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eux, la remarquèrent avec chagrin. Quoi! tous les deux, disaient-elles, se sont laissé prendre aux charmes de cette nouvelle venue? ce que nous avons tâché inutilement de faire pendant six mois, elle l'aurà fait en un jour. Le trait est noir, impardonnable; mais il ne sera pas dit que sa conquête ne lui sera pas disputée; nous verrons si la simplicité de cette Agnès l'emportera sur notre expérience, et si leurs cœurs nous échapperont. Ils n'entendaient rien de ces discours, et ne se souciaient pas beaucoup de les entendre. Cependant la comtesse de Montmirel, se débarrassant des voiles qui l'ensevelissaient, arrêta ses regards deux ou trois fois sur Wolsey, qui, occupé de sa fille seule, ne songeait guère à elle. Ces regards n'échappèrent pas à Park; il fut charmé que madame de Montmirel fût éprise de son ami : cette découverte lui fit concevoir de merveilleuses espérances. Wolsey, disait-il, deviendra peut-être amoureux de la mere, qui mérite encore les vœux d'un galant homme, et me laissera le champ libre auprès de la fille, ou bien nous nous servirons de sa prévention pour nous proeurer de l'accès chez elle. Pendant qu'il faisait ces réflexions, et que son ami, ravi en extase, lorgnait mademoiselle de Montmirel de toute sa force, la mère et la fille sortirent plutôt qu'ils n'auraient voulu, Un fidèle valet, qu'ils avaient, fut détaché pour les suivre, afin d'apprendre leur nom et leur demeure, et venir leur en rendre un compte exact. Le message fut court et heureux: ils surent qu'elles demeuraient dans une petite rue auprès du Palais. C'est quelque chose, dit Wolsey, de savoir qui est celle que nous aimons; mais, si elle est si retirée,

irons-nous forcer sa maison pour la voir et pour lui parler? l'expédient serait prompt, mais il serait un peu

violent.

Je sais, répondit Park, un moyen plus doux pour nous y introduire je suis fort trompé si madame de Montmirel ne serait pas un peu tentée de se relâcher de l'austérité de son veuvage en ta faveur pour peu que tu voulusses cultiver les bonnes dispositions où je la vois pour toi, rien ne serait plus facile que de t'en faire écouter. Plaire à la mère, n'est pas un petit avantage quand on aime la fille. Si bien donc, interrompit Wolsey, que tu voudrais que je fisse les yeux doux à madame de Montmirel, et que j'en devinsse amoureux? ah! parbleu c'en est trop; non content que j'aie souffert que tu entrasses en concurrence avec moi pour la fille, tu prétends encore me donner une entière exclusion? cela n'ira pas de mêine, je t'en assure; j'y mettrai ordre : Park, ce n'est pas là le moyen d'être long-tems amis. Mon Dieu, répondit-il, que tu prends mal les choses! Qui te parles d'être amoureux de madame de Montmirel et de renoncer à sa fille? Je te dis d'avoir quelques complaisances pour elle, de gagner sa confiance; en un mot, d'aller à la fille par la mère; c'est une ouverture que je te donne en ami et en homme désintéressé : tu te cabres mal-à-propos, tant pis pour toi veux-tu que nous nous brouillions? j'y consens. Diable, reprit Wolsey, que tu es vif! Eh bien, pour que tu n'aies rien à me reprocher, je veux suivre tes conseils, et dès la première occasion je me mets au rang des adorateurs de madame de Montmirel. J'en vais faire le passionné et le jaloux, supposé que j'aie à disputer son cœur avec quelqu'un ;

mais si j'allais prendre du goût pour elle, tu m'avertiras que je me trompe, et que c'est de sa fille et non pas d'elle que je dois être amoureux; sans cette clause, marché nul.

Ils furent quelque tems sans pouvoir exécuter leur projet. Madame de Montmirel fut obligée de garder la chambre pour quelque légère indisposition. Mademoiselle sa fille lui tenait compagnie tout le jour; ainsi ils en passèrent quatre ou cinq sans la voir. Il était vrai que la tendre comtesse avait rendu justice au mérite de Wolsey, et qu'elle avait pris du goût pour lui; l'impatience de fortifier ce goût, en le voyant encore, hâta sa guérison.

