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comprendre. Quoi qu'il en soit, c'est une des moindres, que nous ayons de cet auteur; et il en a fait plusieurs qui sont aussi bonnes que celle-ci est mauvaise. Mais il est certain aussi que ses moindres ouvrages doivent valoir mieux que cela, et que l'on ne saurait excuser une şi grande négligence.

Tant de fautes de toutes les espèces, des circonstances si petites et si mal choisies dans un si riche sujet, tant de médiocrité ! En un mot, comment ne s'est-il pas avisé de supprimer une pièce si chetive, et si différente de tant d'autres qu'il a faites? N'avait-il donc ni ami ni ennemi? Je crois avoir vu quelque part une critique de ce poëte; mais autant que je m'en souviens, elle ne lui fait pas grand mal; et peut-être qu'en tout, elle ne lui reproche pas tant de fautes qu'il y en a dans cette seule satire. Chose surprenante, que tant d'écrivains offensés, c'est-dire, animés de toute la malignité que donne le desir de se venger, ayent trouvé si peu de prise sur lui! Cela revient à ce que je vous ai dit, que ce n'est pas tant au bon sens que la plupart des gens ont égard en France qu'à l'esprit, à l'expression, au tour, à l'harmonie. Je me souviens, à ce propos, de ce que na conté un honnête homme de ma connaissance. Un écrivain français avait composé je ne sai quel ouvrage quil allait faire imprimer; étant arrivé à un endroit où il citait un ancien, la période ne lui parut pas assez harmonieuse, il crut que c'était le nom de cet ancien qui la rendait rude, et il en mit un autre à la place. Comme celui-ci ne contentait pas l'oreille non plus, il en essaya un troisième, et allait continuer sur ce piedlà, lorsque son ami, qui prenait la chose plus sérieuse

ment, lui dit qu'il se moquait de se jouer ainsi du lecteur, et qu'il devait citer juste. L'autre lui répondit qu'il se moquait lui-même, que son dessein était de plaire, que pourvu qu'il plût, il se mettait peu en peine du reste. A juger par l'harmonieux verbiage de leurs livres du tems, c'est leur caractère de mesurer plutôt les périodes que de les peser; c'est-à-dire, de consulter en écrivant et en lisant, plutôt l'oreille que le bon sens. Ce procédé tout extravagant qu'il est, doit être assez commun en France. Mais comine personne n'est obligé de lire un méchant livre, et qu'au fond les sots n'écrivent que peur les sots, tous les honnêtes gens sauront plus de gré aux français du petit nombre d'excellens écrits qui nous viennent de chez eux, qu'ils ne sauraient blâmer de méchantes choses qu'on ne saurait empêcher le peuple de produire.

ETRENNES A MADAME ***.

L'être puissant, à qui tout rend hommage,
Et qui dispose à son gré des trésors,
Joint rarement, dans son plus bel ouvrage,
Ceux de l'esprit avec les biens du corps.

Si quelquefois il fait cet assemblage,
Ce n'est, hélas! que pour peu de momens;
De son esprit à peine on fait usage,
Que le corps perd ses plus doux agrémens.

De l'un, Iris, vous fûtes une preuve,
Vous éprouvez déjà l'autre en ce jour,

Et vous savez, par cette double épreuve,
De combien est le règne de l'Amour.

Comme un éclair, vos beaux yeux, gros de larmes, Ont vu leur feux briller et s'éclipser;

Mais, en perdant quelques-uns de leurs charmes, Ils en ont vu d'autres les remplacer.

Ces yeux, Iris, trouvent sur leur passage
Plus de jaloux encor que de rivaux :

Et votre esprit, amusant, quoique sage,
Offre toujours quelques appas nouveaux.

Les ans n'ont fait que changer votre empire:
Celui des cœurs vaut sans doute son prix;
Mais après lui faiblement on soupire,
Lorsque l'on monte à celui des esprits.

Vous jouissez d'un si rare partage:
Toutes les voix disent qu'il vous est dû.
Quand on possède un pareil avantage,
Peut-on penser à ce qu'on a perdu.

L'Amour, qui veille aux intérêts des belles,
Traîne, il est vrai, nos cœurs à leurs genoux :
Une heure ou deux on s'amuse avec elle,
Mais on se plaît toujours auprès de vous.

Par M. le chevalier D. R.

MÉMOIRE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE MICHEL DE MONTAGNE.

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2

Michel de Montagne était fils de Pierre Eyquem écuyer, seigneur de Montagne. Scaliger a prétendu que son père était un vendeur de harengs; mais c'est une médisance; car au supplément de la chronique bordelaise, par Jean Darnal, on voit que Pierre Eyquem sieur de Montagne, qui, en un endroit, y est qualifié ecuyer, fut successivement élu premier jurat de la ville de Bordeaux en 1530, sous-maire en 1536, jurat une seconde fois en 1540, procureur de la ville en 1546; et enfin, maire depuis 1553 jusqu'en 1556, Montagne fait mention de cette mairie de son père, ét en un autre endroit, du surnom d'Eyquem, qu'il dit être celui d'une maison connue en Angleterre; mais qu'il ne paraît pas avoir jamais porté. Il nous apprend aussi que ses armoiries étaient d'azur, semé de trèfles d'or, à une patte de lion de même, armée de gueules mises en face.

Du reste, il fait souvent l'éloge de son père, louanţ sa probité, son activité, et l'agilité merveilleuse qu'il avait conservé, même dans sa vieillesse. Il dit aussi qu'il avait servi, je ne sais en quelle qualité, dans les guerres d'Italie; qu'à son retour il se maria en 1528, âgé de trente-trois ans, et qu'il mourut de la pierre à soixante-quatorze ans, c'est-à-dire en 1569.

Pierre de Montagne avait trois frères; l'un conseiller

au parlement de Bordeaux, surnommé le sieur de Bussagnet; un autre nommé le sieur de Saint-Michel; et un troisème ecclésiastique, appelé le sieur de Gaviac. Ce qui prouve de plus en plus la mauvaise foi de Scaliger sur cette famille.

Michel de Montagne naquit le dernier jour de février 1538. Il fut le troisième des enfans de son père, lequel prit un soin tout particulier de son éducation. On en peut voir dans ses Essais le détail, qu'il serait trop long de rapporter. Il suffit de dire qu'il apprit le latin en la maison paternelle par pure routine, comme on apprend le français, et qu'il le parlait aisément à l'âge de six ans, auquel il fut envoyé au collège de Bordeaux, où il y avait alors les meilleurs régens de France; savoir, Nicolas Grouchy, Guillaume Guérente, Georges Buchanan et Marc-Antoine Muret. Il 'acheva sous eux son cours d'étude à l'âge de treize ans, et apparemment il fut envoyé peu après en quelque école de droit, puisqu'il était destiné à la robe.

En effet, il fut pourvu d'une charge de conseiller au parlement de Bordeaux, et peut-être de celle du sieur Bussagnet, son oncle, qui mourut jeune.

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On a reproché à Montagne d'avoir affecté de ne point parler de cette charge dans ses' ouvrages, comme s'il avait voulu cacher à la postérité qu'il eût été de robe. Mais ce reproche est mal fondé; car dans la relation qu'il fit à son père de la mort d'Etienne de la Boëtie, et qu'il fit imprimer à la tête des opuscules de cet ami, il lui dit qu'il apprit la maladie de cet ami le g août 1563, en revenant du palais. Et en ses Essais, après avoir dit que les occupations publiques ne lui convenaient pas, il

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