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campagnes alpines. Ces rapports affectueux entre guides et voyageurs subsistent-ils ? Mais aussi la manière d'être des guides est-elle demeurée la même ? Les guides de la grande école étaient habillés comme des paysans mais commandaient en montagne comme le capitaine à son bord; beaucoup de jeunes guides de nos jours sont élégamment vêtus, à la dernière mode, mais s'expriment comme des domestiques.

au

De l'époque d'enthousiasme ardent mais confus pour les choses de la montagne, Coolidge remonte << golden age » de l'alpinisme, où chaque année marque une liste de conquêtes, où l'Alpine Club, déployant sa plus grande énergie, emporta d'assaut le Weisshorn, le Lyskamm, la Dent-Blanche, la Dent d'Hérens, l'Aiguille-Verte, dans un élan glorieux et magnifique que brisa net la catastrophe du Cervin. Pour nous qui vivons au temps heureux où l'étendard alpin est à l'honneur, nous comprenons difficilement les embarras de tout genre qui se dressaient devant les premiers grimpeurs et les obstacles moraux étaient plus graves encore que les difficultés matérielles. Les cabanes manquaient, on pénétrait de plein pied dans l'inconnu, les approvisionnements étaient mal assurés, tout cela n'était rien cependant en face de la lutte à soutenir contre l'opinion publique, soulevée par le désastre du Cervin, et réprouvant gravement ces jeux sanglants où s'anéantissaient de jeunes vies. Il fallait un courage tenace pour persévérer et rompre le charme mauvais dont le Cervin avait voilé l'alpinisme triomphant.

Quelques années plus tard, une crise contraire faillit tout remettre en question. Ce n'était plus de réprobation publique qu'il s'agissait; il fallait cette fois lutter contre l'apathie qui menaçait de paralyser

le mouvement de conquête. Tout était gravi, disaiton, les Alpes n'offraient plus de nouveautés et par suite plus d'attraits; l'alpinisme s'était épuisé luimême et l'Alpine Club n'avait plus sa raison d'être. Nous avons nous-mêmes ressenti moins vivement cette crise; cela devait être parce que notre participation à l'exploration des Alpes avait été moins forte jusque là; surtout, mêlant dès l'origine un sentiment national à notre amour de la montagne, nous avons toujours éprouvé sur les Alpes suisses des impressions d'une nature toute particulière qui ont manqué aux Anglais en quête de nouveautés et de difficultés à vaincre. Sans doute, aujourd'hui encore, quelquesuns de nos compatriotes, reprenant la vieille antienne, protestent que les Alpes ont perdu leur charme ; la foule des grimpeurs ne les croit pas et sait trouver sur les sommets les mêmes joies et les mêmes émotions fortifiantes que la génération première crut dé

couvrir.

Je me hate de dire que l'apathie de l'Alpine Club fut de courte durée; les alpinistes aguerris de la grande époque, comme Stephen et Coolidge lui-même, reprirent leur piolet, et, toujours allant, secondés par quelques prosélytes enthousiastes, découvrirent dans les Alpes des cimes ignorées et de nouveaux passages. Ce fut le temps de l'exploration minutieuse des diverses chaines dans laquelle Coolidge joua un rôle prépondérant.

Dès lors, l'alpinisme ne s'est guère transformé, tout au plus s'est-il produit quelques modifications dans la technique des ascensions. Méritons-nous donc le jugement sévère que Coolidge porte contre notre génération, la classant décidément au-dessous de celle dont il fit partie? Autrefois, dit-il, nous cher

chions la meilleure voie d'accès vers les cimes, vous n'aspirez aujourd'hui qu'à découvrir la route la plus dangereuse. Je crois sans peine qu'il y a par le monde certains grimpeurs qui se font une singulière idée de l'alpinisme et le transforment en une acrobatie quasi ridicule, mais d'autre part ne sommes-nous pas mieux préparés à vaincre les difficultés que ne pouvaient l'être nos devanciers. Ils nous ont enrichi de leurs multiples expériences dans tous les domaines. C'est grâce à leur énergie persévérante qu'une ère nouvelle s'ouvre devant nous, l'ère des guides bénévoles, patentés ou non, qui consacrent leurs forces à faire de camarades novices des montagnards de valeur. Il me semble que guider vers les sommets, en endossant le faix d'une entière responsabilité est l'idéal le plus élevé que puisse rêver un alpiniste, dépassant de cent coudées la gloriole de conquérir telle cime scabreuse en compagnie d'amis d'égale force. Et j'en veux un peu à Coolidge de comprendre dans un même blâme les imprudents et ceux qui cherchent à la montagne autre chose que la satisfaction d'une vanité méprisable. Mais il serait injuste d'en faire un grief sérieux et d'oublier que Coolidge a quelque droit à s'exprimer comme il le fait; n'a-t-il pas derrière lui un passé d'alpiniste que nul n'a égalé et peutêtre n'égalera jamais ! Il nous est, à ce titre déjà, infiniment précieux de le sentir à nos côtés, prêt à nous transmettre les trésors d'expérience et de savoir, accumulés dans une vie consacrée tout entière à l'étude des Alpes.

