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LA JUNGFRAU (4166 m.) et le ROTHTHAL

Vue prise du sommet du Spitzhorn (2214 m,)

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E 15 juillet dernier, nous nous trouvions à Lauterbrunnen, au rendez-vous fixé, entre une et deux heures de l'après-midi.

Nous étions quatre mon ami Tschopp, d'Aarau, MM. Buri et Reinhart, deux Lucernois que je ne connaissais pas encore, et moi. Nous nous proposions la traversée de la Jungfrau par le Rotthal, avec descente à la Concordia. Le ciel, masqué de nuages sombres qui, balayés par le vent d'ouest, fuyaient rapidement sans cesse renouvelés, ne promettait rien de bon. Il fut décidé que l'on irait, dans tous les cas, jusqu'à la cabane du Rotthal, au risque d'y attendre quelques jours. Nous partimes donc de Stechelberg vers 4 h. 12 du soir, portant chacun 16 à 17 kilogr. sur le dos, en vue d'une absence de 10 à 12 jours.

Une pluie serrée et fine se mit bientôt de la partie et, à notre arrivée à la Stufensteinalp, elle dégéné

ECHO DES ALPKS.

1908

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rait en pluie battante. Gracieusement, des jeunes bergers nous offrirent un abri pour la nuit.

Le peu d'espoir que nous avions pour le lendemain se lisait sur tous les visages. Tant pis; ce ne serait pas la première fois qu'il faudrait renoncer à une entreprise.

Mais le lendemain, une grande surprise nous attend. La journée du 16 juillet est superbe, et la vue dont nous jouissons pendant notre montée à la cabane est grandiose. Nous arrivons, sans nous presser, vers midi, et nous employons le reste de la journée à une course de reconnaissance.

A notre retour à la cabane, vers les 7 heures du soir, nous y trouvons, à notre grande joie, la caravane de M. Keller que nous avions déjà vue d'en haut. Elle est composée, avec M. Keller, de MM. de Rougemont, Comtesse et Du Pasquier qui se proposent, eux aussi, la traversée de la Jungfrau. Le temps reste idéal, et la réussite de notre entreprise semble assurée.

Le 17 juillet, diane à 2 heures. Le ciel s'est légèrement couvert, sans pourtant trop nous inquiéter. Le départ des deux caravanes est décidé, mais la faculté. de renoncer à l'ascension reste réservée si le temps vient à se gâter sérieusement.

Nous voilà donc partis.

Il est 3 heures précises lorsque nous nous mettons en marche. Keller, avec sa cordée de quatre, passe le premier. Il connait mieux le chemin pour l'avoir parcouru maintes fois. A peu de distance, nous les suivons. Nous sommes quatre aussi, encordés comme suit : Pfister, Buri, Reinhart et Tschopp.

Les premiers contreforts, qui ne présentent point. de difficultés, sont bientôt franchis; ce n'est qu'à

partir du premier replat de l'arête que va commencer la véritable escalade. Les rochers sont recouverts d'une couche épaisse de neige fraiche, sous laquelle se cache le verglas. Nous avançons avec précautions, souvent un par un, mais assez rapidement cependant, et bientôt nous nous trouvons sur un second replat, quelques mètres en dessous de la première corde, à 3200 m. environ. C'est là que devaient commencer les vraies difficultés.

Pour plus de clarté, je rappelle que trois cordes sont fixées sur l'arête du Rotthal. La première, de 15 mètres, aide à monter un couloir assez large. La deuxième, de 25 mètres, facilite la traversée du même couloir et le passage d'une cheminée. La troisième enfin, à 3850 mètres, doit assurer l'escalade d'une paroi à pic et sans prises de 5 mètres de hauteur.

Avant d'aborder les cordes, nous faisons une petite halte pour nous consulter et décider si nous voulons continuer l'ascension ou rebrousser chemin. La route que nous avons parcourue jusqu'ici, rendue assez difficile par le verglas, ayant demandé relativement peu de temps, nous nous décidons définitivement à poursuivre notre entreprise, puisque le temps semble promettre de se maintenir au beau.

Voici donc la première corde, et bientôt après la seconde, toutes deux cachées sous la neige. Après les avoir franchies, nous nous trouvons sur une sorte d'arête plate, offrant à peine l'espace nécessaire pour s'y tenir convenablement.

Le temps s'améliore de plus en plus, et il ne saurait être question de revenir en arrière. Les rochers deviennent plus raides, le verglas et la neige toujours plus traîtres, mais un effort soutenu nous fait gagner lentement en hauteur.

Tout à coup, la première caravane se voit forcée d'abandonner le chemin habituel, le verglas empèchant Keller de se tirer à droite. C'est à ce moment que je prends les devants avec ma cordée. Nous forçons le passage une dizaine de mètres plus à gauche, mais nous perdons un temps considérable; toutefois nous finissons par vaincre, et nous nous trouvons enfin à 70 mètres au-dessous de l'arête finale, sur une bande de rocher qui permet à peine de se maintenir. Il s'agit maintenant de franchir ou de contourner un roc presque perpendiculaire de 20 mètres. pour arriver à la hauteur de la troisième corde qui est placée à 50 mètres environ au-dessous de l'arête.

M. Keller à droite, moi à gauche, nous tentons tous deux de trouver une issue. Finalement M. Keller a partie gagnée et hisse jusqu'à lui le second de la caravane. Longtemps, nous qui sommes en bas, nous ne savons rien de ce qui se passe en haut. De temps à autre, une chute de pierres nous rappelle la présence de nos camarades, et pour ne pas être atteints, nous devons nous tenir collés contre le rocher.

Une éternité semble s'écouler avant qu'ils aient suffisamment consolidé leur position pour pouvoir laisser monter les autres. Enfin, ils y sont tous les quatre, puis, pour ne pas nous faire perdre un temps précieux, M. Keller me passe vite la corde et m'aide à escalader les 20 mètres. C'est maintenant à moi de hisser mes trois hommes qui attendent impatiemment. Enfin, tout le monde a franchi l'obstacle, mais les 30 mètres nous ont coûté, au bas mot, trois heures, et encore, si nous nous trouvons bien à la hauteur de la troisième corde, nous sommes 100 mè tres plus à l'Ouest, et ces 100 mètres nous font perdre encore une heure.

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