autres en plusieurs places et endroits de la ville: ce qui s'est mené avec telle furie, qu'il n'a été possible d'y apporter le remède que l'on y eût pu desirer, ayant eu assez d'affaires à employer mes gardes et autres forces pour tenir le plus fort au château du Louvre, afin de donner ordre partout d'appaiser ladite sédition, qui est, grâce

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