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flement sonore : ce doit être le maître-chanteur de Maracon en train d'officier.

Dimanche, 21 juillet.

Vers les 2 heures, dans la cabane obscure encore, quelqu'un s'ébroue. Un autre éternue bruyamment. D'autres bâillent et s'étirent longuement. C'est l'heure du lever, et j'avoue tout de suite que les 25 compagnons la saluent sans enthousiasme.

La nuit n'a pas déjà été si malleuse et l'on ne se sent pas tout à fait remis des fatigues de la veille. Cependant, Justin et Séraphin, plus leur gendre, le garibaldien à la chemise rouge, s'affairent autour du fourneau. Le bois sec s'allume; la flamme agile lèche les casseroles pleines d'un chocolat odorant. On entend aussi les derniers ronflements des dormeurs attardés et les soupirs pitoyables des sybarites qui ne peuvent se décider à sortir de leurs couvertures. Petit à petit cette opération toujours pénible est tout de même terminée. Comme on peut, on « expédie >> le susdit chocolat et les miches de pain apportées hier à dos d'homme. Faute de place à l'intérieur, les retardataires s'en vont casser la croûte dehors où le thermomètre marque encore au-dessous de zéro. Puis les cordées s'organisent à la lueur parcimonieuse d'une lanterne par cinq hommes. Ça ne va pas tout seul. Justin grogne entre ses dents et Séraphin s'empêtre dans son filin.

Rien de plus pittoresque que de voir, dans la nuit calme et presque sombre, défiler les cinq caravanes par les vallonnements du glacier. Le ciel, où l'aube ne blanchit pas encore, est piqué d'étoiles pâlottes, et là tout près, semble-t-il, le Grand-Combin étage

ses terrasses formidables de neige et de glace. Vers les 4 heures, le jour pointe, et c'est sur le désert alpestre la magie toujours nouvelle et splendide du lever du soleil. Colorations délicatement nuancées ; jeux de lumière merveilleux. Les plus blasés contemplent avec émotion.

Insensiblement on s'élève. Franchis, les premiers névés aux pentes raides. Tout le monde se sent de nouveau «< dans le mouvement » et ne demande qu'à attaquer la grande arête rocheuse, longue d'une bonne heure et demie qui va nous amener au sommet. C'est une escalade continue par une série de vires, une superposition de blocs de rocher, voire de courtes cheminées, facile, trop facile pour les grimpeurs exercés que nous sommes. De temps en temps on s'arrête pour souffler. L'ineffable Séraphin rallume son brûle-gueule éternellement collé au coin de ses vieilles gencives, cependant qu'un affamé croque à la dérobée une plaquette de chocolat ou qu'un assoiffé donne une accolade à sa gourde. C'est qu'il fait bon maintenant au soleil. La température est brusquement remontée et, vers les 7 h. %, on ne se croirait guère à l'altitude de 3700 mètres au-dessus de la

mer.

Les haltes sont fréquentes. Nous ne sommes point en retard sur le programme et pas trop pressés d'arriver. Par contre, une chose nous ennuie que nous aimerions voir au diable: c'est la corde qui ne fait que nous embarrasser et faciliter les accrocs. Mais nos deux Bagnards entêtés en ont décidé ainsi force nous est de respecter la discipline. L'antimilitarisme ne nous a point encore contaminés au point de nous révolter contre nos guides, si peu prestigieux semblent-ils. A 8 heures précises, la première cordée

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débouche au point culminant. Un quart d'heure plus tard tout le monde s'y trouvait réuni. Cette fois, la corde est lâchée, et chacun cherche une place où se mettre à l'aise. Sensation exquise et complexe que celle de l'arrivée au sommet. Il s'y mêle un sentiment de contentement de soi, celui de l'effort soutenu et de la difficulté vaincue, la joie de fouler aux pieds la cime aperçue, la veille, si lointaine, le plaisir enfin de déposer le sac dont les courroies finissaient par nous limer les épaules et de s'étaler de tout son long, libre de tout souci, devant le plus splendide panorama qui soit, planant en plein azur au milieu des sommets les plus grandioses, perdu, et cependant dominant l'immense réseau de montagnes qui écrase de sa masse tourmentée l'écorce frêle de la planète.

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La descente. Même arête de rochers en obliquant sur la droite. Attaque du glacier qui file en pente raide. Traversée dans la neige fondante. Passage d'un petit col dont Justin et Séraphin ignorent le nom, mais qui doit être le col de Panosseyre. Débouché sur le glacier de Boveyre, traversé dans le haut jusqu'à un autre col encore plus ignoré, mais qui doit être celui que le programme mentionne <«< entre le Ritord et le Mérignier.» Dix minutes d'arrêt. Buffet. On admire encore le paysage neigeux que l'on va quittér, hélas, après une trop courte villégiature. On casse une croûte il n'est pas loin de midi. On cherche un passage praticable pour atteindre les chalets de Plan Modzo, aperçus tout au fond à nos pieds. Mais il n'y a guère, en fait de passages, que des couloirs rapides et rocailleux dont il faut bien se contenter faute de mieux. Les plus hardis risquent des glissades jusqu'au bas du pierrier

et rament sur leur fond de culotte. Toute la troupe s'éparpille le long des blocs et des névés. Les traînards que l'âge, le ventre ou la prudence alourdit débouchent à Plan Modzo plus d'une demi-heure après l'avant-garde.

A Plan Modzo, nouvelle dispersion. Chacun sent le besoin de prendre une allure personnelle. Nouvelle discussion sur le chemin à suivre. Justin et Séraphin continuent à n'en rien savoir, et ils risquent de nous embarquer sur un sentier tout à fait inconfortable. Après consultation de la carte Siegfried, la majorité opine pour tenir la gauche du torrent que l'on traversera plus loin. Ces savantes déductions se trouvent justifiées et Justin et Séraphin sont confus. De dépit, ils en fument une quatorzième pipe. Après moult circuits dans un pays peu boisé et où le soleil tape assez dur, le sentier débouche sur la route du Grand Saint-Bernard. Liddes est à quinze minutes de là. C'est la dernière étape de la journée. C'est aussi là que doit avoir lieu le diner officiel de la

section.

De ce dîner, je ne vous dirai rien non plus, sinon qu'il ressembla à tous les repas de fin de course; qu'il fut agrémenté par un appétit largement ouvert, de délectables crûs du Valais, et que la tablée rédigea, sous forme de carte postale couverte d'illustres signatures, une adresse au vénérable Jules Centurier empêché par indisposition de diriger la cara

vane.

A 5 heures, entassement des clubistes dans une vaste carriole qui va nous mener bon train à la gare de Martigny. Adieux émus aux frères Bessard. Départ dans les claquements de fouet et la poussière. Sommeil interrompu par les cahots de la voi

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