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Quand Fava vit les formes dont on usait pour faire eet inventaire, il dit qu'il ne s'affligeait pas de l'accident qui lui était arrivé, puisque son bien et sa personne étaient entre les mains de la justice; mais qu'un doute l'agitait, qui était de savoir si ayant acheté de bonne-foi ces effets de gens qui les eussent volés, ils seraient perdus pour lui, étant revendiqués par celui à qui on en aurait fait le vol.

Le même jour de la capture, le lieutenant procède à l'interrogatoire de Fava, qui se dit natif de Capriola, sur les confins de la Ligurie, docteur en médecine, âgé de quarante-cinq ans, et répond que quoique sa profession principale fût la médecine, toutefois il avait accoutumé de trafiquer des pierreries, et qu'il avait acheté les diamans, perles et chaines d'or, qu'on venait de lui trouver, en la ville de Plaisance, de trois hommes, dont un seul était connu de lui, pour les prix et somme de cinq millə cent cinquante ducats, qu'il avait reçus de ses débiteurs, et qu'il en avait fait l'achat à dessein de venir en France ou en Flandres trafiquer de ces pierreries, et acheter d'autres marchandises. L'interrogatoire étant continué le jour suivant, Fava se jette à genoux, et prie la justice de lui faire miséricorde; déclare que ce qu'il avait répondu le jour suivant était faux, que c'était lui qui avait fait le vol, et conte l'histoire telle qu'elle vient d'être racontée; sur cette confession, Fava est envoyé prisonnier au Fort-l'Evêque.

Durant sa prison, voyant son crime découvert, il voulut se donner plusieurs fois la mort. D'abord il se coupa les veines des bras avec un canif, et perdit plus de trois livres de sang; mais l'extrême froid qu'il faisait ayant re

tenu le reste de son sang, et la faiblesse dans laquelle il se trouva, lui ayant fait appeler le geolier pour le secourir, il fut pansé de ses plaies, de façon qu'après il se porta bien.

Depuis, ce Corsina, apothicaire, dont il a été parlé ci-dessus, arriva à Paris, et le consola en sa prison quelque tems; mais l'ayant averti que Bertoloni y était aussi arrivé pour lui faire faire son procès, il lui donna commission de lui acheter une corde, pleine de nœuds, de certaine longueur, et une échelle de longueur compétente, afin de se sauver par-dessus la muraille qui est du côté du quai de l'Ecole-Saint-Germain. Mais bien que la corde et l'échelle fussent jetée et tendue, et qu'il eût eu assez de loisir pour se sauver, si, dès la première fois, Corsina, qui lui avait jeté la corde, n'eût tenu l'échelle trop courte de trois échellons; il fut pris sur le fait comme il voulait remonter pour la seconde fois, et renfermé plus étroitement qu'auparavant.

Bertoloni ayant apporté des lettres de faveur de la république de Venise, le sieur de Fresne le présenta au roi, qui entendit entièrement sa plainte, et commanda à M. le chancelier de lui faire justice. Le procès est instruit, Ange Bossa reçu partie, Bertoloni entendu en témoignage, et Fava, interrogé sur sa déposition, la reconnaît véritable: mais, ayant eu avis qu'on le jugeait, il se résolut de prévenir la honte de son supplice par un courage malheureux; et comme auparavant il avait deux ou trois fois manqué son coup, il s'avisa de faire en sorte qu'il n'y fallut plus retourner. Sa femme l'étant venu voir un samedi, il lui fit entendre qu'il desirait manger d'une certaine pâte à l'italienne qu'autrefois elle lui

