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nelle. Ainsi, par exemple, de même qu'il perçoit que dans l'idée d'un triangle est nécessairement contenue celle de trois angles égaux à deux droits, et que par suite il se persuade qu'en effet le triangle a trois angles égaux à deux droits; de même, de cela seul qu'il perçoit qu'une existence nécessaire et éternelle est contenue dans l'idée d'un être souverainement parfait, il en conclut rigoureusement que cet être souverainement parfait existe. »

Il est inutile de poursuivre plus loin la traduction des principes de la philosophie. Quelques mots suffiront pour achever d'en faire apercevoir l'économie. Nous venons de voir que Descartes, du cogito, ergò sum, s'élève aux idées innées, et de là à l'idée Dieu. C'est cette dernière qui à ses yeux prouve définitivement tout. Il est impossible, dit-il, que Dieu veuille me tromper, et il conclut de là « que tout objet qu'il nous est possible d'atteindre, soit par les lumières naturelles (lumen naturæ), soit par la faculté de connaître que nous avons reçue, que cet objet est vrai, en tant cependant que nous l'aurons atteint, c'est-à-dire perçu clairement et distinctement. Ainsi l'existence des objets extérieurs correspondant aux perceptions de l'àme, n'a d'autre démonstration, dans la doctrine de Descartes, que la pensée de la bonté de l'être souverain. Dieu, en définitive, est le dernier

argument de la certitude cartésienne, comme dans les conceptions de Kant et de Cousin, le subjectif est la preuve de l'objectif.

Nous ne nous arrêterons point à la critique de cette théorie compliquée de la certitude, qui donne pour criterium quelque chose qui ne lui ressemble pas, c'est-à-dire le doute méthodique. Il est inutile de prouver qu'elle appartient à l'ordre scientifique, qu'elle est inapplicable dans la pratique de la vie, comme le remarque l'auteur lui-même; qu'elle ne nous explique ni le langage, ni la société, etc. Au reste, Descartes ne paraît avoir été conduit à dresser cet argument de certitude que dans un but de réformation scientifique, et sans doute aussi pour répondre à l'esprit de certitude individuelle que le protestantisme avait engendré. Il adressait à ses contemporains un argument ad hominem. Il réserve donc complétement les questions de foi; sous ce rapport il se soumet à l'Eglise, et par suite accepte le criterium des théologiens catholiques. déclare enfin que les erreurs viennent I du mauvais usage que nous faisons de notre libre arbitre, et non des facultés de connaître qui nous ont été données, et qui sont aussi parfaites qu'il était nécessaire.

Nous terminerons ce paragraphe par l'exposition sommaire de la doctrine sur la certitude proposée par M. F. de La Mennais. C'est le sys

tème le plus moderne de ceux que nous avons examinés; c'est aussi celui dont la fortune fut la plus rapide et la ruine la plus prompte. Nous n'avons point ici à nous occuper des causes qui, après avoir donné à cette théorie la faveur d'un public nombreux et d'élite, l'en privèrent ensuite tout d'un coup. Ces causes sont étrangères à la philosophie. En ce lieu, nous devons parler des choses contemporaines comme si nous n'étions pas de notre temps; nous devons rester libre de toute préoccupation; et, quelque sympathie que nous éprouvions pour les malheurs de l'homme dont nous allons parler, quelle que soit notre admiration pour son beau talent, il nous faut oublier qu'il vit et qu'il souffre peut-être à côté de nous, et ne plus voir qu'un système soumis à notre critique (1).

Les mots de vérité et d'erreur, disait M. de La Mennais, existent dans le langage humain : les hommes rangent leurs pensées sous l'une ou l'autre de ces deux catégories. Mais que signi

(1) Nous avons hésité un moment, entre notre devoir de critique et la crainte d'affliger un homme qui a rendu de grands services et dont les erreurs, jusqu'à ce jour, n'ont été nuisibles qu'à lui-même. Nous ne pouvons oublier qu'il a combattu les plus redoutables ennemis de la religion, l'éclectisme et le panthéisme, et que comme nous, il a défendu la cause du pauvre et de l'opprimé. Pourquoi ce courageux soldat a-t-il été si ardent, ou pourquoi n'a-t-il pas été plus soumis?

fient ces mots? qu'appellerons-nous vérité ou erreur? Il ne s'agit pas en ce moment de savoir ce qu'est la vérité en elle-même, de la définir par son essence, mais simplement de savoir ce qu'elle est par rapport à nous, de définir le sens que nous sommes obligés d'attacher à ce mot, sous peine de ne pouvoir affirmer d'aucune chose qu'elle est vraie relativement à la raison humaine. La vérité, par rapport à l'homme, ne pouvant être ce que l'esprit humain repousse, nous sommes forcés, pour nous entendre, d'appeler vérité ce à quoi l'esprit humain adhère. Mais alors dirons-nous que la vérité est ce à quoi l'esprit de chaque individu adhère? Si nous admettons cette définition, qu'en résultera-t-il? Comme il arrive souvent que l'esprit d'un individu adhère successivement à des propositions contradictoires, et que d'ailleurs l'un affirmant ce que l'autre nie, leurs adhésions sont non seulement diverses, mais diamétralement opposées, la vérité serait quelque chose de mobile et de variable; dès lors on ne pourrait affirmer de quoi que ce soit que cela est vrai relativement à la raison humaine, et le scepticisme serait l'état naturel de l'homme. Donc, à moins d'être sceptique, nous devons renoncer à notre première définition de la vérité et en trouver une autre. Or, l'adhésion individuelle mise à part, que reste-t-il, sinon l'adhésion commune? En consé

quence, appelons vérité ce à quoi l'esprit de la généralité des hommes adhère partout et toujours, et voyons ce qui en résultera. Les inconvéniens qui nous ont obligés d'abandonner notre première définition, n'existent pas ici, puisqu'au lieu de ces adhésions variables et opposées, qui nous présentaient la vérité comme variable ellemême, nous nous attachons précisément à ce qu'il y a de commun et d'invariable dans les pensées humaines. Ainsi, nous sommes placés dans l'alternative ou de tomber dans le scepticisme, si nous nous en tenons à l'adhésion individuelle, ou de prendre pour base l'adhésion commune qui seule nous offre le caractère d'unité et de fixité qui correspond à la notion propre du vrai (1). »

La doctrine, dont on vient de lire l'argument général, a reçu le nom de doctrine du sens commun, du consentement universel ou de l'autorité universelle. Elle pose en principe, comme on l'a vu, que ce que l'universalité des hommes croit invinciblement être vrai, est vrai, relativement à la raison humaine, et doit être tenu pour certain; car, si la raison universelle, si la raison humaine pouvait se tromper, il n'existerait pour l'homme ni vérité, ni certitude. En conséquence il n'est permis à personne de se

(1) Sommaire d'un système des connaissances humaines.

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