L. SPIRO.

Section des Diablerets.

Chronique du Club Alpin Suisse.

Guides et Führerlose.

(Rapport du Comité Central sur l'enquête ouverte.)

A la suite des articles de M. Monod-Herzen, dans l'Echo des Alpes de Janvier 1908, et de M. Seylaz, dans la même publication (mars 1908), articles s'élevant vivement contre l'attitude de certains guides à l'égard des touristes qui parcourent la montagne seuls et sans guides, le Comité Central a décidé d'ouvrir une enquête, afin de déterminer les responsabilités soit des guides, soit de leurs accusateurs, et d'agir contre les premiers si les abus rapportés devaient se vérifier.

Le C. C. s'est adressé à toutes les sections du C. A. S., par la voie d'une circulaire, demandant de signaler en détails tous les faits de nature à éclairer cette question. A cette circulaire, lancée au mois d'avril dernier, sept sections seulement ont répondu Am Albis, Bernina, Chaux-de-Fonds, Gotthard, Moléson, Oberhasli et Rhætia. Toutes ces sections déclarent que leurs membres, d'une façon générale, n'ont qu'à se louer de leurs rapports avec les guides, et qu'à leur connaissance, aucune plainte, dans le genre de celles de M. Monod-Herzen, en particulier, n'a été formulée. Quelques membres de la Section Moléson, seuls, ont trouvé dans l'attitude générale des guides de Zermatt quelque sujet de critique, sans formuler, cependant, aucune plainte précise.

Le C. C. présume que le silence des autres sections du C. A. S. implique une opinion semblable à celle qu'ont émise les sept sections susmentionnées; il admet que ces sections n'ont pas répondu à sa circulaire pour la raison qu'elles n'avaient aucun fait regrettable, aucune plainte contre les guides à signaler.

Dans ces conditions, le C. C. a déclaré close l'enquête qu'il avait entreprise. Il en résulte que, si, parfois, certains guides font

montre d'un manque d'éducation assez excusable chez des enfants de la montagne, d'une manière générale, les guides de nos Alpes fonctionnent à la satisfaction des touristes et qu'il n'y a pas lieu de leur reprocher des fautes graves, soit à l'égard de leurs clients, soit à l'égard des voyageurs qui ont l'habitude de se passer de leurs services.

Au sujet de plaintes formulées par M. Monod-Herzen, plaintes se rapportant à des faits précis et portées contre des guides nommément indiqués, MM. Dr Hermann Seiler, président de la section Monte Rosa du C. A. S. et A. Imboden, préfet du district de Viège, ont ouvert une enquête spéciale, dont nous donnons, ici, en résumé, les résultats.

1o Le guide Alois Kronig, accusé par M. Monod-Herzen (Echo des Alpes, Janvier 1908, p. 15) de s'être montré grossier envers lui, le 13 août 1906, à la cabane du Cervin, a prouvé par témoins et par son livret de guide, qu'à cette date, il faisait, avec un touriste, l'ascension du Rothhorn et de l'Obergabelhorn. Il déclare, au surplus, ne connaître M. Monod-Herzen que de nom. et ne lui avoir jamais adressé la parole. Les accusations portées contre lui sont donc absolument imaginaires et complètement controuvées.

2o Le guide Schaller, qui aurait empêché M. Monod-Herzen, à la même date, de prendre place et couvertures dans la cabane du Cervin, prouve qu'il était onze heures du soir lorsque M. MonodHerzen et ses compagnons arrivèrent à la cabane absolument remplie (33 personnes). Schaller prétend s'être borné à prier M. Monod-Herzen de se tenir tranquille et de laisser en paix son touriste dont M. Monod-Herzen prétendait prendre la couverture. Ce touriste, d'ailleurs, déclare sur le livret de Schaller excellent guide... d'une très grande complaisance. Ici encore, les plaintes de M. Monod-Herzen semblent n'être point conformes à la réalité.

3. M. Monod-Herzen se plaint d'avoir été grossièrement insulté et expulsé de la cabane du Cervin, le 16 août 1906, par le guide Félix Julen et son fils. A cette accusation, le guide répond, appuyé par le témoignage d'autres guides et par la mention élogieuse faite dans son livret au sujet de cette course, qu'il n'y a eu de sa part aucune grossièreté envers M. Monod-Herzen, mais simplement prière à ce touriste de ne point déranger les personnes que Julen

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