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Si le Ciel à ces maux avait borné ma peine :

La bonté souveraine et le ciel sont ici précisément la même chose; aussi l'un est de trop, ou plutôt ils sont de trop tous deux. Le sujet est trop petit pour monter jusques-là; mais ils ne saurait y avoir de si petit sujet qui ne souffre quelque trait de morale, s'il est traité par un habile homme; surtout, cela se doit dans la satire, qui a pour but de corriger, et c'est de quoi je ne vois rien jusqu'ici.

Mais si, seul en mon lit, je peste avec raison,
C'est encor pis vingt fois en quittant la maison.

Je peste avec raison, me parait une expression petite et fade, et le pis vingt fois, ne se trouve dans ce qui suit. Pourquoi de si fortes expressions, quand on n'a pas

de quoi les soutenir?

pas

En quelqu'endroit que j'aille, il faut fendre la presse,
D'un peuple d'importúns, qui fourmillent sans cesse :

Le dernier vers est si méchant et si parfaitement inutile, que si la satire en général et la rime en particulier ne le réclamait, on le croirait supposé. C'est une paraphrase du mot de presse qui s'explique assez de luimême. Que signifie peuple d'importuns? peuple dit tout; importuns est plutôt d'une personne à une autre, ou du moins il ne signifie que ceux qui ont tort, en incommodant quelqu'un. En quoi ces gens-là ont-ils tort à l'égard

du poëte? Serait-ce qu'ils sortent dans la rue pour le voir? et que par-là ils l'empêchent de passer? et sans cesse qu'ajoute-t-il à fourmillent, si ce n'est la rime?

L'un me heurte d'un ais, dont je suis tout froissé,
Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé :
Là, d'un enterrement la funèbre ordonnance,
D'un pas lugubre et lent, vers l'église s'avance;
Et plus loin des laquais, l'un l'autre s'agaçans,
Font aboyer les chiens, et jurer les passans :
Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage.

On ne sait que dire de ces vers, ils ne sont ni assez bons pour être loués, quelque purgés qu'ils soient d'esprit, et quelqu'envie que l'on ait de louer, ni assez méchans pour être blâmes; ils peignent passablement bien des choses qui ne valent peut-être pas la peine d'être peintes.

Là, je trouve une croix de funeste présage;
Et des couvreurs grimpés au toit d'une maison,
En font pleuvoir l'ardoise et la tuile à foison.

Cette croix, si je me trompe, avertit les passans de prendre garde à eux pour n'être pas touchés de ce qui tombe; ainsi au lieu d'être de funeste présage, elle est de salutaire avis, qui est précisément le contraire. Mais pourquoi faire entrer ici cette croix sans nécessité de rime qui détruit tout le reste?

Là, sur une charrette, une poutre branlante,

Vient, menaçant de loin la foule qu'elle augmențe :

Cette poutre n'augmente pas la foule, mais l'embar

rasse.

Six chevaux attelés à ce fardeau pesant,
Ont peine à l'émouvoir sur le pavé glissant;
D'un carrosse, en passant, il accroche une roue,
Et du choc le renverse en un grand tas de boue;
Quand un autre à l'instant, s'efforçant de passer,
Dans le même embarras se vient embarrasser.

Je ne sais si s'embarasser dans un ambarrás, n'est pas une manière de parler un peu embarrassée, mais peut être que le poëte à l'imitation des anciens a voulu faire un vers parlant, qui tient un peu de la chose même qu'il décrit, afin d'en donner une idée plus vive à quelque autre chose près. Je ne saurais me résourdre à relever ces six vers; ils peuvent je crois passer; ils sont naturels, simples, et sans esprit, et ils disent assez bien ce qu'ils veulent dire.

Vingt carrosses bientôt, arrivant à la file,

Y sont,

en moins de rien, suivis de plus de mille;

Pourquoi ces vingt carrosses à part séparés de ces mille, si ce n'est pour la rime?

Et, pour surcroît de maux, un sort malencontreux
Conduit en cet endroit un grand troupeau de bœufs.
Chacun prétend passer; l'un mugit, l'autre jure.

Que veut il dire, est-ce que les bœufs jurent à Paris,

ou que les mots de chacun, l'un l'autre, se peuvent entendre des hommes et des bêtes ensemble? Quoi, c'est-là ce poëte si exact dans le langage et si scrupu

leux

Que son esprit tremblant sur le choix de ses mots,
N'en dira jamais un s'il ne tombe à propos.

Satire II, v. 47 et 48.

Des mulets en sonnant augmentent le murmure :

Le bruit de quelques clochettes est assez peu de chose, parmi tout ce tumulte, qu'il appelle murmure assez malà-propos, ce me semble.

Aussitôt cent chevaux, dans la foule appelés, (1),
De l'embarras, qui croît, ferment les défilés.

Des chevaux appelés, j'avoue que je n'entends pas cela. Il me semble qu'à Paris, comme ailleurs, les chevaux se trouvent engagés dans des embarras par hasard, et sans que personne les veuille avoir là. C'est le poëte qui les appelle ici pour rimer, ne voulant pas se servir du mot de mêlés, pour des raisons qui nous sont inconnues; mais c'est broncher trop souvent au bout du vers. Le poëte avait raison de prier Molière de lui enseigner l'art de la rime; et, si plusieurs de ses poésies ressem

(1) Il y a dans l'édition de 1674 Et bientôt cent che

vaux.

blaient à celle-ci, je dirais qu'il aurait raison de vouloir apprendre de lui l'art de ne rimer plus.

Et partout des passans enchaînant les brigades,
Au milieu de la paix font voir les barricades :
On n'entend que des cris poussés confusément;
Dieu, pour s'y faire ouïr, tonnerait vainement."

On entend les clochettes des mulets, au point même qu'elles augmentent le bruit, et Dieu en tonnant ne viendrait à bout de se faire entendre! Voilà encore pas de l'esprit; l'envie d'en faire voir fait dire de grandes niaiseries, quelquefois de grandes impiétés. Mais quoi, toute cette satire se passera sans qu'il y soit seulement parlé d'un abus? Est-ce que les incommodités de Paris ne fourniraient pas une sottise à combattre ?

Moi donc, qui dois souvent en certain lieu me rendre,
Le jour déjà baissant, et qui suis las d'attendre.

Tout cela ne vaut pas grand'chose, le jour baissant déjà, et qui dois souvent en certain lieu me rendre; quel rapport ont donc ces deux choses entr'elles? que fais-là ce souvent, et qui suis las d'attendre ? N'est-ce pas un trop petit effet de l'embarras qu'il a dépeint? Si du moins il avait mis:

Moi donc, qui dois sans faute en certain lieu me rendre,
Le jour déjà baissant, et qui me fais attendre;

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