Park s'impatientait de la longue disparition de mademoiselle de Montmirel. Wolsey en était au désespoir. Vainement ils rodaient du matin jusqu'au soir autour de sa maison les fenêtres ne donnaient point sur la rue; la porte en était toujours fermée; mademoiselle de Montmirel était invisible. Vainement ils tâchaient de se consoler l'un l'autre : leurs mutuelles consolations étaient mutuellement inutiles. Qu'est devenu ton enjouement? demandait Park à Wolsey, toi qui parlais comme quatre, qui riais, pour ainsi dire, de rien, te voilà plus sérieux qu'un ministre d'état ; à peine dis-tu deux paroles dans toute une journée. Mais toi, répondit Wolsey, crois-tu mieux valoir? tu n'étais que sérieux autrefois, à présent tu es si sombre et si mélancolique qu'il n'y a pas moyen d'y tenir. C'est que je sùis amoureux, disait Park. C'est que je le suis aussi, disait Wolsey.

Ils n'avaient pas trop de tort de se reprocher leur métamorphose; car, cn vérité, ils étaient tout différens

d'eux-mêmes. Plus de promenades, plus de jeux, plus de chasse, plus de parties de plaisir : ils ne songeaient qu'à leur amour. Les premiers momens d'une passion naissante sont tumultueux; il n'y a gaiete qui tienne. Quand le cœur est dérangé, l'hun.eur l'est aussi.

Tandis qu'ils traînent leur languissante vie, partagée entre les soupirs, la rêverie, les inquiétudes et l'impatience; tandis qu'ils sentent le plus de dégoût pour les choses qui leur étaient les plus agréables, il se fit une fête chez une dame de leur connaissance; ils y allèrent, parce que, ne se trouvant bien nulle part, ils crurent qu'ils n'y seraient pas plus mal que chez

eux.

Les malheurs publics n'interrompent point les divertissemens particuliers; ils en retranchent le faste; mais ils n'en ôtent point l'agrément. On joue à la vérité plus petit jeu, on se régale avec moins de profusion; mais on ne laisse pas de jouer et de se régaler.

La fête commença par un concert; la musique fut assez bonne pour le tems, quoique je m'imagine que ce ne fut pas grand'chose.

Pendant ce concert, Wolsey se trouva auprès d'une dame à qui Park n'était pas indifférent; elle l'attaqua de conversation, et lui fit plusieurs demandes, auxquelles le distrait Anglais répondit très-laconiquement. Qu'avezvoys? lui dit-elle, je vous trouve tout autre qu'à votre ordinaire. Je n'ai rien, madame, dit Wolsey. La musique rend sérieux, mais elle ne rend pas sombre et mélancolique comme vous êtes; vous avez des chagrins

particuliers, dont vous me faites mystère.

Pardonnezmoi, madame, mais on ne peut pas toujours rire, les hommes seraient trop heureux, s'ils pouvaient en tout tems avoir la même égalité d'humeur et d'esprit. Vous direz tout ce qu'il vous plaira, répliqua-t-elle; je veux être de vos amies malgré vous, et savoir ce qui vous fait de la peine; je ne suis peut-être pas d'un si mauvais conseil, que vous ne vous trouviez bien de m'avoir consultée Eh bien? madame, puisque vous le voulez savoir, je suis amoureux. Vous, amoureux! interrompit-elle : et de qui, et où? En France, à Paris, répondit Wolsey, et d'une jeune personne qu'on appelle mademoiselle de Montmirel. Et cette jeune personne vous maltraite, dit la dame? Non pas, reprit-il; ce qui me chagrine, c'est que je n'ai point d'habitude auprès de la comtesse, sa mère; qu'à peine sais-je où elle demeure, et que je ne vois pas quand et comment je pourrai lui déclarer que je l'adore. Mais, dit la dame, parlez-vous sérieusement? La chose me paraît nouvelle, et je ne me serais pas attendue à une semblable confidence: vous, amoureux ! cela n'est pas possible. Possible ou non, répondit Wolsey, qui commençait à s'échauffer, il n'y a pourtant rien de plus vrai. Cela étant, répartit la dame, ne vous affligez point; madame de Montmirel est de mes bonnes amies, je m'offre de vous rendre près d'elle tous les services qui dependront de moi; mais à charge de revanche, et que ce que je ferai pour vous auprès de madame de Montmirel, vous le ferez pour moi auprès de Park; je l'aime, et l'insensible jusqu'ici n'a pas daigné s'en apercevoir. Auprès de Park, dit Wolsey? cela n'est pas dans les conventions que nous avons faites ensemble. Com

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