avait déjà faite, et lui commanda, quand elle serait de retour en sa chambre, de faire de cette pâte et lui en apporter. Suivant ce commandement, le lendemain sa femme lui envoie par son fils ainé la páte qu'elle avait faite. Fava ayant reçu cette pâte, en rompt un morceau, et met dedans quantité d'arsenic qu'il s'était procuré, prend le poison et l'avale. Il prévoyait sa mort infailliblement, d'autant qu'il avait pris six fois plus de poison qu'il n'en fallait pour faire mourir un homme; et d'ailleurs il şavait bien qu'il ne rendrait pas ce poison comme les précédens, l'ayant exprès enfermé dans une pâte, afin qu'elle s'attachât à son estomac et y demeurât pour faire son effet. Sa femme arrive, il se plaint à elle de l'excès de son mal, dit qu'il va mourir sans déclarer qu'il fut empoisonné, lui dit adieu, donne par deux diverses fois la bénédiction à son fils, les renvoie tous deux au logis : aussitôt il demanda un prêtre ; un qui était prisonnier se présenta; mais il le refusa, et en voulut un autre : pendant que l'on en cherchait, le poison, qui était violent, commence son opération, presse Fava, et le tourmente extrêmement; alors il se fit ôter du lit où il était couché, et mettre sur une paillasse, où il dit qu'il voulait mourir, et y mourut effectivement peu 'de tems après, sans que le geolier ni les prisonniers sussent la cause de sa mort, et eussent le tems et le moyen d'y remédier.

Le lundi matin, 24 de mars, les juges, qui étaient assemblés pour le jugement du procès, sont avertis par le grand prévôt de la connétablie de la mort imprévuè de Fava; le corps est ouvert, le poison trouvé

dans l'estomac. Curateur créé au cadavre, information de la mort, la femme entendue, le procès fait et parfait an cadavre; sentence du même jour, par laquelle Fava accusé est déclaré duement atteint et convaincu d'avoir volé et dérobé à Ange Bossa, par faussetés et supposition de nom, qualités, écritures et cachets, neuf mille trois cents cinquante six ducats douze gros, monnaie de Venise, tant en diamans, perles, chaînes d'or, qu'en deniers comptans, en espèce de sequins d'or; de plus, d'avoir attenté à sa propre personne étant en prison, par incision de ses veines, et finalement le procès étant sur le bureau, s'être fait mourir par poison; et pour réparation de ces crimes, ordonné que son corps sera traîné, la face contre terre, à la voirie, par l'exécuteur de la haute justice; et là pendu par les pieds à une potence qui pour cet effet y sera mise et dressée.

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Qui m'empêche d'être tranquille;

Tout ce qu'on fait pour lui devient toujours facile;
La grande peine où je me voi,

C'est d'avoir cinq filles chez moi,
Dont la moins âgée est nubile;

Je dois les établir, et voudrais le pouvoir;
Mais à suivre Apollon on ne s'enrichit guère :
C'est, avec peu de bien, un terrible devoir
De se sentir pressé d'être cinq fois beau-père.

Quoi! cinq actes devant notaire,
Pour cinq filles qu'il faut pourvoir!
O ciel! peut-on jamais avoir
Opéra plus fâcheux à faire!

ACTE TRAGIQUE DE MUSSARD,

Et de sa concubine.

Presqu'au même tems que Fava, pour ses vols, s'empoisonnait à Paris, un acte tragique, digne de remarque, se passait en Picardie. Valerian Mussard, gentilhomme, qui durant ces derniers troubles s'était acquis de lá rẻputation, ayant querelle avec un gentilhomine de ses amis, le tue, La veuve étant venue se jeter aux pieds du roi, et lui demander justice de la supercherie dont avait usé Mussard pour le meurtre de son mari, il envoie la Morlière, lieutenant du prévôt de l'Hôte!, avec quelques archers, pour se saisir de Mussard, et l'amener à Paris pour lui faire son procès. Mussard se retire et s'enferme dans le château de Moyencourt. La Morlière le somme de venir trouver le roi, et d'obéir à son commandement; auquel il répond qu'il le reconnaissait pour un officier du roi, mais qu'il ne sortirait point de cette place, qu'il ne vit son abolition signée et scellée du grand sceau, ou que les sieurs de Créqui et de Saux ne lui donnassent leur foi qu'il l'obtiendrait. La Morlière à ce refus demande main-forte aux garnisons d'Amiens, Péronne et Noyon. Dès qu'il l'a reçue, il veut forcer Moyencourt. Mussard, qui n'avait avec lui qu'une belle

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