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LUSIEURS articles sur le Lötschenthal ont déjà paru, aussi bien dans le Jahrbuch du S.A.C. et l'Echo des Alpes, que dans l'Annuaire du Club Alpin Français, et je craindrais de m'attaquer à un sujet déjà traité avec tant d'autorité. par des alpinistes éminents, si cette vallée, très riche en ascensions de tout genre, ne possédait pas encore bien des sommets presque inconnus, sinon des professionnels de la montagne, du moins de la généralité des touristes. Nombreuses sont, en effet, autour de Ried, les courses intéressantes et souvent difficiles qui n'ont été réussies que deux ou trois fois, et qui mériteraient pourtant d'attirer l'attention des alpinistes. D'année en année, d'ailleurs, le Lötschenthal est plus fréquenté, et l'ouverture de deux nouveaux hôtels, l'un à Kippel, l'autre à la Fafleralp, contribuera certainement à accélérer le mouvement. Il peut donc être utile de décrire rapidement les quelques ascensions intéressantes que nous avons réussies en 1907, sous la conduite de Jean Kalbermatten. C'est ce que j'essaierai de faire dans ces simples notes.

ECHO DES ALPES.

1908

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Le point de départ obligé de toute excursion dans le Lötschenthal était, l'année dernière encore, l'hôtel Nesthorn, à Ried (1509 m.). Il est trop connu des alpinistes pour que j'entreprenne d'en faire l'éloge; qu'il me suffise de dire que, grâce à l'obligeance de son propriétaire, à sa table abondante et choisie, à sa propreté parfaite, il est un délicieux séjour.

Point n'est besoin de s'en éloigner beaucoup pour jouir de vues magnifiques et faire connaissance avec des rochers intéressants. C'est sur deux de ces petites courses, faciles à accomplir en une courte journée, ou même en une après-midi, que je voudrais tout d'abord dire quelques mots. La première est l'ascension du Spalihorn, ou du moins de sa cime Ouest. Le lundi 22 juillet, nous quittons l'hôtel à-7 heures du matin. Le sentier monte rapidement vers Oberried, puis vers Weissenried dont les chalets noircis et la petite chapelle semblent suspendus sur une terrasse qui domine la vallée. A partir de Weissenried, le chemin se dirige franchement vers l'Ouest et, à travers de belles prairies et quelques bouquets de mélèzes, monte lentement dans la direction de de la Hockenalp. Nous le quittons avant d'atteindre le torrent de Tennbach, et montons à travers les pâturages, vers les chalets de Netzbord; un quart d'heure encore et nous sommes à la Weritzalp (2100 m. environ). Ici, une halte s'impose, car la vue est déjà magnifique. Le Bietschhorn, en particulier, apparaît dans toute sa beauté; il ne semble pas aussi élancé que du Petersgrat, par exemple, mais il étale en revanche le magnifique développement de ses arètes Nord et Ouest. C'est avec plaisir que nous revoyons à distance cette belle lame neigeuse et ce mur de rochers aux obélisques fantastiques que nous avons parcourus

en 1904. Dans la direction opposée, s'élève le Spalihorn, notre but; il paraît déjà tout proche, et c'est avec ardeur que nous reprenons notre marche. Comme la forteresse est inattaquable de face, nous opérons un mouvement tournant et, au bout d'une demi heure environ, nous nous trouvons sur la crête rocheuse qui réunit le Spalihorn au Stühlihorn et au glacier de Tennbach. Il nous faut maintenant descendre dans une échancrure d'une trentaine de mètres pour entreprendre ensuite l'escalade proprement dite. Nous voici dans le chaos de rochers le plus étrange qu'on puisse imaginer. Partout ce ne sont que blocs aux formes bizarres, entassés pêle-mêle, que cavernes et crevasses profondes; tout cela n'a pas l'air bien solide et les traces d'un éboulement récent nous avertissent de nous håter. Au bout de quelques minutes, nous sommes au pied de la dernière tour, à l'extrémité Nord de la fissure. J'avais déjà lu, dans un article de M. Montandon, dans l'Echo des Alpes, une description de cette fissure, mais la réalité surpasse mon attente; rien de plus curieux, en effet, que ce bloc énorme, haut d'une soixantaine de mètres, fendu en deux par une faille verticale dont la largeur, en certains endroits, ne dépasse pas deux mètres. Entre les deux parois de rochers qui semblent se rejoindre vers leur sommet, apparaissent un lambeau de ciel bleu et la silhouette du Bietschhorn, ainsi dignement encadré. Il ne peut être question de vaincre le sommet de gauche, car, partout la roche surplombe; celui de droite nous suffira d'ailleurs. L'ascension verticale est des plus courtes, car il ne s'agit que d'une douzaine de mètres, mais sans être difficile, elle demande quelque prudence. Un rétablissement assez pénible, vu le peu d'espace dont on

