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J'ai cru devoir l'insérer ici : tout ce qui nous reste des personnes remarquables mérite d'être conservé.

Figurez-vous ce Dieu qui préside au buffet;
Sa belle humeur, sa soif, sa face rubiconde;
Révéré des mortels, sur la terre et sur l'onde;
On dirait à me voir que je suis son portrait.

Sans être trop friand, j'aime les bons repas;
J'en donne volontiers, comme j'aime d'en prendre?
Et quoiqu'on ait voulu là-dessus me reprendre,
Je ris de mes censeurs, et j'en fais peu

de cas.

A l'âge de treize ans j'allai servir le roi ;
A trente-trois je fus le chef de ma famille :
Me flattant de jouir d'un destin tranquille
Je préférai l'hymen à mon petit emploi.

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J'ai resté marié pendant sept ans trois mois,
Et de feue ma moitié je n'ai eu qu'une fille,
Que je prétends, d'abord qu'elle sera nubile,
Donner à quelqu'amant dont elle fera choix.

Je ne suis pas si sot d'y donner tout mon bien,
Un homme de bon sens ne doit jamais dépendre
D'aucun de ses enfans, encore moins d'un gendre,
Qui se moque de nous lorsqu'il n'attend plus rien.

Mon esprit est de ceux qu'on recherche partout;
Et, sans être savant, j'aime un beau trait d'histoire;
Je fus, comme j'ai dit, partisan de la gloire,
Et je me suis mêlé toujours un peu de tout

J'ai une grappe au front de la couleur du vin :
Bacchus, me destinant pour être un jour grand-maître,
M'appliqua cette marque avant même de naître,
J'aurai cinquante ans faits le jour de saint Martin;

Je suis noir, ramassé, sans être trop petit.

On veut que les bons mots chez moi coulent de source.
Je suis dans un repas d'une grande ressource;

Je réponds à propos sur ce que l'on me dit.

La table a toujours eu pour moi de grands attraits,
La joie a de tout tems fait tout mon exercice;
Si quelqu'un vient à moi pour lui rendre service,
Je sens en l'obligeant des plaisirs très-parfaits.

J'attends mon dernier jour dans cet heureux état,
Que je compte à coup sûr être digne d'envie;
Combien de gens voudraient passer ainsi la vie,
Remontant du berger jusques aux potentat!

Après avoir coulé d'heureux jours dans une agréable et honnête volupté, M. de Posquières mourut à Aramon, le 7 septembre de l'an 1735, infiniment regretté de toutes les personnes qui l'avaient connu.

Il me reste, monsieur, à vous parler de l'historiographe de l'ordre. Voici ce que nous en savons de plus particulier et de plus important.

François Mourgier nâquit à Villeneuve-lès-Avignon, vers l'an 1660. Je n'ai pu savoir le jour précis de sa naissance, parce que les registres de sa paroisse, pour ce tems-là, ont été égarés; son père s'appelait Henri, et sa mère Jeanne Cabassolle. Il fit ses premières études à

Avignon, et ses exercices académiques à Paris on le destinait pour les armes. En 1684, il entra dans la première compagnie des Mousquetaires, et il eut l'honneur d'y être reçu par le roi lui-même, à qui M. de Maupertuis, commandant cette compagnie, le présenta; ce fut à Valenciennes, le 19 mai de cette année-là.

Il ne servit que cinq ans dans les Mousquetaires. Comme il avait de l'esprit et du savoir, M. le marquis de Seignelai, ministre et secrétaire d'état, le choisit pour gouverneur du marquis de Lonré, son fils; il entra dans sa maison le 4 octobre de l'an 1689. Ce jour-là ême la princesse de Conti, douairière, lui donna de sa propre main une épée d'or de vingt-quatre louis.

Il passa deux ans auprès du marquis de Lonré; ce peu de temps produisit des fruits infinis dans ce jeune clève. On admirait déjà la sagesse et la prudence, et surtout l'extrême politesse que le gouverneur lui inspirait toute la maison de Signelai en était enchantée; on y eût souhaité que ses soins eussent pu durer davantage, mais M. Mourgier avait des affaires à régler en province, il ne pût se dispenser d'y aller; ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'on le laissa partir, et après avoir employé, pour le retenir, les prières des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, beaux-frères de M. de Seignelai.

