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poir de découvrir le secret de la certitude universelle, ou doutant même qu'il pût en exister une semblable pour les hommes, ils ont essayé de la remplacer en fixant quelle était la certitude particulière de chaque spécialité; car, ils ont cru reconnaître que chaque sujet particulier avait un criterium qui méritait confiance tant qu'on ne le transportait pas hors de l'ordre de questions auxquelles il paraissait approprié. C'est cette opinion qui a dicté les traités de logique de Port-Royal et de Lyon (1) et fondé l'enseignement que nous avons vu; mais il s'est trouvé que ces criterium spéciaux, non seulement n'étaient point à l'abri de toute critique, mais encore qu'ils trompaient souvent. Ils étaient d'ailleurs au dessous d'une multitude de questions. Ainsi, cette méthode artificielle de certitude a encore été insuffisante et les insuccès éprouvés ont laissé à nu dans la science une plaie que l'on ne pourra fermer avant d'avoir découvert le criterium véritable.

Nous croyons fermement avoir trouvé ce criterium de la certitude; mais c'est une idée si nouvelle et si simple en même temps, qu'avant d'en entreprendre l'exposition directe, nous croyons nécessaire de présenter quelques observations préliminaires, soit pour donner à nos

(1) Voyez t. I, p. 565.

lecteurs le même coup d'œil que nous en ces matières, soit pour faire apercevoir la convenance et la portée d'une conception que l'on examinerait peut-être sans une attention suffisante si on la présentait tout d'un coup et sans préambule aucun.

Nous ferons donc remarquer d'abord qu'au milieu des malheurs et des insuccès qui n'ont manqué à aucune des espérances que l'on avait fondées sur les diverses certitudes proposées, personne ne s'est demandé en vertu de quoi l'on jugeait que l'un des criterium fût sans certitude, ou que l'un de ses produits fût faux. Personne n'a pensé à chercher si ce quid avec lequel on prononçait sur la valeur du criterium et de ses produits, si ce quid n'était point quelque chose qui approchât de la certitude, et ce que c'était. Il était bien évident, en effet, que les divers moyens de certitude proposés n'avaient pas été jugés les uns par les autres, de telle sorte que l'on pût dire qu'ils s'étaient détruits les uns les autres. L'histoire nous apprend que ces moyens n'ont pas tous été trouvés en même temps, mais successivement dans l'ordre des temps; elle nous apprend de plus que toujours l'un de ces moyens fut cherché et trouvé long-temps après que l'on s'était manifestement prouvé que le criterium précédent était insuffisant ou stérile. Il ne faut pas remonter bien loin dans le passé pour aper

cevoir ce fait; ainsi c'est parce que l'aristotélisme était reconnu improductif et erroné, que Descartes invoqua le doute méthodique; c'est parce que celui-ci était insuffisant, que le sensualisme eut des chances; et c'est par une raison semblable, à l'égard de ce dernier, que vint l'éclectisme. C'était donc de quelque autre chose que de l'invention d'un criterium nouveau qu'était résultée la négation des criterium antérieurs. Or, qu'était ce quelque autre chose? Était-ce la science? Non, car elle ne pouvait se juger elle-même; l'erreur ne peut pas montrer l'erreur; l'identité ne peut pas juger l'identité.

Pour découvrir la cause de ces négations répétées et trouver cette force inconnue plus certaine que toutes les certitudes proclamées, cette force qui agissait sans se montrer, il nous semble qu'il était tout simple de supposer qu'elle émanait de quelque autre connaissance, non pas l'égale de la science, non pas semblable à la science, car entre des choses égales ou semblables il ne peut jamais y avoir plus qu'une équation dont le résultat, quant à la solution qui nous occupe, serait le doute et non une décision affirmative quelconque. Cependant personne encore n'a fait cette réflexion. On a toujours cherché uniformément le criterium de la certitude, soit dans la science, soit dans les moyens de la science, c'est-à-dire, soit dans quelque

connaissance ontologique, soit dans les facultés mêmes auxquelles on attribuait ces connaissances, telles, par exemple, que les idées archétypes de Platon, les idées innées de Descartes, la conscience, les sens, le raisonnement, le consentement universel, etc.

Nous ne répéterons pas ici les objections vulgaires que l'on a opposées à ces divers criterium; nous ne rappellerons pas que l'on a objecté avec raison, à l'occasion de chacun d'eux, qu'il était inapplicable au plus grand nombre de questions, qu'il était incertain, variable, hypothétique, individuel, etc.; nous ferons seulement remarquer qu'il est impossible, en bonne logique, d'admettre que la certitude réside jamais dans un moyen. En effet, un moyen est toujours quelque chose d'approprié à un but, par suite dépendant de ce but, vrai s'il s'y rapporte ou y tend complétement, faux s'il ne s'y rapporte ou n'y tend qu'imparfaitement. On juge le moyen par le but ou plutôt par plutôt par la convenance qu'il présente avec celui-ci. La certitude donc réside plutôt dans le but que dans le moyen; le criterium qui juge le moyen, est déduit du but, et non de toute autre part.

Si nous appliquons ce raisonnement pour voir à quel point la science est une source de certitude, nous trouverons que certainement le criterium universel ne réside point en elle. En effet,

la science n'est point à elle-même son propre but; elle ne représente autre chose, quant à l'humanité, que les facultés appelées du nom de raisonnement dans l'homme individuel, c'est-àdire un mode d'activité dirigé en vue d'une certaine fin, en un mot, un moyen ou un instrument pour atteindre un but. Et si la science, parce qu'elle n'est qu'un moyen, ne peut en aucun cas fournir le criterium universel, à plus forte raison en est-il ainsi des moyens mêmes de cette science dont nous parlions tout à l'heure, c'està-dire du raisonnement, des sens, des aptitudes, de la conscience, etc. De quelque part même que viennent ces derniers moyens, qu'ils soient un effet du travail des hommes, ou un don du Créateur, ils ne renferment pas davantage le criterium dont nous nous occupons. En effet, dans le premier cas, ils ne contiennent en eux d'autre certitude que celle de la coaptation au but qu'on s'est proposé en se les faisant. Dans le second cas, il faudrait remarquer que ces dons de Dieu, bien qu'attachés à la nature humaine, ou innés comme on le dit, n'entravent point notre liberté, et que par conséquent ils ne sont point absolus, concluant rigoureusement, invinciblement, nécessairement, ainsi qu'ils le feraient si en eux résidait le criterium de la certitude. Ces moyens ne nous empêchent point de nous tromper; donc de quelque part qu'ils vien

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