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pouvoir avancer, n'ayant jamais fait de semblables efforts. Que faire ? Cette question se pose pour la seconde fois. Les appels au secours qui nous parviennent à ce moment décisif, nous touchent au cœur, et décident M. Perruchoud à reprendre courageusement son chemin. Nous nous arrêtons quelques minutes pour recommencer bientôt à patauger vers notre but que nous ne manquerons pas cette fois-ci.

Les crevasses, qui sont légion en cet endroit du glacier, ne nous préoccupent pas. Au bout d'une demi-heure, Perruchoud n'en peut décidément plus. Il faut faire une halte prolongée et forcée. Nous étendons deux couvertures sur la neige et nous nous couchons dessus en nous couvrant avec les deux qui restent. Combien de temps sommes-nous restés là ! je ne sais pas au juste, mais tout à coup, nous nous levons et continuons notre chemin.

Enfin, le 20 juillet, vers quatre heures du matin, nous trouvons Comtesse et Du Pasquier au pied du Trugberg. Mais en quel état! Ils avaient, par un temps abominable, passé trois nuits sans abri et presque sans nourriture. Nous leur donnons tout de suite des œufs débattus dans du cognac chaud. Ils absorbent ce cordial par petites gorgées. Ils ne sont plus capables de se servir eux-mêmes et nous devons les alimenter comme des petits enfants. Je n'essaie pas de vous décrire ce tableau; je vous dirai seulement que Du Pasquier avait, pendant l'après-midi du jour précédent, creusé un trou dans le gravier. C'est là que Comtesse était couché, les souliers enlevés, le contenu des sacs dispersé autour de lui; la corde, des livres, des gourdes, de la nourriture, enfin tout ce que peut contenir un sac de touriste, épars ça et là.

Qui êtes-vous? Telle est leur première question.

Quant à nous, nous leur demandons des nouvelles de M. de Rougemont.

lci, je laisse la parole à MM. Comtesse et du Pasquier; je répéterai leur récit aussi fidèlement que possible.

<«<Lorsque vous nous avez quittés, avant-hier à midi, M. de Rougemont ne s'occupa bientôt plus de nous et ne proféra plus une parole. Quelques minutes après une heure de l'après-midi, il se leva subitement, essayant de chercher des prises, comme s'il se trou vait dans les rochers d'une paroi dangereuse. Il prononça quelques paroles confuses, parlant de son cœur, de ses bien-aimés. Tout à coup il tomba dans la neige, le visage en avant. Il était une heure 20 minutes...J. de Rougemont n'était plus! Je lui sermai les paupières, dit Comtesse d'une voix étranglée ; puis, comprenant que nous étions de trop dans ce lieu de tristesse, nous partîmes après avoir planté un piolet à côté du corps pour marquer la place. Nous suivimes vos traces jusqu'à ce que le vent les eût balayées et, après une marche interminable, de.combien d'heures? nous ne le savons pas exactement, nous tirons à gauche dans les rochers où vous venez de nous trouver. >>

Du Pasquier nous raconte que Comtesse n'avait absolument rien avalé depuis un jour et demi, tandis que lui, mangeait tout ce qui lui tombait sous la main, même du Maggi cru! Comtesse n'épargne pas les éloges à Du Pasquier qui, dit-il avec émotion, a dépensé à mon profit jusqu'à ses dernières forces. Je reprends ici mon récit personnel.

Les minutes sont précieuses. et il nous faut songer au retour. Comtesse est chargé sur le traîneau avec tous les effets, tandis que Du Pasquier, dont j'admire l'endurance, veut aller à pied pour se réchauffer.

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LA JUNGFRAU (4166 m. Vue prise de la Cabane Concordia

Epuisé, n'y voyant plus, son allure chancelante est assez comique. D'abord, il marchait en queue, puis pour plus de sûreté et pour éviter les chocs, il dut se tenir au traîneau.

On avança par étapes et avec beaucoup de peine, contournant ça et là des crevasses. Nous voyons venir le moment où nos forces ne suffiront plus, car, pour arriver à la cabane, il faut monter légèrement, et le traîneau, avec une pareille charge, s'enfonce de plus en plus.

C'est à ce moment que la caravane de secours, composée de six guides, vint à notre rencontre; nous leur cédons nos places avec un soulagement infini. Du Pasquier, qui avait suivi machinalement jusqu'ici, se voit chargé à son tour sur le traîneau.

A 7 heures, nous sommes au bas du rocher du Faulberg, et à 8 heures nous sommes enfin au Pavillon. Les deux malades sont déshabillés et mis au lit pour être laissés ensuite aux soins de la sœur de M. Perruchoud dont le dévouement fut exemplaire jusqu'au bout.

Le plus gros était fait, et nous nous accordons un repos bien mérité.

Nous indiquàmes aux guides le lieu où nous avions laissé le corps de M. de Rougemont. Vers 11 h. du matin, ils partirent; mais la bourrasque qu'ils eurent à essuyer pendant leur expédition fut terrible; par moments, le dernier ne pouvait plus voir le premier de la cordée. Ils revinrent sans avoir retrouvé la dépouille de M. de Rougemont. Ce n'est qu'à la deuxième expédition, qui eut lieu deux jours après, qu'il réussirent à la ramener à l'Eggishorn.

Je restai encore à la Concordia les 21 et 22 juillet; tous mes camarades étaient rentrés chez eux. L'état ÉCHO DES ALPES. - 1908.

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