dispose pour prendre son élan, nous amène à une vire étroite que nous suivons sur 5 à 6 mètres en nous dirigeant vers la fissure. Là, il faut se retourner et prendre une seconde vire que l'on suit en rampant sur 3 ou 4 mètres. Le moment de se relever est l'instant délicat; c'est du reste la fin de l'ascension, bien courte on le voit, mais qui serait vraiment hasardeuse si elle se prolongeait beaucoup. Le sommet est formé par une petite prairie doucement inclinée. De tous côtés, le rocher tombe à pic, la voie d'accès employée par nous est probablement la seule. Le sommet Est se trouve tout proche, mais nous en sommes séparés par la fissure; plusieurs fois déjà, on a essayé de l'atteindre en jetant une échelle d'un bord à l'autre, mais ces tentatives n'ont pas eu de succès; dans la dernière même, l'échelle cassa pendant le lancement et faillit précipiter dans l'abîme ceux qui la manoeuvraient.

La vue du Spalihorn, quoique belle, n'est pas supérieure à celle dont on jouit de tous les alpages environnants, aussi commencons-nous bientôt la descente, qui nous paraît plus facile que la montée; arrivés à la fissure, nous nous y engageons et la traversons dans toute sa longueur; une épaisse couche de neige en tapisse le fond où elle est conservée comme dans une glacière. A notre sortie du couloir, la pluie nous surprend ; heureusement, rien ne nous presse et les rochers nous offrent un bon abri; nous en profitons pour attaquer vigoureusement nos vivres. Bientôt d'ailleurs, l'averse cesse, et c'est par un beau soleil que nous regagnons la Weritzalp et Ried.

Comme on le voit, l'ascension du Spalihorn n'est qu'une promenade, mais elle est digne d'attention, car la grande fissure constitue une véritable curiosité.

Les journées qui suivirent ne nous furent pas favorables. C'est ainsi que, partis le mardi 23 pour la cabane d'Oberaletsch par un temps magnifique, nous dùmes renoncer le lendemain à l'ascension du Nesthorn, et refaire en sens inverse, par la pluie, la longue traversée du Beichpass. Un mot seulement sur ce passage, peu intéressant en lui-même, mais d'où l'on jouit d'une vue splendide. Le guide Joanne indique la route suivante depuis Gletscherstaffel jusqu'au col : suivre le fond de la vallée jusqu'au Distelgletscher; remonter celui-ci pendant un certain temps pour prendre ensuite une arête rocheuse, bien visible d'en bas, qui conduit jusqu'au col. Il vaut mieux, je crois, commencer la montée dès Gletscherstaffel, par un chemin commode s'élevant assez rapidement dans les pâturages et traverser ensuite le glacier à son premier << palier » pour rejoindre, sur sa rive droite, l'itinéraire Joanne. Cette variante, indiquée depuis longtemps par M. Puiseux, dans un article de l'annuaire du C. A. F., est d'ailleurs souvent pratiquée aujourd'hui. Nous passames la nuit du 24 à la cabane du Bietschhorn, mais, cette fois encore, la pluie rendit toute ascension impossible.

La journée du 26 juillet fut consacrée à l'ascension du Tennbachhorn. Ce sommet s'élève immédiatement au-dessus de Ried, sur le bord Est du Lötschengrat, dont il est une sentinelle avancée. Malgré son altitude modeste, il paraît assez respectable, grâce à sa pointe aiguë formée par la réunion de trois arêtes, dont l'une, celle du Sud, nous attirait beaucoup.

Partis à 6 heures de l'hôtel, nous atteignons la Weritzalp en 1 heure 2. Le temps est beau; le Bietschhorn et sa chaine étincellent et semblent nous narguer de notre dernier échec; heureusement, le

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