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satire fut critiquée, et il m'a pris envie de mettre notre critique sur le papier pour vous l'envoyer; c'est une bagatelle qui vous pourra servir d'amusement pendant une demi-heure, et à moi pendant les deux ou trois jours que je suis obligé de m'arrêter ici; cela seul, à la vérité, n'aurait pas suffi pour me faire amuser si longtems à une critique qui est une espèce d'ouvrage dont je ne fais pas grand cas, et dont vous ne vous soucierez pas non plus; aussi se rencontre-t-il d'autres circonstances qui me déterminent à ce que je fais; celle-ci surtout, qui s'y trouve, c'est quelque chose contre le bel esprit, dont il est bon qu'on fasse voir souvent et de plus d'une manière le faux et le ridicule. J'avoue même que sur ce sujet ce serait un petit divertissement pour moi, que j'entreprendrais de gaîté de cœur et sans que per-` sonne m'eût rien proposé là-dessus. S'il est vrai que nous ne puissions avoir de l'esprit, comme ces messieurs semblent le vouloir supposer, ils doivent s'attendre à nous voir prendre le parti que d'ordinaire l'on prend dans ces rencontres, et que jadis les philosophes prirent sur les richesses: faire profession de mépriser ce qui nous manque, soutenir que c'est une chose pernicieuse, et surtout crier contre ceux qui en ont. Je mets ici la satire, parce qu'elle fut toute parcourue, et que vous pourrez mieux juger si j'ai raison ou si j'ai tort.

Qui frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris?
Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris?
Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières,

Voici, dès l'entrée, d'horribles exclamations, elles ne

s'adressent pas moins à Dieu qu'au Diable; devinez, monsieur, sur quoi mène ce terrible début! Voici la chûte :

Rassemble ici les chats de toutes les gouttières,

Jupiter, Hercule, que faites-vous de vos foudres et de votre massue? disait l'homme de la fable qu'une puce avait mordu, et qui croyait toute la Providence intéressée à le venger.

J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi,

Je

pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi.

J'ai beau m'effrayer, j'ai beau sauter du lit, les chats ne laissent pas de crier; quoique je me lève, le bruit ne cesse point cela est d'une grande justesse, et se soutient de quelque côté qu'on le tourne.

L'un miaule, en grondant, comme un tigre en furie,
L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie.

Ces chats-là ressemblent assez aux nôtres, et il n'y a rien qui ne se trouve partout ailleurs aussi bien qu'à Paris; mais ce n'est pas tout.

Ce n'est pas tout encor, les souris et les rats,
Semblent,
t, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats,

C'est encore tout comme chez nous; à tout cela on ne

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reconnait ni une grande ville, ni un grand poëte : ce n'est jusques ici ni Paris, ni Boileau.

Plus importun pour moi, durant la nuit obscure,
Que jamais, en plein jour, ne fut l'abbé de Pure.

Ou je me trompe bien, ou voilà de l'esprit ; cependant ce premier vers est languissant et fade, et ce second fait venir là un abbé à propos de souris qui est entièrement hors de sa place. Ce trait d'esprit, à le considérer de près, se trouve une pensée puérile, qui ne vaut que par sa malignité; mais je doute que cette licence de nommer les gens par leur nom, et de les tourner en ridicule, soit du goût des honnêtes gens, et je trouve qu'elle ne s'accorde pas avec la politesse dont ces messieurs se piquent; à quoi on peut ajouter que ce poëte, par cette imitation des Latins, confond des tems et des peuples tout-à-fait différens. Rien n'était vilain chez les Latins, on s'y servait sans façon des mots les plus obscènes, de même on y nommait les gens sans façon. Ce ne sont pas là les manières d'aujourd'hui, et surtout il semble que ces hardiesses ne conviennent pas ⚫ à la langue française, elle est chaste et timide jusques à l'excès, beaucoup n'oseraient s'y prononcer; et, selon le nom d'une personne a mauvaise grace dans une

moi,

satire.

Tout conspire à-la-fois à troubler mon repos,
Et je me plains ici du moindre de mes maux.

C'est-à-dire que nous allons ouïr des choses plus ter

Fibles que celles qui lui ont fait croire tout l'enfer chez lui.

Car à peine les coqs, commençant leur ramage,
Auront de cris aigus frappé le voisinage,

Je n'aurais jamais crus que cris aigus fussent ramage; mais je n'ai garde de disputer à un académicien la signification d'un mot français.

Qu'un affreux serrurier, que le ciel, en courroux,
A fait, pour mes péchés, trop voisin de chez nous,

Voilà un petit effet de ce couroux du ciel; que ne sort-il de ce voisinage? Lorsque l'on peut aisément se garantir d'un mal, ce n'est pas le ciel en colère qui l'envoie au reste, cela se peut dire de la moindre petite ville, et d'un village même aussi bien que de Paris, et mieux encore, puisqu'il est parlé des cris de coqs,. qu'on entend plus ordinairement à la campagne.

:

Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprête,
De cent coups de marteau me va fendre la tête.

Que veut-il dire? Est-ce avec un fer ou cent coups. de marteau qu'on lui fend la tête? la lui fend-on, ou la lui veut-on fendre? Voici ce qu'en France l'on ap¬ pelle communément de l'esprit et du brillant, et que nous appellons grossièrement galimathias.

J'entends déjà partout les charrettes courir,
Les maçons travailler, les boutiques s'ouvrir

J'en suis bien aise, voilà deux vers naturels qui peignent Paris, et qui donnent l'idée de ce qui se passe à la pointe du jour c'est bon sens, et non esprit, et c'est de là qu'ils sont bons. Il y a un peu plus d'esprit dans ceux qui suivent, et ils valent un peu moins.

Tandis que dans les airs mille cloches émues,
D'un funèbre concert font retentir les nues;

Ces vers ne sont pas méchans; je suis pourtant persuadé que tout homme qui a du goût leur préférera les deux qui précèdent mais voici de l'esprit qui suit, et du plus fin; pour du bon sens, il n'y en a point du tout j'en suis fàché, c'est à mon sens retourner trop vite à blâmer.

Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents,
Pour honorer les morts, font mourir les vivans.

Paris n'est pas autrement dans un climat de grêle et de vents, il ne fallait pas faire entrer des choses si rares dans une satire, où il s'agit des incommodités ordinaires et particulières à cette ville; mais quand il grêlerait plus souvent, le bruit des cloches est un petit inconvénient au prix d'un grand orage, cependant c'est ce petit bruit qui fait ici ce grand mal. La vérité est qu'il fallait une rime à vivans; les vents sont bons à cela. Voilà la véritable origine de cette tempête, qui est d'autant moins à sa place ici, qu'on ne prend guère ce tems pour entérer les morts.

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