Cependant les affaires qui l'avaient attiré en province ne lui permirent plus de retourner à Paris, de sorte qu'au lieu d'un médiocre séjour, qu'il s'était proposé de faire à Villeneuve, il fut contraint d'y fixer sa résidence. Alors il se fit pourvoir de la charge de viguier royal, qu'il exerça jusqu'à sa mort.

L'érudition de M. Mourgier était très-profonde, et son génie supérieur pour les Belles-Lettres. Il possédait parfaitement les poëtes latins, dont il citait à-propos les plus beaux endroits. Il était versé dans la connaissance de l'Ecriture-Sainte, et les passages lui en étaient trèsfamilliers. Il était né poëte; et s'il eût voulu s'appliquer à cultiver le talent qu'il avait pour la poésie, il aurait assurément donné des pièces achevées. Celle que nous avons de lui, parsemées dans ses gazettes, sont une preuve de ce que je dis; mais, détourné par d'autres soins, il n'en faisait que par délassement. Il avait un goût et un talent merveilleux pour le dessin; il excellait en miniature: quelques ouvrages qu'il fit en ce genre de peinture, lorsqu'il était à la cour, lui attirèrent les louanges de tous les connaisseurs.

Depuis sa retraite en province, il goûta, dans les occupations particulières de son cabinet, toutes les douceurs d'une vie privée. Il n'a pourtant paru de sa plume que les gazettes dont nous avons parlé, mais qui ont suffi pour étendre sa réputation et son nom.

Aimable dans le commerce de la vie civile, il fut recherché et à la cour et dans sa patrie, de tout ce qu'il y avait de plus distingué; sur le moindre sujet, il faisait briller son esprit, et il tirait avantage de tout pour rendre une conversation enjouée; les plaisirs de la table lui faisaient une partie de ses amusemens : plein de répugnance pour le mariage, il ne voulut jamais s'y engager, et demeura libre jusqu'à sa mort. Sa manière de vivre fut aisée et agréable, mais jama's opposée à la règle et à la régidité des mœurs il n'avait de goût que pour les plaisirs délicats et licitas.

Il avait beaucoup de religion; il était chrétien solide rempli de charité, le véritable père des pauvres. Sa patience et sa fermeté ont éclaté, surtout dans les cinq dernières années de sa vie. Il eut, pendant ce court espace de tems, dix-huit attaques d'apoplexie; et enfin, après avoir cruellement souffert, mais avec une constance admirable, dans un dix-neuvième et dernier accès, il mourut le 17 juin 1723.

Voilà, monsieur, tous les éclaircissemens que j'ai pu découvrir sur l'établissement et les progrès de l'ordre de la Boisson et sur la vie de ceux qui en furent les principaux auteurs. Il serait à souhaiter que vous eussiez été autrefois aggrégé à cette agréable société, aujourd'hui presque éteinte; peut-être vous donneriez-vous maintenant quelques mouvemens pour sa renaissance et son accroissement. Il est certain du moins que tout se trouverait chez vous dans la plus favorable et la plus heureuse situation que l'on puisse desirer pour le succès de ce charmant ouvrage. Une table délicate, une compagnie choisie, une politesse et une affabilité admirables, une liberté entière; tout cela joint à beaucoup d'esprit et d'enjouement, forme autant d'heureux secours et d'utiles moyens propres à rendre votre château le temple et le santuaire des frères.

Cependant, monsieur, la race n'en est pas perdue, et il en reste encore assez pour la perpétuer. Je voudrais bien que ceci vous fît naître l'envie de chercher à vous initier dans ces joyeux mystères; je serais le premier à m'en réjouir, soit comme historien et analyste de l'ordre qui doit, ce me semble, prendre désormais quel qu'intérêt à son rétablissement, soit comme zèlé pour

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